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[ 22 avril 2014 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Droit de la propriété intellectuelle v. liberté d’entreprise

Le droit de l’Union entend protéger les droits d’auteurs et les droits voisins indépendamment des supports permettant d’accéder aux œuvres. Le législateur de l’Union a ainsi introduit, au travers de la directive 2001/29, une réelle protection dans l’environnement numérique imposant des obligations aux fournisseurs d’accès à Internet. La Cour de justice juge que l’injonction faite à l’égard d’un de ces fournisseurs, offrant l’accès à des œuvres protégées, sans l’accord des auteurs, est conforme aux droits fondamentaux. Cette injonction constitue un moyen de conciliation entre deux droits partiellement contradictoires, le droit de la propriété intellectuelle visé à l’article 17, paragraphe 2 de la Charte et la liberté d’entreprise protégée à l’article 16 de la Charte, l’atteinte à cette dernière liberté étant justifiée par un objectif d’intérêt général et proportionné. Cette validité est cependant conditionnée, l’injonction devant être susceptible de faire l’objet d’un recours aussi bien du fournisseur d’accès que des clients.

Dans l’arrêt rapporté, la Cour de justice a examiné si l’injonction de bloquer un site Internet imposée à un fournisseur d’accès constitue une ingérence disproportionnée à la liberté d’entreprise alors que la directive 2001/29 a pour objet de protéger le droit de la propriété intellectuelle et plus précisément les droits d’auteurs.

À l’origine des faits, il y a l’introduction d’un recours par une entreprise allemande, Constantin Film Verleih qui détient des droits pour de nombreux films, lesquels sont accessibles sur un site Internet en Autriche, kino.to, sans que la société ait donné son consentement. La juridiction autrichienne saisie de l’affaire a alors interdit à UPC Telekabel fournisseur d’accès à Internet de rendre accessible le site à ses clients. Cette injonction du juge a été contestée par UPC Telekabel, cette dernière estimant qu’elle ne peut faire l’objet d’une injonction étant donné qu’elle n’a aucune relation commerciale avec le site incriminé kino.to et que l’injonction est incompatible avec la liberté d’entreprendre.

Cet arrêt confirme une nouvelle fois que le droit dérivé doit être conforme à la Charte des droits fondamentaux et, dans le cas où deux droits et libertés sont en conflits, l’ingérence ne doit pas aboutir à porter atteinte à la substance même du droit : elle doit être proportionnée. C’est l’ensemble de ces éléments que la Cour de justice va vérifier.

Préalablement à l’examen de la conciliation des droits, la Cour précise qu’un fournisseur d’accès peut être destinataire d’une injonction indépendamment du fait qu’il n’ait pas de relations commerciales avec le site Internet. La Cour précise que le fournisseur d’accès est un intermédiaire obligé et l’exclure de toute injonction reviendrait à priver les titulaires de droits de propriétés intellectuelles d’un véritable moyen de protection. L’effet utile de la directive implique en conséquence que les fournisseurs d’accès puissent être visés.

Concernant la conciliation des droits en cause, la Cour rappelle tout d’abord les obligations des États membres en matière de transposition de directive. Ces derniers doivent retenir une interprétation permettant d’assurer un juste équilibre entre les droits fondamentaux applicables. Cette exigence est logique et elle découle de l’article 51 de la Charte obligeant les États membres à respecter la Charte lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, par un acte de transposition.

Ensuite elle revient expressément sur certaines conditions fixées à l’article 52, paragraphe 1 de la Charte, c’est-à-dire l’absence de remise en cause de la substance même du droit, objet de l’ingérence, et le respect du principe de proportionnalité. La Cour juge que l’injonction n’apparaît pas porter atteinte à la substance même de ce droit étant donné qu’il revient au fournisseur d’accès de déterminer les mesures à mettre en œuvre pour bloquer l’accès au site et que sa responsabilité ne peut pas être engagée s’il a pris toutes les mesures raisonnables. La Cour juge également qu’il y a respect du principe de proportionnalité sous réserve d’une double condition :

– la première est que les mesures adoptées n’aboutissent pas à priver les internautes de l’accès aux informations licites. Le fournisseur a ainsi l’impératif de prendre des mesures ciblées, ce qui peut avoir pour conséquence de ne pas mettre fin à l’atteinte au droit. La Cour admet cette possible inefficacité jugeant que le droit de la propriété intellectuelle n’est pas intangible. La protection peut ainsi ne pas être absolue, l’essentiel étant pour la Cour de trouver un juste équilibre notamment à l’égard des internautes ;

– la seconde est l’introduction de dispositions en faveur d’un contrôle du juge à destination des internautes et des fournisseurs d’accès.

La Cour de justice émet ainsi des réserves à l’égal de ce que peut faire une juridiction constitutionnelle comme le Conseil constitutionnel. Ces réserves permettent de valider la directive, écartant tout risque de vide juridique, tout en garantissant une application conforme aux droits fondamentaux, y compris des tiers.

CJUE 27 mars 2014, UPC Telekabel GmbH c/ Constantin Film Verleih Gmbh, C-314/12

Références

 Directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2001 sur l'harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information

■ Charte des droits fondamentaux de l'union européenne

Article 16 - Liberté d'entreprise

« La liberté d'entreprise est reconnue conformément au droit communautaire et aux législations et pratiques

nationales. »

Article 17 - Droit de propriété

« 1. Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu'elle a acquis légalement, de les utiliser, d'en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n'est pour cause d'utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L'usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l'intérêt général.

2. La propriété intellectuelle est protégée. »

Article 51 - Champ d'application

« 1. Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions et organes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux États membres uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l'application, conformément à leurs compétences respectives.

2. La présente Charte ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelles pour la Communauté et pour l'Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies par les traités. »

Article 52 - Portée des droits garantis

« 1. Toute limitation de l'exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d'intérêt général reconnus par l'Union ou au besoin de protection des droits et libertés d'autrui.

2. Les droits reconnus par la présente Charte qui trouvent leur fondement dans les traités communautaires ou dans le traité sur l'Union européenne s'exercent dans les conditions et limites définies par ceux-ci.

3. Dans la mesure où la présente Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention. Cette disposition ne fait pas obstacle à ce que le droit de l'Union accorde une protection plus étendue. »

 

Auteur :V. B.


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