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Droit européen et de l'Union européenne
Droit de l’Union Européenne : l’État est responsable en cas de violation manifeste
Mots-clefs : Droit de l’Union européenne, Juridictions nationales, Refus d’application, Responsabilité de l’État, Conditions, Violation manifeste
La méconnaissance du droit de l'UE par une juridiction nationale engage la responsabilité de l'État dès lors qu’elle caractérise une violation manifeste de ce droit, ce que ne constitue pas la non-application du principe pénal de la rétroactivité in mitius.
En l'espèce, une coopérative agricole importatrice de pois protéagineux avait perçu des aides communautaires avant d'être poursuivie pour déclaration d'origine inexacte et fausse déclaration à l'importation ayant pour effet d’obtenir un avantage indu. Le tribunal saisi avait constaté la nullité de la procédure au motif que le code des douanes ne s'appliquait plus à l'entrée des marchandises en provenance d'un État membre de l'Union européenne. La cour d'appel de Reims avait confirmé le jugement mais la chambre criminelle de la Cour de cassation avait cassé cet arrêt. Statuant sur renvoi, la cour d'appel de Paris avait déclaré l'importateur coupable de délit et de contravention. Pour des raisons procédurales tenant au non-respect des droits de la défense, cet arrêt avait une nouvelle fois été annulé par la chambre criminelle. À nouveau désignée comme juridiction de renvoi, la cour d'appel de Paris avait constaté les infractions et prononcé des condamnations à hauteur de près de 300 000 euros.
Saisie d'un nouveau pourvoi, la chambre criminelle avait rejeté le moyen fondé sur le principe de l’application rétroactive de la peine plus légère, lequel aurait dû, selon le demandeur, conduire les juges du fond à écarter en l’espèce l’application de la loi n° 92-677 du 17 juillet 1992 relative aux taxes sur les produits importés. Après cette solution, le demandeur avait saisi le Comité des droits de l'homme des Nations unies, qui avait retenu une violation du principe de rétroactivité de la peine plus légère énoncé par l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civil et politique, ce qui a conforté l'importateur dans sa détermination visant à obtenir gain de cause contre l'administration française. Ainsi demanda-t-il réparation d'un préjudice pour faute lourde de l'État dans l'administration de la justice. Par un arrêt du 6 mai 2015, la cour d'appel de Paris lui donna raison en reprochant pour la première fois à la Cour de cassation, non sans introduire un certain trouble dans la hiérarchie de l’ordre judiciaire, une violation manifeste du droit communautaire et de l'article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, constitutive d'une faute lourde (COJ, art. L. 141-1). Pour les juges du fond, la Cour de cassation connaissait la décision de la CJCE 3 mai 2005 (aff. C-387/02) relative au principe de la rétroactivité de la peine plus légère, ainsi que l'article 15 du pacte international, et n'ignorait pas que ses arrêts antérieurs n'étaient pas conformes à cette jurisprudence. Pour autant, elle a considéré que la loi du 17 juillet 1992 n'avait ni supprimé l'infraction ni eu d'effet sur les peines, de telle sorte que le principe de rétroactivité in mitius n'avait pas vocation à s'appliquer. Selon la cour d'appel, la Haute cour a ainsi délibérément fait le choix d’ignorer le droit de l’Union européenne.
Cette solution se fonde sur l'arrêt Köbler (CJCE 30 sept. 2003, aff. C-224/01) qui a posé le principe selon lequel la responsabilité de l'État peut être engagée du fait d'une décision juridictionnelle statuant en dernier ressort qui violerait le droit communautaire, à la condition que cette violation soit manifeste, compte tenu du degré de clarté et de précision de la règle violée, du caractère délibéré de la violation, et du caractère excusable ou non de l'erreur de droit commise. La responsabilité doit également s'apprécier, comme le rappelle le rapport attaché à cette solution, en fonction du principe violé, en l'espèce la rétroactivité in mitius.
L'assemblée plénière casse cet arrêt. Pour ne pas reconnaître la responsabilité de l'État, et donc la sienne, la Cour de cassation rappelle dans un attendu de principe que : « la responsabilité de l'État pour des dommages causés aux particuliers du fait d'une violation du droit de l'UE, par une décision d'une juridiction nationale de l'ordre judiciaire statuant en dernier ressort, n'est susceptible d'être engagée que si, par cette décision, ladite juridiction a méconnu de manière manifeste le droit applicable, ou si cette violation intervient malgré l'existence d'une jurisprudence bien établie de la CJUE ». Il convient de préciser que la même solution s’applique à l’ordre administratif (CE 21 sept. 2016, n° 394360). Or, l'assemblée plénière souligne qu'aucun texte ou principe général du droit de l'Union européenne, ni aucune jurisprudence suffisamment établie de la CJUE n'indique que le principe de l'application rétroactive de la peine plus légère fait obstacle à ce que soient poursuivies et sanctionnées les fausses déclarations en douane ayant pour but ou pour effet d'obtenir un avantage quelconque attaché à des importations intracommunautaires commises antérieurement à la mise en place du marché unique. Cette solution doit être mise en perspective avec un arrêt rendu le 6 octobre 2016 (CJUE 6 oct. 2016, aff. C-218/15), dont il ressort que le principe de la rétroactivité in mitius n'est pas un principe absolu dont l'application est automatique, l'application de ce principe étant subordonné à l'entrée en vigueur d'une nouvelle loi.
Ass. plén., 18 novembre 2016, n° 15-21.438, P+B+R+I
Références
■ Pacte international relatif aux droits civils et politiques
Article 15
« 1. Nul ne sera condamné pour des actions ou omissions qui ne constituaient pas un acte délictueux d'après le droit national ou international au moment où elles ont été commises. De même, il ne sera infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise. Si, postérieurement à cette infraction, la loi prévoit l'application d'une peine plus légère, le délinquant doit en bénéficier.
2. Rien dans le présent article ne s'oppose au jugement ou à la condamnation de tout individu en raison d'actes ou omissions qui, au moment où ils ont été commis, étaient tenus pour criminels, d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations. »
■ CJCE 3 mai 2005, aff. C-387/02 ; Rev. sociétés 2006. 134, note V. Magnier ; RSC 2006. 155, obs. L. Idot ; RTD com. 2005. 532, obs. C. Champaud et D. Danet ; ibid. 863, obs. M. Luby ; RTD eur. 2005. 921, note E. Dirrig.
■ CJCE 30 sept. 2003, aff. C-224/01 ; AJDA 2003. 2146, chron. J.-M. Belorgey, S. Gervasoni et C. Lambert ; ibid. 2004. 315, chron. J.-M. Belorgey, S. Gervasoni et C. Lambert ; ibid. 423, étude J. Courtial ; D. 2003. 2546, et les obs. ; RSC 2004. 178, chron. L. Idot ; RTD eur. 2015. 232, obs. C. Yannakopoulos ; ibid. 232, obs. C. Yannakopoulos.
■ CE 21 sept. 2016, n°394360 ; AJDA 2016. 1776.
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