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Droit commercial et des affaires
Droit de propriété : restriction justifiée au nom du libre jeu de la concurrence
Mots-clefs : Enseigne de distribution, Espace de vente, Accès, Droit de propriété, Libre disposition, Restriction, Concurrence, Prix, Fixation, Relevé, Usage, Éléments constitutifs
La fixation des prix par le libre jeu de la concurrence commande que les enseignes de la grande distribution laissent les salariés de leurs concurrents accéder à leurs espaces de vente pour procéder à des relevés de prix dans leurs magasins respectifs.
Parmi les prérogatives de tout propriétaire (art. 544 C. civ.) figure celui de pouvoir librement disposer de son bien. Cela sous-entend notamment le fait que le propriétaire d’un lieu puisse en refuser l’accès à certaines personnes (v. pour une association propriétaire d’un lieu affecté à l’usage de mosquée, le droit de refuser l’accès à son ancien imam : Orléans, 7 sept. 2009).
Dans l’arrêt ici commenté, une enseigne de la grande distribution a refusé l’accès de sa surface de vente aux salariés d’une autre enseigne concurrente qui étaient venus relever les prix pratiqués.
Si la comparaison des prix est autorisée et prévue sous certaines conditions dans le Code de la consommation (art. L. 121-8 et s. C. consom.), sur quel fondement juridique reposerait le droit de relever des prix chez un concurrent ?
Pour certains juges du fond (Rennes, 3 févr. 2009), ce droit trouverait son fondement, dans un usage. Source du droit commercial, l’usage est défini comme :
– une pratique ancienne, constante et ininterrompue,
– acceptée et suivie,
– par une catégorie de professionnels déterminée,
qui lui reconnaissent la valeur d’une règle de droit (v. attestation par une chambre des métiers d’un usage qui s’impose aux parties : Com. 9 janv. 2001 ; pour l’application d’un usage local rendant une vente parfaite : Com. 13 mai 2003), mais qui ne peut prévaloir en principe face à des dispositions impératives. C’est à celui qui l’invoque, d’en rapporter la preuve.
Ainsi, en l’espèce, les magistrats de la cour d’appel de Montpellier confrontèrent le droit de relever les prix chez un concurrent au droit fondamental qu’est le droit de propriété (art. 544 C. civ.). L’usage invoqué pouvait-il être de nature à rendre licite une restriction au droit de disposer librement de son bien ?
Relevant la disparité selon les enseignes de cette pratique, les juges du fond estimèrent défaillante l’administration de la preuve de l’usage invoqué et conclurent que, sauf usage abusif, le droit de propriété autorisait le propriétaire du magasin à interdire l’accès de ses locaux à des tiers autres que ses clients potentiels.
La chambre commerciale cassa ce raisonnement au visa de l’article L. 420-2 du Code de commerce (libre détermination des prix des biens et services par le jeu de la concurrence : art. L. 420-2, al. 1er C. com.). En effet, en qualité d’acteur économique, une enseigne de la grande distribution justifie d’un intérêt né, actuel et direct à s’informer, à observer les prix pratiqués par ses concurrents afin de garantir les plus bas prix à ses clients. Le jeu de la libre concurrence commande donc que les différentes enseignes puissent faire procéder à des relevés de prix par leurs salariés dans leurs magasins respectifs.
Le libre jeu de la concurrence justifie donc une restriction au droit de propriété. La Haute cour met ainsi fin à la difficulté de devoir apporter la preuve des éléments constitutifs d’un tel usage dans ce domaine. Il est toutefois regrettable que ce droit n’ait pas été retenu dans la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 dont le projet dénonçait que « les relevés de prix sont pratiqués depuis toujours ».
Com. 4 oct. 2011, n°10-21.862, FS-P+B+I
Références
■ Orléans, 7 sept. 2009, JCP 2010, n°962, obs. Leroy.
■ Com. 9 janv. 2001, n° 97-22.668, Bull. civ. IV, n°9 ; RTD civ. 2001. 870.
■ Com. 13 mai 2003, n° 00-21.555, Bull. civ. IV, n° 82 ; D. 2004. 414.
■ Rennes, 3 févr. 2009, n°08/07579.
■ E. Lamazerolles, « Le droit de relever les prix chez un concurrent à la lumière de la jurisprudence », JCP E 2010, n°1471.
« La propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les règlements. »
■ Article L. 410-2 du Code de commerce
« Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement, les prix des biens, produits et services relevant antérieurement au 1er janvier 1987 de l'ordonnance n° 45-1483 du 30 juin 1945 sont librement déterminés par le jeu de la concurrence.
Toutefois, dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d'État peut réglementer les prix après consultation de l'Autorité de la concurrence.
Les dispositions des deux premiers alinéas ne font pas obstacle à ce que le Gouvernement arrête, par décret en Conseil d'État, contre des hausses ou des baisses excessives de prix, des mesures temporaires motivées par une situation de crise, des circonstances exceptionnelles, une calamité publique ou une situation manifestement anormale du marché dans un secteur déterminé. Le décret est pris après consultation du Conseil national de la consommation. Il précise sa durée de validité qui ne peut excéder six mois. »
■ Article L. 121-8 du Code de la consommation
« Toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que si :
1° Elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur ;
2° Elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif ;
3° Elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens ou services, dont le prix peut faire partie. »
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