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[ 22 juin 2018 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Droit de propriété vs Droit au respect du domicile

L’ingérence dans le droit au respect du domicile de l’occupant d’un terrain peut être justifiée par le droit de celui qui en a la propriété.

Un couple ayant occupé un terrain pendant trente ans y avait édifié, après dix années d’occupation, une maison d’habitation. Invoquant la prescription acquisitive trentenaire, ils avaient assigné le propriétaire en revendication. Celui-ci leur avait alors opposé son titre de propriété pour les obliger à libérer les lieux et à démolir leur maison. Les juges du fond ayant accueilli la demande du propriétaire, l’occupant, devenu veuf, forma un pourvoi en cassation à l’effet de conserver son logement : après avoir soutenu devant la Haute cour que le droit au respect de son domicile constitue une déclinaison du droit fondamental à celui de sa vie privée, au sens de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, il affirma que toute ingérence susceptible d’y être portée doit être proportionnée et justifiée par un but légitime, d’où la nécessité, pour apprécier en l’espèce la légitimité de la perte de son logement, de tenir compte, notamment, de la longue durée de son occupation des lieux et de sa vulnérabilité, causée par son âge avancé (87 ans). La Cour de cassation rejette son pourvoi : si elle concède que  « les mesures d’expulsion et de démolition d’un bien construit illégalement sur le terrain d’autrui caractérisent une ingérence dans le droit au respect du domicile de l’occupant, droit fondamental protégé par l’article 8 » de la Convention européenne des droits de l’homme, elle juge qu’une telle ingérence peut, à l’issue du contrôle de proportionnalité tel qu’il fut, en l’espèce, exercé par les premiers juges, être justifiée par la légitimité du but poursuivi, comme l’est la protection de la propriété privée. En effet, l’ingérence en l’espèce constatée a été considérée comme fondée sur le droit de propriété, tout aussi fondamental, du défendeur au pourvoi, ce droit étant à la fois protégé par l’article 544 du Code civil, selon lequel la propriété est le droit de jouir et de disposer de ses biens de la manière la plus absolue, et par l’article 545 du même code, selon lequel nul ne peut être contraint de céder sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, et moyennant une juste et préalable indemnité. Aussi une telle ingérence visait-t-elle à garantir au propriétaire de terrain le droit au respect de son bien, également protégé, au plan supranational, par l’article 17 de la Déclaration de 1789 et par l’article 1er du protocole additionnel n° 1 de la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour en conclut que l’expulsion et la démolition étaient les seules mesures de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien, en sorte que l’ingérence qui en résultait n’était pas disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée à son droit de propriété. 

Cette décision présente l’intérêt de mettre en balance deux droits fondamentaux, le droit de propriété et le droit au respect de son domicile, dont l’égale valeur normative impliquait l’exercice d’un contrôle judiciaire de proportionnalité.

Si la protection de la propriété privée, depuis que les rédacteurs du code civil l’ont par maintes dispositions promue, est bien connue, celle du droit au respect de son domicile est moins souvent évoquée. 

Ce droit recouvre, notamment, le droit d’être protégé contre les violations ou les atteintes susceptibles d’être portées au lieu où la personne a « son principal établissement » (C. civ., art. 102, al. 1er) et en fait, plus largement, son lieu de vie, professionnel ou privé, qu’elle y habite effectivement ou non, et quelle qu’en soit la configuration (une cabane, un véhicule, etc. ; V. Civ. 3e, 17 déc. 2015, n° 14-22095 et Com. EDH, 30 mai 1974, X. c/ Belgique, n° 5488-72).

Déclinaison de la liberté du domicile, son appartenance à la catégorie des droits et libertés fondamentales ne peut pourtant être contestée, comme sa consécration par plusieurs conventions internationales en atteste. L’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 affirme ainsi que « toute personne a droit à la protection de la loi contre les immixtions arbitraires dans sa vie privée, (…), son domicile, (…) ». Aussi ce droit est-il consacré dans des termes quasiment identiques par l’article 17 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques adopté par l’Assemblée générale des Nations-Unies le 16 décembre 1966. Enfin, comme le rappelle ici la Cour, dans l’ordre européen, la Convention européenne des droits de l’homme prévoit dans son article 8 que « toute personne a droit au respect de (…) de son domicile (…) ». Le respect dû au domicile de toute personne a, de surcroît, une valeur constitutionnelle (Cons. const. 29 déc. 1983, « Perquisitions fiscales », n° 83-164 DC). La protection du domicile est ainsi, depuis longtemps, érigée au rang des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ».

Cet arsenal de protection se comprend dans la mesure où « le domicile est le lieu où les libertés prennent leur dimension maximum, qu’il s’agisse des libertés de la personne physique, de l’expression de la pensée, du travail ou des loisirs » (J. Rivéro et H. Moutouh, Libertés publiques, t. II, Thémis, PUF, 2003, n° 90). De surcroît, le rattachement du respect dû au domicile à celui de la vie privée ne peut qu’accroître l’efficacité du dispositif. 

Quoique largement consacré et promu, le droit au respect du domicile n’est cependant pas protégé de manière absolue. Sous réserve, en effet, du respect d’un certain équilibre, le droit de propriété peut l’emporter (comp. Civ. 3e, 17 déc. 2015, préc.). Tel est l’enseignement de la décision rapportée, dont la proportionnalité de l’atteinte sur laquelle celle-ci est motivée peut toutefois être discutée, l’expulsion et la démolition du bien construit décidées par la Cour constituant en effet une forte atteinte au droit concurrent au respect du domicile d’une personne en état de fragilité. 

Il est enfin important de souligner que l’issue de cette affaire, et du contrôle de proportionnalité exercé, a notamment dépendu d’éléments de preuve puisqu’en effet, alors qu’il résultait d’un acte notarié de partage que le défendeur au pourvoi était bien propriétaire de la parcelle litigieuse, le demandeur au pourvoi, quant à lui, n’avait pas réussi à rapporter la preuve d’une prescription trentenaire…

Voilà comment le domicile s’acquiert, puis se perd…

Civ. 3e, 17 mai 2018, n° 16-15.792

Références

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 8

« Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

■ Déclaration de 1789

Article 17

« La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. »

■ Protocole additionnel n° 1 de la Convention européenne des droits de l’homme

Article 1er

« Protection de la propriété.   Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

  Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

■ Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948

Article 12

« Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes à son honneur et à sa réputation. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »

■ Pacte international relatif aux droits civils et politiques 

Article 17

« 1. Nul ne sera l'objet d'immixtions arbitraires ou illégales dans sa vie privée, sa famille, son domicile ou sa correspondance, ni d'atteintes illégales à son honneur et à sa réputation.

  2. Toute personne a droit à la protection de la loi contre de telles immixtions ou de telles atteintes. »

■ Civ. 3e, 17 déc. 2015, n° 14-22.095 P : AJDA 2015. 2467 ; D. 2016. 72 ; RDI 2016. 100, obs. P. Soler-Couteaux ; AJCT 2016. 283, obs. E. Péchillon ; RTD civ. 2016. 398, obs. W. Dross ; ibid. 449, obs. N. Cayrol.

■ Com. EDH, 30 mai 1974, X. c/ Belgique, n° 5488-72.

■ Cons. const. 29 déc. 1983, « Perquisitions fiscales », n° 83-164 DC : GDCC, Dalloz, 12e éd., n° 34, p. 563.

 

Auteur :M. H.

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