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[ 23 mars 2021 ] Imprimer

Droit de la famille

Droit de visite médiatisé à l’égard d’un enfant placé : précisions sur la répartition des pouvoirs du juge et du gardien de l’enfant

Par un arrêt rendu le 10 février dernier, la Cour de cassation confirme l’application récente de l’article 1199-3 du Code de procédure civile au droit de visite accordé aux parents d’un enfant placé au titre de l’assistance éducative et la répartition des pouvoirs attribués au juge des enfants et, le cas échéant, au gardien de l’enfant, qui en résulte.

Civ. 1re, 10 févr. 2021, n° 19-24.640

Un juge des enfants ordonne le placement d’un mineur à l’aide sociale à l’enfance et accorde à ses parents un droit de visite médiatisé à mettre en œuvre par le service auquel l’enfant sera confié ou le cas échéant, par les parents eux-mêmes. La mère, reprochant au juge de ne pas avoir déterminé lui-même la nature et les modalités du droit de visite qu’il avait ordonné alors qu’il en avait l’obligation, sauf à s’en remettre, sous son contrôle, à une détermination conjointe de celles-ci entre les parents et le service d’accueil de l’enfant, forme un pourvoi en cassation, accueilli par les Hauts magistrats. Au visa des articles 375-7, alinéa 4, du Code civil et 1199-3 du Code de procédure civile, ils jugent qu’« il résulte de la combinaison de ces textes que, lorsque le juge des enfants décide que le droit de visite du ou des parents de l’enfant confié à une personne ou un établissement ne peut être exercé qu’en présence d’un tiers, il en fixe la fréquence dans sa décision, sauf à ce que, sous son contrôle, les conditions d’exercice de ce droit soient laissées à une détermination conjointe entre le ou les parents et la personne, le service ou l’établissement à qui l’enfant est confié ».

L’arrêt rapporté vient confirmer la solution rendue l’année dernière, presque jour pour jour, par la même chambre (Civ. 1re, 15 janv. 2020, n° 18-25.313 et n° 18-25.894), dont l’enseignement majeur résidait dans les contours de l’office du juge des enfants dans un domaine particulièrement sensible, celui du droit de visite « médiatisé » par la présence d’un tiers, des parents dont l’enfant est placé au titre de l’assistance éducative. À cette occasion, la Haute Cour avait pour la première fois appliqué l’article 1199-3 du Code de procédure civile, issu du décret n° 2017-1572 du 15 novembre 2017 précisément relatif aux modalités d'organisation de la visite en présence d'un tiers (sur lequel, L. Gebler, « Encadrement du droit de visite des parents de l’enfant placé », AJ fam. 2017. 614; A. Denizot, « L’organisation insouciante des visites en présence d’un tiers », RTD civ. 2018. 230). Combiné avec l’article 375-7 du Code civil, qui fonde le principe et détermine les conditions d’exercice du droit de visite du ou des parents de l'enfant placé, elle avait, à l’appui de ces deux textes, affirmé sa volonté de contrôler le respect des exigences relatives aux modalités de ce droit de visite médiatisé (v. dernièrement, Civ. 1re, 14 oct. 2020, n° 19-11.156) en vérifiant, principalement, que le juge ne délaisse pas ses pouvoirs, lorsqu’il les partage avec le gardien de l’enfant, ainsi qu’il lui incombe en cette matière. Les faits ayant donné lieu à ces deux arrêts fondateurs du nouveau régime applicable au droit de visite médiatisé ressemblent à s’y méprendre à ceux de l’espèce rapportée : de graves désordres familiaux mettant l’enfant en péril avaient conduit le juge des enfants à le placer, au titre de l’assistance éducative, hors de son cercle familial, tout en conférant à ses parents un droit de visite « médiatisé », donc en présence d’un tiers. Dans les deux affaires précitées comme dans celle rapportée, il s’agissait de savoir si le juge des enfants avait valablement rempli son office dans la détermination des modalités d’exercice de ce droit, ce qui était contesté par les mères de ces enfants, justifiant leur pourvoi en cassation.

La question de la fixation des modalités d’exercice du droit de visite parental à l’égard d’un enfant placé, donc retiré à ses parents, en raison du danger auxquels l’exposent ces derniers, présente un enjeu certain. Un équilibre doit être trouvé entre la protection de l’enfant contre sa famille et le maintien des liens de l’enfant avec sa famille. Un exercice d’équilibriste, précisément, puisque le juge doit s’y livrer selon des règles et une procédure strictes entremêlant un texte de portée générale et des dispositions spéciales. 

Fondateur du droit de visite des parents de l’enfant placé, l’article 375-7 du Code civil, s’il préserve le principe de leur autorité parentale (C. civ., art. 375-7, al. 1er : « Les père et mère de l’enfant bénéficiant d’une mesure d’assistance éducative continuent à exercer tous les attributs de l’autorité parentale qui ne sont pas inconciliables avec cette mesure ») et garantit le maintien de leurs liens avec l’enfant, encadre toutefois strictement, depuis une loi de 2016 relative à la protection de l’enfance (Loi n° 2016-297 du 14 mars 2016), les modalités et conditions d’exercice de leur droit de visite : ainsi, le quatrième alinéa de ce texte dispose depuis que « (s)’il a été nécessaire de confier l’enfant à une personne ou un établissement, ses parents conservent un droit de correspondance ainsi qu’un droit de visite et d’hébergement. Le juge en fixe les modalités […]. Il peut également, par décision spécialement motivée, imposer que le droit de visite du ou des parents ne peut être exercé qu’en présence d’un tiers qu’il désigne lorsque l’enfant est confié à une personne ou qui est désigné par l’établissement ou le service à qui l’enfant est confié. Les modalités d’organisation de la visite en présence d’un tiers sont précisées par décret en Conseil d’État ». Cette disposition renvoie ainsi indirectement à l’article 1199-3 du Code de procédure civile créé en application du décret précité de 2017 et selon lequel « (l)a fréquence du droit de visite en présence d’un tiers est fixée dans la décision judiciaire sauf à ce que, sous le contrôle du juge, les conditions d’exercice de ce droit soient laissées à une détermination conjointe entre le ou les parents et la personne, le service ou l’établissement à qui l’enfant est confié » (que nous désignerons ci-après, pour se conformer à la terminologie judiciaire, sous les termes de « gardien de l’enfant »).

La difficulté née de la nouvelle combinaison de ces dispositions réside dans la détermination et la répartition des pouvoirs à attribuer au juge et au gardien de l’enfant. Comment articuler le principe selon lequel le juge des enfants fixe les modalités du droit de visite accordé aux parents d’un enfant placé avec la règle spéciale prévoyant l’hypothèse de l’exercice d’un tel droit en présence d’un tiers ? D’ailleurs, avant même de se poser sur un plan théorique, la question avait été soulevée par la pratique révélant, au mépris du principe acquis selon lequel le juge fixe les modalités du droit de visite des parents de l’enfant placé, la tendance de certains juges à déléguer leurs pouvoir de détermination et d’organisation de ce droit de visite au gardien de l’enfant. Le pragmatisme qui motivait leurs démarches n’a cependant pas suffi à les faire avaliser par la Cour de cassation (v. sur ce point, M. Huyette, note sous Civ. 1re, 13 oct. 1998, n° 98-05.008), reprochant aux juges de méconnaître ainsi l’étendue de leurs pouvoirs, lesquels consistent non seulement à fixer la durée de la mesure mais également à déterminer celle des rencontres organisées, ainsi que leur périodicité. Contra legem, cette pratique judiciaire s’est pourtant poursuivie, comme en atteste la décision rapportée et la cassation en l’espèce prononcée à l’issue du contrôle strict, renouvelé par la Haute cour, sur la juste répartition des pouvoirs entre le juge des enfants et le gardien de l’enfant. Or il apparaît, malgré l’éclairage apporté par cette nouvelle décision, que l’articulation des divers textes applicables au droit de visite médiatisé et la répartition, qui en résulte, des pouvoirs respectivement attribués au juge et au gardien de l’enfant, restent en partie incertaines. Quelques enseignements semblent toutefois pouvoir être dégagés de l’arrêt rapporté.

L’article 1199-3 du Code de procédure civile désormais appliqué dispose que lorsqu’est décidé que le droit de visite s’exercera en présence d’un tiers, le juge doit par principe en fixer la périodicité à moins qu’il ne « laisse », donc qu’il délègue, les modalités d’exercice de ce droit au gardien de l’enfant, en collaboration avec le parent concerné et sous son contrôle. Malgré la préférence que semble marquer ce texte, conformément à l’article 375-7 du Code civil, pour une fixation de la fréquence des visites par le juge, sa mise en œuvre par la Cour de cassation s’oriente plutôt vers une alternative possible, sans principe hiérarchique, entre le juge ou le gardien de l’enfant, également compétent (v. Civ. 1re, 15 janv. 2020, préc. ; v. sur ce point, « Droit de visite médiatisé à l’égard d’un enfant placé : premières applications de l’article 1199-3 du c. pr. civ. », L. Gareil-Sutter, Dalloz Actu., 30 janv. 2020). Toutefois, cette alternative n’est possible qu’à la condition que cette délégation ne soustraie pas le gardien de l’enfant au contrôle du juge ni à l’accord des parents, autrement dit, que ce relais n’aboutisse pas à laisser au gardien de l’enfant un pouvoir unilatéral de fixation des modalités d’organisation du droit de visite. En effet, si le juge peut déléguer son entier pouvoir d’organisation des visites au gardien de l’enfant, il demeure tenu, en pareille hypothèse, d’en contrôler l’exercice, comme il doit veiller à ce que ses modalités résultent d’un accord entre le gardien de l’enfant et les parents bénéficiaires du droit de visite. 

Or en l’espèce, non seulement le juge des enfants n’avait pas fixé la périodicité du droit de visite mais il avait confié la fixation de ces modalités au seul gardien de l’enfant, sans la faire dépendre d’un accord entre ce dernier et les parents. C’est cette double méconnaissance par le juge de l’étendue de ses pouvoirs qui justifie en l’espèce la cassation de l’arrêt d’appel, comme elle avait motivé celle du second arrêt rendu l’année dernière (n° 18-25.894 ; comp. n° 18-25.313, jugeant au contraire le moyen non fondé au motif qu’en accordant à Mme C. « un droit de visite médiatisé, dont ils ont prévu que les modalités, notamment la périodicité, seraient déterminées selon l’accord des parties, et dit qu’il en serait référé au juge en cas de difficulté, la cour d’appel a fait l’exacte application des (des art. 375-7, al. 4, du Code civil et 1199-3 du Code de procédure civile »).

Se confirment ainsi les conséquences de l’alternative proposée l’an dernier par la Haute cour : soit le droit de visite s’exerce sans la présence d’un tiers et le juge doit en fixer les modalités d’exercice (C. civ., art. 375-7, al. 4) ou du moins, la nature et la fréquence (C. civ., art. 375-7, al. 5) ; soit le droit de visite est médiatisé en présence d’un gardien et le juge peut lui déléguer l’ensemble de ces modalités sous la réserve d’un accord entre ce dernier et le ou les parents bénéficiaires et sous son contrôle (Cf, L. Gareil-Sutter, op. cit.).

Au regard des textes applicables, principalement de l’article 1199-3 du Code de procédure civile, la solution est d’une parfaite orthodoxie. La Haute cour renouvelle ici son contrôle, qu’elle veut serré, de la délégation par le juge de son pouvoir, qui s’apparente aussi à un devoir, de fixation des modalités du droit de visite médiatisé qu’il ordonne : celle-ci n’est possible que dans la mesure où le juge s’assure de l’accord obtenu entre le gardien de l’enfant et ses parents. Ce cantonnement est nécessaire au regard de la finalité plus largement poursuivie, résidant dans le respect des intérêts et des droits respectifs de l’ensemble des protagonistes, d’où l’importance conférée à la recherche d’un accord susceptible d’être trouvé pour parvenir à leur conciliation et au contrôle subséquent du juge, qui ne peut se dispenser de superviser cette entreprise de médiation.

Références :

■ Civ. 1re, 15 janv. 2020, n° 18-25.313 P et n° 18-25.894 P: D. 2020. 79 ; ibid. 2021. 499, obs. M. Douchy-Oudot ; AJ fam. 2020. 182, obs. F. Eudier ; RTD civ. 2020. 360, obs. A.-M. Leroyer

■ Civ. 1re, 14 oct. 2020, n° 19-11.156

■ Civ. 1re, 13 oct. 1998, n° 98-05.008 P: D. 1999. 123, note M. Huyette ; ibid. 201, obs. F. Granet ; RDSS 1999. 187, obs. F. Monéger ; RTD civ. 1999. 75, obs. J. Hauser

 

Auteur :Merryl Hervieu


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