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Procédure pénale
Droit pénal des mineurs : inconstitutionnalité partielle des relevés signalétiques contraints et réserve d’interprétation sur la détention provisoire
Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a apporté des précisions sur la détention provisoire des mineurs décidée par un juge de droit commun et a censuré le relevé d’empreintes et la prise de photographies effectués sous contrainte dans le cadre du régime de l’audition libre.
Cons. const. 10 févr. 2023, n° 2022-1034 QPC
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 30 novembre 2022 par le Conseil d’État (CE 29 nov. 2022, req. n° 464528) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur les dispositions de l'article 397-2-1 du Code de procédure pénale, du quatrième alinéa de l'article 55-1 du Code de procédure pénale et des articles L. 413-16 et L. 413-17 du Code de la justice pénale des mineurs, dans leur rédaction issue de la loi du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure. Les textes permettent le recours à des relevés signalétiques contraints en garde à vue et en audition libre (pour les mineurs comme pour les majeurs) et le placement ou le maintien en détention provisoire d'un mineur décidé par un juge de droit commun saisi du fait d'une erreur sur la majorité de l’intéressé. Les sages émettent des réserves d’interprétation dans les deux hypothèses et déclarent contraires à la Constitution quelques mots de l’article 55-1 du Code de procédure pénale.
S’agissant de la détention provisoire des mineurs, les requérants (le syndicat de la magistrature, le syndicat des avocats de France et l’association Groupe d’information et de soutien des immigrés) reprochaient à l’article 397-2-1 du Code de procédure pénale de méconnaître l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant, la présomption d’innocence et le principe d’égalité devant la Justice. La disposition permet à un tribunal correctionnel (saisi selon la procédure de comparution immédiate ou de comparution à délai différé) ou à un juge des libertés et de la détention (saisi sur le fondement de l’article 396 du même code), qui constate qu’un mineur âgé d’au moins treize ans (CJPM, art. L. 13-2 et L. 334-1), lui a été présenté par erreur, de pouvoir le placer ou le maintenir en détention provisoire jusqu’à sa comparution devant une juridiction pour mineurs, dès lors que la décision s’impose pour garantir le maintien du mineur à la disposition de la justice. Il était spécialement improuvé le fait que le tribunal correctionnel n’est pas une juridiction spécialisée tenue de respecter la procédure pénale spécifique aux mineurs et qu’il ne prévoit aucune condition de gravité quant à l’infraction reprochée au mineur. Le Conseil constitutionnel émet une réserve d’interprétation, appelant ainsi à la prudence sans pour autant considérer que le texte soit contraire à la Constitution. Il évoque d’abord que la juridiction de droit commun doit vérifier, au regard des circonstances, de la situation personnelle du mineur et de la gravité de l’infraction reprochée, que le placement ou le maintien en détention provisoire « n’excède pas la rigueur nécessaire » (§ 12). La décision doit être spécialement motivée et être prise uniquement après avoir entendu les réquisitions du procureur de la République et les observations du mineur et de son avocat. Il va de soi que les conditions permettant le recours à la détention provisoire, posées par le Code de la justice pénale des mineurs, et notamment la condition de gravité de l’infraction reprochée, doivent être respectées (la mesure n’est possible pour un mineur de 13 à 16 ans, uniquement pour des faits de nature criminelle ou en cas de violation caractérisée de l’obligation de respecter les conditions d’un placement dans un centre éducatif fermé prononcé dans le cadre d’un contrôle judiciaire, CJPM, art. L. 334-4 ; pour un mineur âgé d’au moins 16 ans, s’ajoute la possibilité de décider d’une détention provisoire si le délit reproché fait encourir une peine d’au moins 3 ans d’emprisonnement, CJPM, art. L. 334-5). Le Conseil rappelle ensuite que la détention s’effectue obligatoirement soit dans un établissement pénitentiaire spécialisé pour mineurs, soit au sein d’un quartier pour mineurs d'un établissement pénitentiaire ou d'une unité spéciale pour mineures au sein d'une maison d'arrêt, dans lesquels la séparation d’avec les majeurs et l’intervention continue des services de la protection judiciaire de la jeunesse sont garanties (CJPM, art. L 124-1). Enfin, le Conseil constitutionnel alerte sur une condition de délai (§ 13), essentielle au respect du PFRLR en matière de justice des mineurs « de la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées » (§ 8) : le mineur placé ou maintenu en détention provisoire doit comparaître devant une juridiction spécialisée pour mineurs dans les 24 heures et à défaut il est d’office remis en liberté (§ 9). Il ressort de la lecture combinée des dispositions du Code de la justice pénale des mineurs et de l’article 397-2-1 du Code de procédure pénale que le cadre juridique applicable offre suffisamment de garanties au regard de l’objectif poursuivi, la sauvegarde de l’ordre public (objectif à valeur constitutionnelle), pour ne méconnaître aucun principe constitutionnel (§ 15). Les précisions apportées invitent toutefois à strictement circonscrire les décisions de placement ou de maintien en détention provisoire pour un mineur. Ici à peine voilée, l’exigence de nécessité prévue par l’article L. 334-2 du Code de la justice pénale des mineurs (la détention provisoire doit être l’unique moyen d’atteindre l’un des objectifs de l’article 144 du Code de procédure pénale, en raison de l’insuffisance des obligations d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence sous surveillance électronique) doit toujours guider le juge, quel qu’il soit, enjoint à apprécier in concreto la situation personnelle du mineur et la gravité des faits.
A propos de la prise d’empreintes digitales ou palmaires ou de photographies d’une personne entendue sous le régime de la garde à vue ou de l’audition libre, prévue par l’article 55-1 alinéa 4 du Code de procédure pénale et les articles L. 413-16 et L. 413-17 du Code de la justice pénale des mineurs, les requérants critiquaient le recours à la contrainte alors même que la mesure n’est pas directement nécessaire à la manifestation de la vérité (elle sert surtout à alimenter les fichiers) et qu’elle n’est pas toujours justifiée par la gravité des infractions. Bien que ces opérations ne supposent pas de geste invasif (comme une intervention corporelle interne), leur réalisation sans consentement et avec le recours à la force interroge. Le Conseil constitutionnel émet en premier lieu une réserve d’interprétation essentielle en considérant qu’une telle opération réalisée sans le consentement de la personne, majeure ou mineure, ne peut pas être effectuée sans la présence de son avocat, des représentants légaux ou de l’adulte approprié (§ 23). La sauvegarde de la dignité de la personne humaine et le droit au respect de la vie privée l’imposent. Il n’est pour autant pas souhaité d’empêcher les relevés signalétiques, y compris pratiqués sous contrainte, car ils visent à faciliter l’identification des personnes mises en cause au cours d’une enquête pénale (objectif à valeur constitutionnelle de recherche des auteurs d’infractions). Simplement, le but ne justifie pas n’importe quelle mise en œuvre des moyens : le recours à la mesure sous contrainte oui, mais en présence de l’avocat. La condition de gravité relative des infractions permettant d’user de la contrainte (un crime ou un délit puni d’au moins 3 ans d’emprisonnement ou 5 ans lorsqu’il s’agit d’un mineur) est compensée par le strict cadre légal prévu (notamment l’autorisation écrite du procureur de la République préalablement saisi d’une demande motivée par un officier de police judiciaire et la prise en compte de la vulnérabilité de la personne et de la situation particulière du mineur, § 21). En second lieu, le Conseil censure les mots « 61-1 ou » du quatrième alinéa de l’article 55 du code de procédure pénale (§ 24 et 25) en ce qu’ils autorisent de recourir à la force dans le cadre de l’audition libre où l’absence de contrainte pourtant règne (la personne, majeure ou mineure, doit être entendue sans contrainte et doit pouvoir quitter les locaux où elle est entendue à tout moment ; C. pr. pén., art. 61-1) et doit continuer à primer (cette fois le but poursuivi ne justifie pas tous les moyens).
La déclaration d’inconstitutionnalité est d’application immédiate (elle demeure sans effet sur les mesures prises avant la publication de la décision), le Conseil n’ayant relevé aucun motif particulier justifiant un report (§ 27). A l’avenir, la prise d’empreinte ou de photographie n’est possible que dans le cadre de la garde à vue d’un majeur ou d’un mineur âgé d’au moins 13 ans et en présence de l’avocat ou, pour le mineur, des représentants légaux ou de l’adulte approprié. Il est tout de même regretté que le Conseil constitutionnel n’aborde pas le reproche formulé sur l’article L. 413-17 du Code de la justice pénale des mineurs qui vise les mineurs « manifestement âgés de 13 ans ». Le manque de rigueur dans la formulation questionne l’exigence de protection de l’intérêt supérieur de l’enfant (à valeur constitutionnelle, v. Cons. const. 21 mars 2019, n° 2018-768 QPC), faute de prévoir expressément l’impossibilité de recourir à de telles opérations pour le mineur de 13 ans.
Références :
■ CE 29 nov. 2022, req. n° 464528 B
■ Cons. const. 10 févr. 2023, n° 2022-1034 QPC : D. 2023. 298.
■ Cons. const. 21 mars 2019, n° 2018-768 QPC : AJDA 2019. 662 ; ibid. 1448, note T. Escach-Dubourg ; D. 2019. 742, et les obs., note P. Parinet ; ibid. 709, point de vue H. Fulchiron ; ibid. 1732, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 2020. 1324, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; AJ fam. 2019. 222, obs. A. Bouix ; RDSS 2019. 453, note A.-B. Caire ; Constitutions 2019. 152, Décision ; Rev. crit. DIP 2022. 273, étude T. Fleury Graff et a. la collaboration d'Inès Giauffret.
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