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[ 11 février 2013 ] Imprimer

Libertés fondamentales - droits de l'homme

Droits successoraux : condamnation de la France pour discrimination entre enfants nés hors ou pendant le mariage

Mots-clefs : Droits successoraux, Types de filiation, Discrimination

Le refus d’accorder à un enfant « adultérin » les droits successoraux auxquels il pouvait prétendre en vertu d’une nouvelle loi est injustifié.

Un enfant « adultérin » né en 1943 mais dont la filiation fut judiciairement établie en 1983, soit quarante ans plus tard, fut écarté de la succession par donation-partage du couple formé par sa mère et son conjoint au profit de leurs enfants légitimes en 1970. Il intenta une action en justice, en 1998, afin de se voir attribuer une part dans la succession de sa mère décédée en 1994. À cette époque, la loi du 3 janvier 1972 prévoyait que l’enfant adultérin pouvait prétendre à la succession à concurrence de la moitié de la part d’un enfant légitime. Après la condamnation de la France par la CEDH dans l’arrêt Mazurek du 1er février 2000 (violation de l’art. 1er du Protocole n°1 combiné à l’art. 14), le législateur a modifié par une loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 le droit des successions en supprimant les dispositions du Code civil qui restreignaient les droits successoraux des enfants adultérins. Cela étant, devant le juge judiciaire, ni la loi du 3 janvier 1972 ni celle du 1er février 2001 ne furent appliquées au requérant au motif que l’acte de partage étant intervenu en 1970 et le décès de la mère en 1994, les dispositions transitoires de ces deux lois interdisaient de remettre en cause les droits acquis par les bénéficiaires en 1970. Un an après que son pourvoi fut rejeté par la Cour de cassation, une requête fut introduite devant la CEDH.

Invoquant l’article 14 (interdiction de la discrimination) combiné avec les articles 1er du Protocole n°1 (protection de la propriété) et 8 (droit au respect de la vie privée) de la Conv. EDH, le requérant se plaignait de l’impossibilité de faire valoir ses droits successoraux.

Dans son arrêt de chambre du 21 juillet 2011, la Cour a conclu à la non-violation de l’article 14 combiné avec l’article 1er du Protocole n°1. Selon elle, l’interprétation des dispositions transitoires des lois de 1972 et de 2001 par les juridictions nationales « n’apparaît pas comme étant déraisonnable, arbitraire ou en flagrante contradiction avec l’interdiction de discrimination établie à l’article 14 » et poursuivait le but légitime de garantir le principe de sécurité juridique. Par conséquent, les juridictions nationales ont « correctement mis en balance » les intérêts en présence à savoir les droits acquis de longue date par les enfants légitimes et les intérêts pécuniaires du requérant.

Le 6 septembre 2011, le requérant a demandé le renvoi de l’affaire devant la Grande chambre (Conv. EDH, art. 43).

Dans son arrêt, définitif (Conv. EDH, art.44), la Cour a estimé que le but légitime de protection des droits successoraux des enfants légitimes de la mère du requérant ne prévalait pas sur la prétention de ce dernier d’obtenir une part de l’héritage litigieux et que la différence de traitement à son égard était discriminatoire, n’ayant pas de justification objective et raisonnable.

Avant de parvenir à cette conclusion, la Cour a dû, par la voie du contrôle de proportionnalité, rechercher si la différence de traitement subie par le requérant poursuivait un but légitime et le cas échéant, si cette différence de traitement était proportionnée à ce but légitime. En premier lieu, elle juge légitime l’objectif de protection des droits acquis des héritiers (en l’espèce le demi-frère et la demi-sœur du requérant) justifiait, au nom du principe de sécurité juridique, de limiter l’effet rétroactif de la loi de 2001 aux successions n’ayant pas fait l’objet d’un partage à cette date, légitimant ainsi la différence de traitement opérée. En revanche, la proportionnalité de cette différenciation au but poursuivi, en second lieu recherchée, est écartée.

La motivation tient en trois points : 

– d’abord, la nécessaire connaissance, par les héritiers, d’une possible remise en cause de leurs droits compte tenu de l’état du droit, déjà modifié à l’époque des faits et notamment, lorsque l’action du requérant était pendante en France ;

– ensuite, la nécessaire connaissance, par ces mêmes héritiers, de l’existence de leur demi-frère, dont la reconnaissance comme fils « naturel » de leur mère avait été établie par jugement en 1983 ;

– enfin, la nécessité de protéger les droits des héritiers ne peut être absolue, comme le prouve la règle française autorisant un enfant légitime né après une donation ou exclu du partage à ne pas se voir opposer une fin de non-recevoir.

En modulant le principe de sécurité juridique différemment selon le type de filiation en cause, la Cour de cassation a violé le principe de non-discrimination, grief d’ailleurs soulevé par le requérant et auquel elle n’avait pas répondu.

CEDH, gr. ch., 7 févr. 2013, Fabris c./France, n° 16574/08

Références

 CEDH, 1er février 2000, Mazurek c./ France, n°34406/97, Dalloz Actu Étudiant, 30 août 2011,  v. les références.

 CEDH 21 juill. 2011Fabris c/ France, n° 16574/08, Dalloz Actu Étudiant, 30 août 2011.

 Convention européenne des droits de l’homme

Article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale 

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

Article 14 - Interdiction de discrimination

« La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »

Article 43 - Renvoi devant la Grande Chambre

« 1. Dans un délai de trois mois à compter de la date de l’arrêt d’une chambre, toute partie à l’affaire peut, dans des cas exceptionnels, demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre. 

2. Un collège de cinq juges de la Grande Chambre accepte la demande si l’affaire soulève une question grave relative à l’interprétation ou à l’application de la Convention ou de ses Protocoles, ou encore une question grave de caractère général.

3. Si le collège accepte la demande, la Grande Chambre se prononce sur l’affaire par un arrêt. »

Article 44 - Arrêts définitifs

« 1. L’arrêt de la Grande Chambre est définitif. 

2. L’arrêt d’une chambre devient définitif 

a) lorsque les parties déclarent qu’elles ne demanderont pas le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre ; ou 

b) trois mois après la date de l’arrêt, si le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre n’a pas été demandé ; ou 

c) lorsque le collège de la Grande Chambre rejette la demande de renvoi formulée en application de l’article 43. 

3. L’arrêt définitif est publié. »

■ Protocole additionnel

Article 1er - Protection de la propriété

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. 

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les États de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

 

Auteur :M. H.

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