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Droit des obligations
Du devoir de mettre en garde la sous-caution : la liberté provisoire de la caution de premier rang
La sous-caution ne garantit pas la dette du débiteur principal envers le créancier, mais la dette de remboursement du débiteur principal envers la caution qui a payé à sa place le créancier. Il s’en déduit, pour les cautionnements antérieurs au 1er janvier 2022, que la caution, qui n'est pas le dispensateur de crédit, n'est tenue d'aucun devoir de mise en garde à l'égard de la sous-caution sur le risque d'endettement né de l'octroi du prêt garanti, lequel résulte de l'inadaptation du prêt aux capacités financières de l'emprunteur.
Com. 2 avr. 2025, n° 23-22.311
Par acte authentique du 15 mars 2012, une banque consent à une société un prêt garanti par le cautionnement d’une seconde société, au profit de laquelle une personne physique se rend elle-même caution. La configuration est donc celle d’un sous-cautionnement, défini comme le contrat par lequel une personne s’oblige envers la caution à payer ce que peut lui devoir le débiteur à raison du cautionnement (C. civ., art. 2291-1) : pour garantir son recours personnel, la société caution dite « de premier rang » sollicite l’engagement d’une tierce personne et conclut un second contrat de sous-cautionnement avec une autre caution, appelée « sous-caution ». La caution qui éprouvera des difficultés à se faire rembourser par le débiteur principal pourra ainsi se retourner contre la sous-caution. Le sous-cautionnement en l’espèce conclu ne doit pas être confondu avec la certification de caution définie par l’article 2291 : « on peut se porter caution, envers le créancier, de la personne qui a cautionné le débiteur principal ». Dans le premier cas, la sous-caution garantit la caution contre la défaillance du débiteur principal ; dans le deuxième cas, le certificateur garantit le créancier contre une éventuelle défaillance de la caution.
Au cas d’espèce, la défaillance de la débitrice principale conduit la banque à appeler la caution en paiement. Après avoir honoré son engagement, celle-ci diligente des mesures d'exécution contre la sous-caution, qui s’exécute à son tour. Mais s’estimant victime d’un défaut de mise en garde par la caution contre le risque d’endettement que son engagement lui a fait courir, la sous-caution assigne la caution principale en indemnisation. La cour d’appel rejette sa demande au motif que la société s’étant portée caution n’est pas un établissement de crédit en sorte qu’affranchie des obligations du prêteur, celle-ci ne peut être tenue d’un devoir de mise en garde. Devant la Cour de cassation, la sous-caution soutient au contraire qu’une caution professionnelle est tenue d'un devoir de mise en garde à l'égard de la sous-caution non avertie dès lors qu’il existe un risque d'endettement excessif né de l'octroi du prêt garanti, risque en l’espèce avéré par l'inadaptation du prêt aux capacités financières de la débitrice. La Cour de cassation rejette le pourvoi fondé sur un devoir de mise en garde de la sous-caution auquel la caution n’est pas tenue. Pour justifier son refus de rendre la caution débitrice d’un tel devoir, la chambre commerciale procède d’abord par différenciation de la dette garantie. Elle rappelle que dans le sous-cautionnement, la dette garantie est celle née du rapport entre le débiteur principal et la caution de premier rang. Cet engagement a donc pour objet non pas de garantir la dette du débiteur principal envers le créancier (ie à l’instar de la caution), mais la dette de remboursement du débiteur principal envers la caution qui a payé à sa place le créancier (pt 6 ; v. Com. 13 sept. 2021, n° 10-21.370 : l’engagement de la sous-caution est accessoire à l’obligation éventuelle de remboursement du débiteur principal envers la caution de premier rang qui aura, au préalable, réglé la dette au créancier, la dette de la sous-caution naissant en même temps que celle de la caution principale). Cependant, il ne nous semble pas que l’objet propre à la dette garantie par la sous-caution, qui ne porte pas sur l’engagement principal né du prêt garanti par la caution mais sur la dette de remboursement du débiteur principal, soit de nature à exclure l’obligation de la caution de la mettre en garde : ce seul élément ne suffit pas à remettre en cause la similarité des deux garanties, incompatible avec leur autonomie, le sous-cautionnement n’étant qu’une variété du cautionnement servant à garantir le recours personnel de la caution solvens et à sécuriser, in fine, sa contribution à la dette. Leur absence d’indépendance ne permet pas d’expliquer le refus d’étendre à la sous-caution l’obligation de mise en garde dont la caution est, quant à elle, créancière, d’autant moins que c’est bien la sous-caution qui supportera en définitive le risque d’insolvabilité du débiteur au moment d’exercer son propre recours en remboursement. Davantage que la différence d’objet des dettes garanties, l’absence de lien entre le créancier et la sous-caution paraît expliquer le choix de la chambre commerciale de cantonner le devoir de mise en garde aux rapports entre le créancier et la caution. C’est traditionnellement en raison de l’autonomie du créancier et de la sous-caution que celle-ci ne peut opposer à la caution des exceptions inhérentes à la dette ou tirées du rapport principal entre le créancier et le débiteur (Com. 27 mai 2008, n° 06-19.075). Cette inopposabilité est toutefois compensée par la possibilité de la sous-caution d’assigner la caution en raison de la faute qu’elle a commise en oubliant d’invoquer ce type d’exception lors de l’action en paiement formée par le créancier. En revanche, sur le terrain de l’obligation de mise en garde, la sous-caution, même non avertie, ne peut rechercher la faute de la caution, même professionnelle, cette dernière n’ayant pas la qualité de créancier dispensateur de crédit. C’est le deuxième argument, suivant celui tiré de la nature de la dette cautionnée, qui justifie ici le refus de la Cour d’obliger la caution à mettre en garde la sous-caution : faute d’exercer son activité dans le domaine du crédit, la caution ne peut se voir reprocher un manquement à une obligation dont elle n’est pas, pour cette raison, tenue. Cependant, depuis la réforme du 15 septembre 2021, le devoir de mise en garde incombe en principe à tout « créancier professionnel » (C. civ. art. 2299), qu’il exerce ou non dans le domaine du crédit. Le cantonnant aux seuls établissements bancaires, la chambre commerciale refuse en l’espèce d’étendre ce devoir à une caution dont l’activité professionnelle est étrangère au domaine du crédit (pt 7). Cette dernière justification interroge naturellement la portée de la solution. Celle-ci devrait en effet être remise en cause par le nouvel article 2299 du Code civil, qui fait peser de manière générale sur tout créancier professionnel l’obligation de mettre en garde la caution personne physique lorsque l’engagement du débiteur principal est inadapté aux capacités financières de ce dernier. Or rien ne s’oppose, à premières vues, à ce que cette disposition puisse s’appliquer à la caution professionnelle qui sollicite un sous-cautionnement : dans cette configuration, la caution de premier rang devrait, en qualité de créancier professionnel, être rendue débitrice du devoir de mettre en garde sa sous-caution (P. Simler et P. Delebecque, Droit des sûretés et de la publicité foncière, 8e éd., Dalloz, coll. « Précis », n° 132). Cependant, outre la codification du devoir de mise en garde, l’ordonnance a innové en créant un devoir inédit d’information de la caution au profit de la sous-caution qui n’inclut pas expressément le devoir de mise en garde (C. civ., art. 2304). Il n’en reste pas moins qu’eu égard à la généralité des termes du nouvel article 2299 du Code civil, la pérennité de la solution ici rendue sur le fondement du droit ancien reste compromise … sauf à ce que la Cour de cassation continue de restreindre, sur le fondement du droit nouveau, le devoir de mise en garde aux seuls créanciers dispensateurs de crédit, en sorte qu’une caution dont l’activité professionnelle est autre resterait, ainsi qu’en l’espèce, libre de ne pas mettre en garde sa sous-caution.
Sans ambiguïté écarté pour les garanties antérieures au 1er janvier 2022, le devoir de mise en garde de la sous-caution sur l’inadaptation de l’engagement aux capacités financières du débiteur principal devrait au contraire être imposé pour les cautionnements postérieurs, sous la réserve éventuelle d’un régime différencié selon l’activité exercée par la caution. Autant d’interrogations soulevées par l’arrêt rapporté, auxquelles la jurisprudence à venir viendra certainement répondre.
Références :
■ Com. 13 sept. 2021, n° 10-21.370 : Rev. sociétés 2012. 500, note J.-F. Barbièri
■ Com. 27 mai 2008, n° 06-19.075 : D. 2008. 2399, obs. V. Avena-Robardet, note O. Gout ; RTD civ. 2008. 517, obs. P. Crocq ; RTD com. 2008. 611, obs. D. Legeais
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