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Droit des obligations
Durée de la garantie des vices cachés : la chambre mixte a tranché !
L’action en garantie des vices cachés doit être engagée dans un délai de deux ans, à compter de la découverte du défaut par l’acquéreur. Ce délai est un délai de prescription qui peut donc être suspendu, en particulier lorsqu’une mesure d’expertise a été ordonnée. Elle est également enfermée dans un délai butoir de vingt ans, qui s’écoule à compter de la vente du bien vicié.
Cass. mixte, 21 juill. 2023, nos 20-10.763 B, 21-15.809 B, 21-17.789 B et 21-19.936 B
■ Problématique. Par quatre décisions rendues le 21 juillet 2023, la Chambre mixte a apporté une réponse unifiée aux interrogations partagées par les consommateurs, particuliers et commerçants qui ont découvert un vice de fabrication et doivent connaître le délai qui encadre leur action en garantie. Commun aux quatre affaires rapportées, le problème relatif à la durée de la garantie des vices cachés était double :
- le délai de deux ans édicté par l’article 1648 du Code civil est-il un délai de prescription ou de forclusion ?
- ce délai biennal est-il enfermé dans un autre délai, qualifié de délai butoir, soumettant la garantie des vices cachés à un double délai pour agir ?
■ Les affaires. Dans une première affaire (n° 21-15.809), un producteur de produits alimentaires à destination des professionnels avait commandé à un fournisseur des poches de conditionnement. Plusieurs clients avaient constaté un gonflement anormal de ces poches, à l’origine d’une détérioration des produits. Une expertise judiciaire avait conclu à un défaut de fabrication. Le producteur avait ensuite assigné le fournisseur de poches et son assureur sur le fondement de la garantie des vices cachés. Les juges du fond avaient jugé que les poches étaient en effet viciées. Le fournisseur de poches et son assureur ont formé un pourvoi en cassation.
Deux autres affaires (nos 21-17.789 et 21-19.936) concernaient l’une comme l’autre l’achat d’un véhicule d’occasion, tombé en panne en conséquence d’un défaut de fabrication établi par expertise judiciaire. Dans la première espèce, l’acquéreur avait agi en réparation contre le fabricant sur le fondement de la garantie des vices cachés. Après avoir été condamné par les juges du fond, le fabricant soutenait devant la Cour de cassation que l’action de l’acheteur était prescrite. Dans la seconde espèce, l’acquéreur avait agi à la fois contre le fabricant et le revendeur du véhicule. Les juges du fond avaient jugé que l’action de l’acquéreur contre le fabricant était prescrite, mais condamné le revendeur à indemniser l’acquéreur et le fabricant à garantir intégralement le revendeur. Le fabricant a formé un pourvoi en cassation.
Dans la dernière affaire (n° 20-10.763), un producteur agricole avait confié à un constructeur la couverture d’un bâtiment. Ce dernier s’était approvisionné en plaques de fibrociment auprès d’un fournisseur, lequel avait commandé les plaques chez un fabricant. La société agricole avait remarqué l’existence d’infiltrations dans la toiture du bâtiment, ce qu’une expertise judiciaire avait confirmé. La société agricole avait alors assigné le constructeur, le fournisseur et le fabricant en indemnisation de son préjudice. Le constructeur avait appelé en garantie le fournisseur et le fabricant sur le fondement de la garantie des vices cachés. Le tribunal de commerce avait condamné l’entrepreneur à indemniser le producteur agricole mais écarté les demandes en garantie du constructeur à l’égard du fournisseur et du fabricant. La cour d’appel avait condamné le fournisseur et le fabricant à garantir le constructeur des condamnations prononcées à son encontre, mais sa décision fut cassée par la chambre commerciale. La cour d’appel de renvoi déclara l’action du constructeur irrecevable comme prescrite. Le constructeur a formé un pourvoi en cassation.
■ Délai de forclusion ou délai de prescription ? À cette première question, la Cour de cassation répond qu’il s’agit d’un délai de prescription, et non de forclusion, qui peut donc être suspendu, en particulier lorsqu’une mesure d’expertise a été ordonnée (n° 21-15809). La solution s’explique par l’« objectif poursuivi par le législateur », à savoir « de permettre à tout acheteur, consommateur ou non, de bénéficier d'une réparation en nature, d'une diminution du prix ou de sa restitution lorsque la chose est affectée d'un vice caché », ce dont la Cour déduit que « l'acheteur doit être en mesure d'agir contre le vendeur dans un délai susceptible d'interruption et de suspension ». Dit autrement, puisque le but est de permettre l’exercice effectif par l’acquéreur des actions rédhibitoire et estimatoire, il convient que le délai soit de nature à être interrompu ou suspendu, notamment par des mesures d’expertise. Cette approche pragmatique justifie, pour la chambre mixte, que le délai soit de prescription et non de forclusion (v. déjà Civ. 3e, 5 janv. 2022, n° 20-22.670).
■ Maintien d’un délai butoir ? Bref, le délai de prescription de l’action en garantie des vices cachés est donc néanmoins susceptible d’interruption et de suspension ; en outre, il ne court qu’à compter de la découverte du vice, ce qui laisse donc un certain temps à l’acquéreur pour agir. Mais ce délai est-il encadré par un second délai dit « butoir », constitutif d’un plafond au-delà la garantie ne peut plus être recherchée ? Et le cas échéant, quelle en est la durée ? S’agit-il du délai de vingt ans prévu à l’article 2232 du Code civil ou du délai de cinq ans prévu à l’article L. 110-4 du Code de commerce ? Enfin, la vente initiale du bien constitue-t-elle bien le point de départ de ce délai butoir (v. Civ. 3e, 25 mai 2022, n° 21-18.218) ? À cette seconde interrogation, qui se décline en trois sous questions, la Cour de cassation répond par trois arrêts (nos 21-17.789, 21-19.936 et 20-10.763), dont les enseignements sont denses. Ils peuvent être résumés comme suit :
Premier élément de réponse. À rebours de la position adoptée par la troisième chambre civile (Civ. 3e, 1er mars 2023, n° 21-25.612), la chambre mixte admet que la loi du 17 juin 2008 (portant réforme de la prescription en matière civile, n° 2008-561) « a réduit à cinq ans le délai de prescription de l'article L. 110-4, I, du code de commerce afin de l'harmoniser avec celui de l'article 2224 du code civil, mais sans en préciser le point de départ ». Il est vrai que la loi de 2008 n’a pas modifié le point de départ de la prescription en matière commerciale. Or « le point de départ glissant de la prescription extinctive des articles 2224 du code civil et L. 110-4, I, du code de commerce se confond désormais avec le point de départ du délai pour agir prévu à l'article 1648, alinéa 1er, du code civil, à savoir la découverte du vice » (n° 20-10.763). Il s'agit là d'une position prétorienne, fixant le point de départ de l'article L. 110-4 non pas à la date de conclusion du contrat, mais à celle de la découverte du vice, ce qui concrètement étend considérablement la période de garantie à laquelle est tenu le vendeur.
Deuxième élément de réponse. Le point de départ étant glissant, il convient de limiter dans le temps l'action en garantie du vendeur, qui ne peut y être tenu ad vitam aeternam. La Cour affirme que, depuis la loi du 17 juin 2008, « les délais de prescription extinctive des articles 2224 du code civil et L. 110-4, I, du code de commerce ne peuvent plus être analysés en des délais-butoirs spéciaux de nature à encadrer l'action en garantie des vices cachés ». L'analyse de l'article L. 110-4 en délai butoir ne serait donc plus valable depuis la loi du 17 juin 2008 bien que la réforme n’en ait pas modifié le point de départ. C'est la Cour qui assigne à l'article L. 110-4 un point de départ glissant, ce qui l'empêche de jouer le rôle d'un délai butoir. Puisque l'article L. 110-4 ne peut plus jouer son rôle délai butoir, un autre texte est désigné pour l’exercer : l’article 2232 du Code civil (délai de vingt ans). Sa mise en œuvre suppose toutefois de distinguer les ventes civiles et commerciales (n° 21-19.936). Concernant les ventes commerciales ou mixtes, le délai butoir de l'article 2232 s’applique immédiatement, y compris aux ventes conclues antérieurement. Pour justifier cette application dans le temps, la Cour retient que l'article 2232 allongeant de 10 à 20 ans le délai pour agir en garantie des vices cachés relève des dispositions transitoires de la loi de 2008, ce qui implique qu'il s'applique aux prescriptions en cours, sous réserve qu'elles ne soient pas encore écoulées. Concernant les ventes civiles, la règle diffère : « en ce qui concerne les ventes civiles, le même dispositif ayant pour effet de réduire de trente à vingt ans le délai de mise en œuvre de l'action en garantie des vices cachés, le délai-butoir de l'article 2232 du code civil relève, pour son application dans le temps, des dispositions de l'article 26, II, de la loi du 17 juin 2008, et est dès lors applicable à compter du jour de l'entrée en vigueur de cette loi, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ». Rappelons que ces dispositions transitoires distinguent deux situations : celle dans laquelle la loi nouvelle allonge la prescription et celle dans laquelle la loi nouvelle écourte la prescription. Dans le premier cas, la loi nouvelle s'applique immédiatement ; dans le second, la nouvelle prescription s'applique à compter de l'entrée en vigueur de la réforme. Ce qui permet à la Cour de juger ici que, concernant les ventes commerciales, le délai étant allongé de 10 à 20 ans, la loi nouvelle est d'application immédiate aux prescriptions en cours, tandis que concernant les ventes civiles, la loi nouvelle écourte la prescription de 30 à 20 ans, ce qui justifie qu'elle ne s'applique qu'à compter du 19 juin 2008.
Troisième élément de réponse. La fixation du point de départ du délai butoir au jour de la vente conclue par la personne recherchée en garantie. L'article 2232 du Code civil fixe comme point de départ du délai butoir « le jour de la naissance du droit ». Imprécise, la notion faisait naître l’alternative suivante : faut-il considérer que le droit de l'acquéreur de faire sanctionner le vice caché naît au jour où il découvre le vice, ou au jour de la vente ? En faveur de la première branche de l'alternative, l'adage contra non valentem aurait pu être convoqué : tant que l'on n'a pas connaissance des faits permettant d'agir, la prescription ne court pas. Cependant, un délai butoir n’étant pas un délai de prescription, l'adage ne pouvait être exploité. En faveur de la seconde branche de l'alternative, l'on peut au contraire valablement considérer que c'est au jour de la vente que la garantie des vices cachés est née. C'est en ce sens que tranche la chambre mixte : « l'action en garantie des vices cachés est encadrée par le délai-butoir de vingt ans de l'article 2232 du code civil courant à compter de la vente conclue par la partie recherchée en garantie ». La solution, qui s'inscrit dans le prolongement de l'avant-projet porté par Philippe Stoffel-Munck, consiste donc à enserrer l'action en garantie des vices cachés dans un double délai : 2 ans à compter de la découverte du vice et 20 ans à compter de la vente.
Références :
■ Civ. 3e, 5 janv. 2022, n° 20-22.670 B : D. 2022. 548, note Malvina Mille Delattre ; AJDI 2022. 310 ; ibid. 471, obs. F. Cohet ; RDI 2022. 115, obs. C. Charbonneau et J.-P. Tricoire.
■ Civ. 3e, 25 mai 2022, n° 21-18.218 B : D. 2022. 1039 ; RTD com. 2022. 637, obs. B. Bouloc.
■ Civ. 3e, 1er mars 2023, n° 21-25.612
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