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Droit des obligations
Durée du cautionnement excédant celle du prêt : sauf clause contraire, le droit de poursuite du créancier est illimité !
Si le contrat de cautionnement ne prévoit pas de limitation du droit de poursuite du créancier, la caution peut être appelée en paiement postérieurement à la date limite de son engagement tant que la créance est née avant cette date.
Com. 29 mai 2024, n° 22-24.267
Dans un arrêt rendu le 29 mai dernier, la Cour de cassation en appelle de nouveau à la volonté des parties pour limiter dans le temps le droit de poursuite du créancier bénéficiaire d’un cautionnement à durée déterminée. Elle confirme en effet que la caution personne physique, qui s’était engagée pour une durée supérieure à celle de l’obligation principale garantie, doit, pour limiter au terme de son engagement le droit de recours de la banque à son égard, démontrer l’existence dans le contrat de cautionnement d’une stipulation expresse limitant dans le temps son obligation de règlement (v. déjà, Com.1er juin 2023, n° 21-23.850).
Les faits ayant donné lieu au pourvoi débutent par l’acquisition d’un fonds de commerce par une société. Afin de financer cette opération, ladite société s’était vu consentir le 18 juillet 2007 un prêt par une banque pour un montant de 190 000 € et pour une durée de 84 mois. Le même jour, une personne physique avait cautionné ce prêt dans la limite de 43 000 €, à hauteur de 20 % du montant de l’encours. Le 13 avril 2010, la durée du prêt avait été allongée d’une année. La caution avait également vu son engagement modifié dans son montant (abaissé à la somme de 38 317 €), et dans sa durée (renouvelé pour une nouvelle durée de vingt-neuf mois). Après que la société débitrice fut placée en liquidation judiciaire, la banque avait cédé sa créance à un fonds commun de titrisation. Le cessionnaire avait alors assigné la caution en paiement. En cause d’appel, celle-ci fut condamnée à lui régler la somme de 26 411,02 € sur une somme globale exigible à compter du 4 juillet 2017. La garante s’est alors pourvue en cassation, estimant que son engament, limité à quatre ans, avait pris fin le 18 juillet 2011. La Cour de cassation devait ainsi préciser les conditions dans lesquelles le droit de poursuite du créancier contre la caution peut s’étendre à des dettes devenues exigibles après la cessation du contrat de cautionnement dont la durée prévue excédait celle du contrat principal. Sans surprise, la chambre commerciale juge qu’ « (e)n l'absence de stipulation contractuelle expresse limitant dans le temps le droit de poursuite du créancier, le fait que la caution soit appelée à payer postérieurement à la date limite de son engagement est sans incidence sur l'obligation de la caution portant sur la créance née avant cette date » (v. déjà, Com. 1er juin 2023, préc.). Dès lors que la caution soutenait qu'elle s'était engagée, le 18 juillet 2007, à cautionner le prêt contracté le même jour, la créance au titre de ce prêt était née antérieurement à l'expiration du délai de garantie de la caution qu'elle fixait au 18 juillet 2011, peu important que les sommes dues aient été exigibles postérieurement.
Selon l’article 2288 du Code civil, l’obligation de la caution consiste dans le paiement de la dette du débiteur principal en cas de défaillance de celui-ci. Or suivant la distinction proposée par Mouly, cette obligation de paiement connaît deux déclinaisons : l’obligation de règlement et l’obligation de couverture. Ces deux obligations s’inscrivent dans des temporalités différentes, qui permettent d’expliquer, en l’espèce, le maintien de l’obligation de payer de la caution après la date limite de son engagement. En effet, l’obligation de règlement perdure, en principe, au-delà de l’obligation de couverture et oblige la caution à régler les dettes qu’elle a garanties, même après l’expiration de la période de couverture. Sauf clause contraire, la limitation de la durée du cautionnement porte en principe sur celle de l’obligation de couverture, c’est-à-dire sur la période pendant laquelle naissent les dettes garanties. Ainsi, lorsque le cautionnement est à durée déterminée, donc à terme, l’obligation de couverture cesse à la survenance du terme, mais cela n’empêche pas la caution d’être tenue au règlement des dettes nées avant terme. Dit autrement, l'extinction du cautionnement met un terme à l'obligation de couverture de la caution, qui ne sera pas tenue des dettes de la débitrice principale nées après la date d'expiration du délai de garantie, mais non à son obligation de règlement. Il en résulte qu'après l'extinction du cautionnement, la caution reste tenue de garantir non seulement les dettes nées et devenues exigibles entre la souscription du cautionnement et son terme, mais également des dettes nées pendant cette période mais devenues exigibles après. Si elle peut parfois sembler théorique, cette distinction traditionnelle trouve une utilité particulière dans l’hypothèse de l’espèce, de plus en plus fréquente en pratique, où la durée du cautionnement excède la durée du prêt. En effet, cette dissociation de la durée de l’engagement principal et de l’engagement du garant devrait être analysée comme une volonté d’extinction, par les parties au contrat de cautionnement, de l’obligation de règlement (P.Simler et P. Delebecque, JCP 2023. 1079, spéc. n° 3). Cependant, la Cour de cassation ne l’entend pas ainsi. Selon elle, les parties doivent, dans cette perspective, prévoir une stipulation limitative expresse, seule à même de paralyser le droit de poursuite du créancier au-delà d’un certain délai. À défaut, tant que l’obligation de la caution est régulièrement née pendant la période de couverture considérée, le garant peut être appelé postérieurement à la date limite de son engagement. En l’espèce, le créancier pouvait donc agir en paiement des dettes nées avant terme, la postérité de leur exigibilité étant indifférente. En outre, aucune clause contraire n’avait été stipulée. Or en l’absence de stipulation limitative, le droit de poursuite du créancier ne pouvait être limité par l’expiration du délai de garantie. La Cour souligne ainsi l’importance de la clause par laquelle les parties auraient pu convenir de limiter l’obligation de règlement (pt 6). Notons toutefois qu’en pratique, ce type de clause promet d’être purement et simplement refusée par le créancier. Il conviendrait pourtant que la caution parvienne, au stade des négociations, à obtenir son insertion dans le contrat pour éviter que son créancier puisse se retourner contre lui une fois un certain délai dépassé. Faute de quoi, le droit de poursuite de ce dernier n’est pas limité dans le temps.
La solution aboutit donc à ce résultat paradoxal d’un hommage rendu à la volonté contractuelle par la portée conférée à l’existence d’une clause limitative du droit de poursuite du créancier, alors même que la Cour semble ignorer la volonté réelle des parties qui ont sans doute voulu prévoir, par la dissociation de la durée des contrats de prêt et de cautionnement, une limitation de l’obligation de règlement de la caution.
Référence :
■ Com.1er juin 2023, n° 21-23.850 : D. 2023. 1340, note J. François ; ibid. 1765, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ; RTD civ. 2023. 697, obs. C. Gijsbers
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