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[ 4 avril 2012 ] Imprimer

Procédure pénale

Durée raisonnable de la procédure ou durée raisonnable de la détention ?

Mots-clefs : Détention provisoire, Délai raisonnable

L'article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme ne concerne que les seules personnes détenues avant jugement. Dès lors, cette disposition n’est plus applicable à l’accusé, condamné par la cour d’assises de première instance, qui bénéficie en revanche, dans l’attente de la décision de la cour d’assises d’appel, des dispositions de l’article 6 § 1.

La justice pénale doit répondre à l’objectif du respect d’un délai raisonnable de la procédure – droit fondamental attaché au droit criminel. Le respect du délai raisonnable est un moyen de garantir l'efficacité et la crédibilité de la justice (v. not. CEDH 24 oct. 1989, H. c. France).

Par deux fois, cette exigence apparaît dans la Convention européenne des droits de l’homme, aux articles 6 § 1 et 5 § 3. Il ne faut pourtant pas confondre le « délai raisonnable » de l'article 5 § 3, qui s'attache à la durée de la détention provisoire, avec celui de l'article 6 § 1, qui concerne la durée de la procédure pénale (depuis l'arrestation jusqu'à la décision interne définitive).

Le présent arrêt de la chambre criminelle permet de revenir et de préciser les limites d’applicabilité de chacune de ces dispositions.

En l’espèce, placée en détention provisoire le 15 novembre 2007 en exécution d'un mandat d'arrêt européen décerné le 25 mars 2005 à la suite de sa condamnation par contumace, le 14 décembre 2001, à la réclusion criminelle à perpétuité pour vol avec arme et assassinat commis en 1987, une femme a été condamnée le 15 septembre 2009 par la cour d'assises à six ans d'emprisonnement pour vol avec arme et complicité d'assassinat.

Le 13 septembre 2010, la cour d'assises d’appel, qui doit statuer sur son appel, a renvoyé l'examen de l'affaire à une audience ultérieure afin qu'il soit procédé au supplément d'information demandé par l'avocat de l'accusée. La femme a alors présenté une demande de mise en liberté sur le fondement de l’article 148-1 du Code de procédure pénale, rejetée par la chambre de l'instruction qui ne retient aucune atteinte au délai raisonnable prévu par l'article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, le laps de temps écoulé ayant pour origine l'exécution des commissions rogatoires internationales.

Statuant sur le pourvoi formé par la prévenue qui invoque une atteinte au délai raisonnable issu des dispositions de l'article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme, la chambre criminelle censure les juges du fond leur reprochant : 

– d'une part, de s être référer « à tort à l'article 5 § 3 de la Convention européenne des droits de l'homme qui concerne les seules personnes détenues avant jugement » ;

– et, d'autre part, de ne pas avoir « recherché si une diligence particulière avait été apportée à l'exécution du supplément d'information ordonné, en application de l'article 6 de ladite Convention ».

Ce faisant, la chambre criminelle fait un rappel et apporte une précision :

▪ Le rappel : il concerne les limites d’applicabilité de l’article 5 § 3 en vertu duquel les individus placés en détention provisoire doivent pouvoir être jugés « dans un délai raisonnable » ou libérés pendant la procédure. Or, la période de référence pour l’application de cette disposition s’achève avec l’arrêt de la cour d’assises (CEDH 17 mars 1997, Muller c. France, § 34 ; CEDH 27 juin 1968, Wemhoff c. Allemagne). La chambre criminelle a déjà eu l’occasion d’affirmer « qu’après déclaration du bien-fondé de l’accusation par la cour d’assises de première instance, l’accusé ne peut, dans l’attente de la décision de la cour d’assises d’appel, bénéficier des dispositions de l’article 5, § 3, de la Convention européenne des droits de l’homme qui accordent à toute personne détenue le droit d’être jugée dans un délai raisonnable ou d’être libérée » (Crim. 18 nov. 1998 ; Crim. 16 sept. 2009).

▪ La précision : l’accusé, condamné par la cour d’assises de première instance, bénéficie, dans l’attente de la décision de la cour d’assises d’appel, de l’exigence de célérité posée à l’article 6 § 1 de la Conv. EDH.

Après l'arrêt de condamnation prononcé par une cour d'assises, l'intéressé n'est plus justiciable de l'article 5, § 3, mais de l'article 5, § 1, qui autorise la privation de liberté d'un individu « s'il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ». Si cette dernière disposition ne fait aucune allusion au concept de délai raisonnable, la chambre criminelle tire la conséquence de ce que la procédure prise dans son ensemble n’est pas terminée (aucune décision interne définitive n’étant intervenue) pour faire bénéficier l’accusé de la garantie du délai raisonnable de l’article 6 § 1.

Le caractère raisonnable s'apprécie suivant les critères consacrés par la jurisprudence König (CEDH 28 juin 1978, König c. RFA) : la complexité de l'affaire, le comportement du requérant et l'attitude des autorités nationales. En l’espèce, la chambre criminelle censure pour insuffisance de motifs la chambre de l’instruction, n’ayant pas fait état des diligences particulières qui auraient permis de faciliter ou d’accélérer l’exécution des commissions rogatoires internationales sollicitées.

Crim. 7 mars 2012, n°11-88.739

Références

■ Condamnation par contumaceDéfaut en matière criminelle 

[Procédure pénale]

« Procédure criminelle destinée au jugement d’un accusé absent sans excuse valable à l’ouverture de l’audience. Il en est de même lorsque l’absence de l’accusé est constatée au cours des débats, et qu’il n’est pas possible de les suspendre jusqu’à son retour. Sauf à renvoyer l’affaire à une session ultérieure après délivrance d’un mandat d’arrêt, la cour d’assises statue sans l’assistance des jurés, à moins que l’absence de l’accusé ait été constatée après le commencement des débats, ou que ne soient présents d’autres accusés jugés simultanément.

En cas de condamnation, la voie de l’appel est fermée à l’accusé. Si celui-ci se constitue prisonnier, ou s’il est arrêté avant la prescription de la peine, l’arrêt de la cour d’assises est non avenu dans toutes ses dispositions, et il est procédé à son égard à un nouvel examen de son affaire dans les conditions du droit commun.

Cette procédure par défaut s’est substituée, depuis la loi no 2004-204 du 9 mars 2004 (loi Perben II) à l’ancienne procédure de contumace. »

Source : Lexique des termes juridiques 2012, 19e éd., Dalloz, 2011.

 CEDH 24 oct. 1989, H. c. France, série A n° 162, cité par F. Sudre et al., Les grands arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme, PUF, coll. « Thémis droit », 5e éd., 2009, p. 354.

■ CEDH 17 mars 1997, Muller c. France, § 34req. n° 21802/93, Rec. CEDH p. 1997-II.

■ CEDH 27 juin 1968, Wemhoff c. Allemagne, req. n° 2122/64, Série A, n° 7.

 Crim. 18 nov. 1998 n° 98-86.561, D. 1999. 97, note J. Pradel.

■ Crim. 16 sept. 2009, n° 09-84.282.

■ CEDH 28 juin 1978, König c. RFA, série A n° 27.

■ Article 148-1 du Code de procédure pénale

« La mise en liberté peut aussi être demandée en tout état de cause par toute personne mise en examen, tout prévenu ou accusé, et en toute période de la procédure.

Lorsqu'une juridiction de jugement est saisie, il lui appartient de statuer sur la détention provisoire. Toutefois, en matière criminelle, la cour d'assises n'est compétente que lorsque la demande est formée durant la session au cours de laquelle elle doit juger l'accusé. Dans les autres cas, la demande est examinée par la chambre de l'instruction.

En cas de pourvoi et jusqu'à l'arrêt de la Cour de cassation, il est statué sur la demande de mise en liberté par la juridiction qui a connu en dernier lieu de l'affaire au fond. Si le pourvoi a été formé contre un arrêt de la cour d'assises, il est statué sur la détention par la chambre de l'instruction.

En cas de décision d'incompétence et généralement dans tous les cas où aucune juridiction n'est saisie, la chambre de l'instruction connaît des demandes de mise en liberté. »

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 5- Droit à la liberté et à la sûreté

« 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales :

a) s’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;

b) s’il a fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention régulières pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi, par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;

c) s’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, lorsqu’il y a des raisons plausibles de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci ;

d) s’il s’agit de la détention régulière d’un mineur, décidée pour son éducation surveillée ou de sa détention régulière, afin de le traduire devant l’autorité compétente ;

e) s’il s’agit de la détention régulière d’une personne susceptible de propager une maladie contagieuse, d’un aliéné, d’un alcoolique, d’un toxicomane ou d’un vagabond ;

f) s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

2) Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle.

3) Toute personne arrêtée ou détenue, dans les conditions prévues au paragraphe 1.c du présent article, doit être aussitôt traduite devant un juge ou un autre magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires et a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable, ou libérée pendant la procédure. La mise en liberté peut être subordonnée à une garantie assurant la comparution de l’intéressé à l’audience.

4) Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale.

5) Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. »

Article 6 - Droit à un procès équitable

« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui ;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense ;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d’office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent ;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ;

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. »

 

Auteur :C. L.


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