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Droit des obligations
Écrit argué de faux : reconnaissance du droit à la vérification d’écriture
Lorsque la partie à laquelle on oppose son engagement sous signature privée désavoue son écriture, le juge doit, même en l’absence de preuve soumise par l’auteur de la contestation, vérifier l'acte contesté, à moins qu'il ne puisse statuer sans en tenir compte. Doit alors être cassé l’arrêt de la cour d'appel qui, sans avoir procédé à la vérification de l'écriture désavouée d'un acte de cautionnement, en tient compte pour condamner la caution à exécuter son engagement.
Civ. 3e, 9 mars 2022, n° 21-10.619
Lorsqu’une partie conteste avoir rédigé un acte, le juge ne peut la condamner à exécuter l’engagement contenu dans cet acte sans avoir procédé à une vérification d’écriture. Tel est l’enseignement de la décision rapportée.
Au cas d’espèce, une personne physique s’était porté caution des loyers dus dans le cadre d’un bail d’habitation soumis à la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989. Or l’article 22-1 de cette loi prévoit qu’à « peine de nullité de son engagement, la personne qui se porte caution pour l'exécution du contrat de bail, doit faire précéder sa signature, de la mention manuscrite exprimant de façon explicite et non équivoque la connaissance qu'elle a de la nature et de l'étendue de l'obligation qu'elle contracte, et de la reproduction manuscrite du texte législatif applicable ». Appelée en paiement après que le locataire eut interrompu le paiement de ses loyers, la caution soulevait la nullité de l’acte de cautionnement, contestant être l’auteur de la mention manuscrite précédant sa signature ; s’il ne contestait pas avoir signé l’acte de cautionnement, il réfutait en revanche, sur la base de son illettrisme, être le scripteur de la mention manuscrite. Faute pour elle d’avoir su prouver que la mention manuscrite figurant dans le corps de l’acte n’était pas de sa main, la cour d’appel déclara son engagement valable et la condamna à payer le créancier. Devant la Cour de cassation, la caution reprochait aux juges du fond de ne pas avoir procédé aux vérifications qui leur incombent en cas d’écrit argué de faux produit en cours d’instance, ces derniers ayant omis de rechercher si malgré son illettrisme, elle pouvait néanmoins être le scripteur de la mention litigieuse ; elle leur faisait également grief d’avoir inversé la charge de la preuve, soutenant que dans le cas où la partie à qui on oppose un acte sous signature privée en dénie ou en méconnaît l'écriture, c'est à la partie qui se prévaut de l'acte qu'il appartient d'en démontrer la sincérité, en l’espèce aux preneurs, qui lui attribuait la rédaction de la mention désavouée. La Haute juridiction lui donne gain de cause, censurant les juges du fond au visa combiné de l’article 22-1 de la loi de 1989, de l’article 1373 du code civil et des articles 287 et 288 du code de procédure civile. Si le juge bénéficie d’une certaine latitude procédurale en cas de désaveu d’écriture, l’article 287 précité l’autorisant à ne pas vérifier l'acte contesté s’il peut « statuer sans en tenir compte », ce n’était pas le cas en l’espèce, l’écrit contesté se trouvant au cœur du litige né de l’action en exécution par la caution de son engagement, dont la nature et l’étendue exactes figuraient précisément dans la mention litigieuse. Comme le souligne la Cour, il appartenait dès lors aux juges, en application de l’article 288 du même code, de procéder à la vérification d'écriture au vu des éléments dont ils disposaient après avoir, s'il y avait lieu, enjoint aux parties de produire tous documents à lui comparer et fait composer, sous leur dictée, des échantillons d'écriture. À défaut d’avoir procédé à cet examen, la cour d’appel ne pouvait tenir compte de l’acte contesté en condamnant la caution au paiement des sommes réclamées par son créancier.
Certes, la caution avait manqué à la charge de la preuve lui incombant. Rappelons en effet qu’en ce qui concerne son contenu, l’acte sous signature privée fait foi jusqu’à la preuve du contraire, que celle des parties qui le conteste doit rapporter par un autre écrit. S’il en va autrement quant à la signature de l’acte, tel n’était pas en l’espèce l’objet de la contestation de la caution, qui ne contestait pas la sienne. Son moyen était alors, sur ce point, inexact : elle prétendait en effet qu’il revenait aux preneurs de prouver la véracité de l’origine de l’acte de cautionnement dont ils se prévalaient à son encontre. Il est vrai que l’ASSP ne faisant pas foi de son origine, à partir du moment où une partie conteste sa signature, c’est à l’autre partie qu’incombe la preuve de prouver la véracité de l’écriture par le biais de la procédure de vérification d’écriture (C. civ., art. 1373). Ainsi, alors que c’est à la personne qui conteste un acte authentique d’établir la fausseté de son origine, faisant foi jusqu’à inscription de faux, c’est à la personne qui se prévaut d’un acte sous signature privée d’établir la véracité de cette origine. La caution avait donc omis de distinguer selon que la contestation porte sur la signature ou, comme au cas d’espèce, sur le contenu de l’acte, si bien que c’était bien sur elle que revenait la charge de rétablir la véracité du contenu de l’acte contesté en rapportant, par la production d’un autre écrit, la preuve de son allégation.
Y avoir manqué ne dispensait cependant pas les juges de procéder à la vérification d’écriture prescrite par le code de procédure civile. En effet, l’absence de preuve par le prétendu scripteur n’avait pas pour effet de rendre inutile la procédure de vérification, le juge ne pouvant statuer autrement qu’en tenant compte de l’acte contesté. Dès lors, en statuant comme elle l’a fait, « sans procéder à la vérification de l'écriture désavouée de l'acte dont elle a tenu compte, la cour d'appel a violé les textes susvisés ».
En ce sens, la décision illustre le recul du principe de neutralité du juge caractéristique du système accusatoire qui régit le procès civil, dans lequel les parties, parce qu’elles conduisent l’instance, ont la charge de prouver leurs droits, le juge restant en principe inactif dans la recherche des preuves (C. pr. civ., art. 9). Ainsi n’était-t-on pas, au cas d’espèce, dans un pur système accusatoire où le juge aurait pu se contenter d’estimer insuffisante la preuve rapportée par le prétendu scripteur. Au contraire, les articles 287 et 288 du code de procédure civile mettent en tout état de cause à sa charge le devoir de procéder à la vérification d’écriture, sauf lorsque celle-ci est dispensable. Si l’accroissement du rôle du juge dans l’administration du rôle de la preuve atténue le caractère accusatoire du système procédural en matière civile, il donne en outre naissance à un véritable « droit à la preuve » qui se traduit, plus spécialement ici, par la reconnaissance d’un droit à la vérification d’écriture (v. déjà, Civ. 1re, 29 févr. 2012, n° 10-27.332 ; Civ. 1re, 28 nov. 2012, n° 10-28.372 ; Civ. 3e, 9 mars 2005, n° 03-12.596).
Références :
■ Civ. 1re, 29 févr. 2012, n° 10-27.332, P : D. 2012. 681 ; ibid. 2476, obs. V. Brémond, M. Nicod et J. Revel
■ Civ. 1re, 28 nov. 2012, n° 10-28.372, P : DAE, 21 déc. 2012, note Merryl Hervieu, D. 2013. 547, note C. Juillet
■ Civ. 3e, 9 mars 2005, n° 03-12.596, P : D. 2005. 857
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