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Droit pénal général
Effet de l’abrogation de la loi pénale par une décision QPC
Mots-clefs : Application de la loi pénale dans le temps, Rétroactivité in mitius, Question prioritaire de constitutionnalité, Abrogation, Loi pénale plus douce
Dans une décision du 16 mai 2012, la chambre criminelle de la Cour de cassation juge, de façon attendue, certes, mais non moins nouvelle, que l’abrogation d’une disposition pénale par le Conseil constitutionnel dans une procédure de question prioritaire de constitutionnalité s’applique à des faits commis avant sa prise d’effet non encore jugés.
En l’espèce, un individu avait été condamné pour fraude fiscale à neuf mois d’emprisonnement avec sursis, et 15 000 euros d’amende. La cour d’appel avait en outre ordonné « la publication et l’affichage de la décision » en application des dispositions de l’article 1741 alinéa 4 du Code général des impôts (CGI) dans sa rédaction applicable à la date de la commission des faits.
Or, cette dernière disposition avait été déclarée contraire à la Constitution par une décision du Conseil constitutionnel du 10 décembre 2010. La déclaration d’inconstitutionnalité entraîne l’abrogation de la disposition contestée à compter de la date de publication de la décision au Journal officiel. La peine visée par la disposition censurée avait donc, au moment du jugement d’appel (24 mai 2011), disparu de l’arsenal répressif. Dès lors, la cour d’appel ne pouvait en faire application sans violer l’article 111-3 alinéa 2 du Code pénal en vertu duquel « nul ne peut être puni d’une peine qui n’est pas prévue par la loi, si l’infraction est un crime ou un délit ». La Cour de cassation censure donc les juges du fond en rappelant cette règle fondamentale dans un attendu de principe. Si la peine était applicable au moment des faits, elle ne l’est plus au jour du jugement. L’abrogation de la loi par la décision QPC entraîne la disparition de l’élément légal de la peine ce qui rend cette dernière inapplicable à toutes les procédures pénales en cours.
Il est intéressant de constater que le moyen pris de l’inconstitutionnalité de l’article 1741 alinéa 4 du CGI est relevé d’office par le juge de droit. La question de l’effet dans le temps des décisions de QPC s’est en effet posée avec une acuité inédite ces derniers temps. Lorsque le Conseil constitutionnel censure l’article 222-33 du Code pénal relatif au harcèlement sexuel, il décide que l’abrogation prend effet à compter de la publication de la décision et qu’ « elle est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette date ». Une partie de la doctrine crie alors haro sur cette décision en dénonçant le vide juridique qu’elle est susceptible d’entraîner. Toutefois, le Conseil constitutionnel dans cette décision, tout comme la Cour de cassation dans l’espèce rapportée, se contentent de rester fidèles aux principes fondamentaux du droit pénal : l’abrogation porte sur une loi pénale de fond, elle est nécessairement plus douce et doit de ce fait être prise en compte pour les infractions commises avant sa prise d’effet n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée. La décision QPC emporte une incidence directe sur la législation pénale. Le fait qu’elle soit la conséquence d’une décision juridictionnelle et non l’œuvre du législateur importe peu. Pour que le principe de légalité criminelle ne perde pas tout son sens et demeure une garantie pour le justiciable, le principe de rétroactivité in mitius doit pouvoir s’appliquer à toute forme d’abrogation, celle-ci étant per se une mesure plus favorable à la personne poursuivie, quelle que soit sa source. La pertinence de l’analogie avec la décision relative à la garde à vue dont les effets avaient été différés dans le temps est limitée dans la mesure où cette dernière décision portait sur une loi de procédure, pour laquelle l’application rétroactive ne s’impose pas, fût-elle plus favorable au suspect.
Crim. 16 mai 2012, n° 11-84539
Références
■ Cons. const. 10 déc. 2010, n° 2010-72/75/82 QPC, RSC 2012. 230, note de Lamy.
■ Cons. const. 30 juill. 2010, n°2010-14/22 QPC.
■ Article 1741 du Code général des impôts
« Sans préjudice des dispositions particulières relatées dans la présente codification, quiconque s'est frauduleusement soustrait ou a tenté de se soustraire frauduleusement à l'établissement ou au paiement total ou partiel des impôts visés dans la présente codification, soit qu'il ait volontairement omis de faire sa déclaration dans les délais prescrits, soit qu'il ait volontairement dissimulé une part des sommes sujettes à l'impôt, soit qu'il ait organisé son insolvabilité ou mis obstacle par d'autres manœuvres au recouvrement de l'impôt, soit en agissant de toute autre manière frauduleuse, est passible, indépendamment des sanctions fiscales applicables, d'une amende de 500 000 € et d'un emprisonnement de cinq ans. Lorsque les faits ont été réalisés ou facilités au moyen soit d'achats ou de ventes sans facture, soit de factures ne se rapportant pas à des opérations réelles, ou qu'ils ont eu pour objet d'obtenir de l'État des remboursements injustifiés, leur auteur est passible d'une amende de 750 000 € et d'un emprisonnement de cinq ans. Lorsque les faits mentionnés à la première phrase ont été réalisés ou facilités au moyen soit de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d'organismes établis dans un Etat ou un territoire qui n'a pas conclu avec la France, depuis au moins cinq ans au moment des faits, une convention d'assistance administrative permettant l'échange de tout renseignement nécessaire à l'application de la législation fiscale française, soit de l'interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis dans l'un de ces États ou territoires, les peines sont portées à sept ans d'emprisonnement et à 1 000 000 € d'amende.
Toutefois, cette disposition n'est applicable, en cas de dissimulation, que si celle-ci excède le dixième de la somme imposable ou le chiffre de 153 euros.
Toute personne condamnée en application des dispositions du présent article peut être privée des droits civiques, civils et de famille, suivant les modalités prévues par l'article 131-26 du code pénal.
La juridiction peut, en outre, ordonner l'affichage de la décision prononcée et la diffusion de celle-ci dans les conditions prévues aux articles 131-35 ou 131-39 du code pénal.
Les poursuites sont engagées dans les conditions prévues aux articles L. 229 à L. 231 du livre des procédures fiscales. »
■ Code pénal
« Nul ne peut être puni pour un crime ou pour un délit dont les éléments ne sont pas définis par la loi, ou pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement.
Nul ne peut être puni d'une peine qui n'est pas prévue par la loi, si l'infraction est un crime ou un délit, ou par le règlement, si l'infraction est une contravention. »
« Sont seuls punissables les faits constitutifs d'une infraction à la date à laquelle ils ont été commis.
Peuvent seules être prononcées les peines légalement applicables à la même date.
Toutefois, les dispositions nouvelles s'appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n'ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu'elles sont moins sévères que les dispositions anciennes. »
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