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Droit international privé
Effets dans le temps du changement automatique de la loi applicable au régime matrimonial
Mots-clefs : Conflit de lois, Loi applicable au régime matrimonial, Convention de la Haye du 14 mars 1978
Le changement automatique de la loi applicable au régime matrimonial, qui se produit conformément aux dispositions de la convention de La Haye du 14 mars 1978, n’a d’effet que pour l’avenir.
Quelle est la loi applicable au régime matrimonial d’époux français mariés à l’étranger ?
S’agissant d’époux mariés à compter du 1er septembre 1992, la réponse à cette question résulte pour le juge français de l’application des règles de conflit définies par la convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable au régime matrimonial (sur laquelle, v. G. A. L. Droz).
Fruit du compromis entre les pays de tradition romano-germanique et les pays de Common Law, le système retenu par la Convention admet la mutabilité de la loi applicable au régime au cours du mariage, rompant avec le caractère de cette loi retenu par le droit international privé français. La rupture n’est certes pas totale puisque la Convention prévoit dans son article 7, alinéa 1er, que le principe est celui de la permanence de la loi désignée conformément à ses dispositions, laquelle demeure applicable tout au long du mariage, indépendamment du changement affectant un critère de rattachement (nationalité ou résidence habituelle des époux). Mais ce principe est écarté pour laisser la place à la mutabilité volontaire par les époux de la loi applicable à leur régime matrimonial (art. 6), et à la mutabilité automatique de cette loi en présence d’une évolution dans les circonstances de rattachement. Ainsi, l’article 7, alinéa 2, 1°, prévoit-il que, à défaut pour les époux d’avoir choisi la loi applicable ou fait un contrat de mariage, « la loi interne de l'État où ils ont tous deux leur résidence habituelle devient applicable, aux lieu et place de celle à laquelle leur régime matrimonial était antérieurement soumis à partir du moment où ils y fixent leur résidence habituelle, si la nationalité de cet État est leur nationalité commune ».
Quelle est alors la portée temporelle de ce changement automatique de la loi applicable au régime matrimonial ? C’est la question qui a été soumise à la Cour de cassation le 12 avril 2012.
Des Français s’étaient mariés dans l’État de New York et y avaient vécu un an avant de revenir s’installer en France. Le problème de la loi applicable à leur régime matrimonial se pose quelques années plus tard lorsque, le mari ayant assigné sa femme en divorce, celle-ci lui réclame une prestation compensatoire, le juge devant alors se prononcer sur le patrimoine estimé ou prévisible des époux après la liquidation du régime matrimonial (art. 271 C. civ.).
Or, pour envisager le résultat prévisible de la liquidation du régime matrimonial, la cour d’appel de Versailles avait estimé que, les époux ayant fixé leur résidence habituelle en France, pays de leur nationalité commune, à leur retour des États-Unis, la loi française était applicable à leur régime matrimonial, lequel se trouvait être, en l’absence de contrat de mariage, le régime légal de la communauté réduite aux acquêts (art. 1393 et 1400 C. civ.).
Ce faisant, les juges d’appel consacraient une application rétroactive de la loi nouvellement applicable au régime matrimonial des époux à la suite de la modification de leur résidence habituelle, appelant une cassation sans surprise au visa des articles 4, 7, alinéa 2, 1°, et 8 de la convention de La Haye du 14 mars 1978. En effet, en statuant en faveur d’une soumission unitaire du régime matrimonial à la loi française de la nouvelle résidence habituelle des époux, les juges du fond avaient négligé de tirer les conséquences d’une disposition de la Convention qu’ils avaient pourtant relevée dans leurs motifs (l’art. 8), dont la Haute cour rappelle, dans le chapeau de son arrêt, qu’il prévoit que le changement automatique de la loi applicable n’a d’effet que pour l’avenir, les biens appartenant aux époux antérieurement n’étant pas soumis à la loi nouvellement applicable.
Ce refus de la rétroactivité du changement de loi applicable n’est pas exempt d’une certaine complexité ; c’est ce qui ressort de l’attendu décisoire au ton pédagogique dans lequel la première chambre civile expose les conséquences pratiques de la dissociation de loi applicable résultant de l’article 8 de la Convention. Ainsi, le changement automatique de loi applicable engendre pour le juge du divorce la nécessité de diviser en deux masses les biens des époux afin de distinguer une première masse soumise au régime déterminé par le droit américain et une seconde masse soumise au régime déterminé par le droit français. Seul le sort des biens dépendant du premier régime, apprécié par application du droit américain, devait permettre au juge français de connaître le résultat prévisible de la liquidation du second régime, soumis au droit français. La lourdeur résultant de ce morcellement du régime matrimonial explique pourquoi les rédacteurs de la convention de La Haye ont souhaité prévoir le remède propre à pallier cet inconvénient de la mutabilité d’office : l’article 8 de la Convention prévoit ainsi dans son alinéa 2 que les époux peuvent « à tout moment (…) soumettre l'ensemble de leurs biens à la nouvelle loi ». Encore faut-il que les époux s’accordent sur l’exercice d’une telle faculté, ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce.
Civ. 1re, 12 avr. 2012, no 10-27.016
Références
■ G. A. L. DROZ, « Les nouvelles règles de conflit françaises en matière de régimes matrimoniaux (Entrée en vigueur de la Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable aux régimes matrimoniaux) », Rev. crit. DIP 1992. 631.
■ Convention de La Haye du 14 mars 1978 sur la loi applicable au régime matrimonial
« Si les époux n'ont pas, avant le mariage, désigné la loi applicable à leur régime matrimonial, celui-ci est soumis à la loi interne de l'État sur le territoire duquel ils établissent leur première résidence habituelle après le mariage.
Toutefois, dans les cas suivants, le régime matrimonial est soumis à la loi interne de l'État de la nationalité commune des époux :
1. lorsque la déclaration prévue par l'article 5 a été faite par cet État et que son effet n'est pas exclu par l'alinéa 2 de cet article ;
2. lorsque cet État n'est pas Partie à la Convention, que sa loi interne est applicable selon son droit international privé, et que les époux établissent leur première résidence habituelle après le mariage :
a) dans un État ayant fait la déclaration prévue par l'article 5, ou
b) dans un État qui n'est pas Partie à la Convention et dont le droit international privé prescrit également l'application de leur loi nationale ;
3. lorsque les époux n'établissent pas sur le territoire du même État leur première résidence habituelle après le mariage.
A défaut de résidence habituelle des époux sur le territoire du même État et à défaut de nationalité commune, leur régime matrimonial est soumis à la loi interne de l'État avec lequel, compte tenu de toutes les circonstances, il présente les liens les plus étroits. »
« Les époux peuvent, au cours du mariage, soumettre leur régime matrimonial à une loi interne autre que celle jusqu'alors applicable.
Les époux ne peuvent désigner que l'une des lois suivantes :
1. la loi d'un État dont l'un des époux a la nationalité au moment de cette désignation ;
2. la loi de l'État sur le territoire duquel l'un des époux a sa résidence habituelle au moment de cette désignation.
La loi ainsi désignée s'applique à l'ensemble de leurs biens.
Toutefois, que les époux aient ou non procédé à la désignation prévue par les alinéas précédents ou par l'article 3, ils peuvent désigner, en ce qui concerne les immeubles ou certains d'entre eux, la loi du lieu où ces immeubles sont situés. Ils peuvent également prévoir que les immeubles qui seront acquis par la suite seront soumis à la loi du lieu de leur situation. »
« La loi compétente en vertu des dispositions de la Convention demeure applicable aussi longtemps que les époux n'en ont désigné aucune autre et même s'ils changent de nationalité ou de résidence habituelle.
Toutefois, si les époux n'ont ni désigné la loi applicable, ni fait de contrat de mariage, la loi interne de l'État où ils ont tous deux leur résidence habituelle devient applicable, aux lieu et place de celle à laquelle leur régime matrimonial était antérieurement soumis :
1. à partir du moment où ils y fixent leur résidence habituelle, si la nationalité de cet État est leur nationalité commune, ou dès qu'ils acquièrent cette nationalité, ou
2. lorsque, après le mariage, cette résidence habituelle a duré plus de dix ans, ou
3. à partir du moment où ils y fixent leur résidence habituelle, si le régime matrimonial était soumis à la loi de l'État de la nationalité commune uniquement en vertu de l'article 4, alinéa 2, chiffre 3. »
« Le changement de la loi applicable en vertu de l'article 7, alinéa 2, n'a d'effet que pour l'avenir, et les biens appartenant aux époux antérieurement à ce changement ne sont pas soumis à la loi désormais applicable.
Toutefois, les époux peuvent, à tout moment et dans les formes prévues à l'article 13, soumettre l'ensemble de leurs biens à la nouvelle loi, sans préjudice, en ce qui concerne les immeubles, des dispositions de l'article 3, alinéa 4, et de l'article 6, alinéa 4. L'exercice de cette faculté ne porte pas atteinte aux droits des tiers. »
■ Code civil
« La prestation compensatoire est fixée selon les besoins de l'époux à qui elle est versée et les ressources de l'autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l'évolution de celle-ci dans un avenir prévisible.
À cet effet, le juge prend en considération notamment :
– la durée du mariage ;
– l'âge et l'état de santé des époux ;
– leur qualification et leur situation professionnelles ;
– les conséquences des choix professionnels faits par l'un des époux pendant la vie commune pour l'éducation des enfants et du temps qu'il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;
– le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital qu'en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;
– leurs droits existants et prévisibles ;
– leur situation respective en matière de pensions de retraite en ayant estimé, autant qu'il est possible, la diminution des droits à retraite qui aura pu être causée, pour l'époux créancier de la prestation compensatoire, par les circonstances visées au sixième alinéa. »
« Les époux peuvent déclarer, de manière générale, qu'ils entendent se marier sous l'un des régimes prévus au présent code.
A défaut de stipulations spéciales qui dérogent au régime de communauté ou le modifient, les règles établies dans la première partie du chapitre II formeront le droit commun de la France. »
« La communauté, qui s'établit à défaut de contrat ou par la simple déclaration qu'on se marie sous le régime de la communauté, est soumise aux règles expliquées dans les trois sections qui suivent. »
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