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Droit des obligations
Effets de la cession de contrat : précisions sur la prise d’acte par le cédé
Dans le cadre d’une cession de contrat consentie par avance sur le fondement de l’article 1216, alinéa 2, du Code civil, le paiement d’une partie de la dette entre les mains du cessionnaire caractérise une prise d’acte de la cession par le cédé, quand bien même celle-ci ne lui aurait pas été notifiée.
Com., 9 juin 2022, n° 20-18490 B
Un contrat de location financière de douze mois est conclu le 12 avril 2017. Le même jour, le bailleur cède le contrat à une tierce société, cette faculté étant prévue dans le contrat initial et accepté par avance par le preneur. Ce dernier ayant cessé de payer ses loyers en mai 2017, le cessionnaire le met en demeure, le 13 juillet, de s’acquitter des sommes dues. Le preneur ne règle que le dernier loyer (de juillet 2017). Le 19 septembre 2017, la société créancière résilie le contrat par lettre recommandée avec accusé de réception. Le 19 avril 2018, le cessionnaire met en demeure le preneur de lui régler le solde impayé et l’indemnité de résiliation prévue au contrat, puis l’assigne en paiement. En qualité de débiteur cédé, le preneur conclut au défaut de qualité à agir du cessionnaire : la cession ne lui ayant pas été notifiée, le cessionnaire ne peut se prévaloir de l’existence d’une cession de contrat que lui aurait consentie son cocontractant originaire.
Concrètement, le preneur soutenait donc ne rien devoir au cessionnaire. Par un jugement rendu en dernier ressort, le tribunal de commerce de Rennes écarte cette allégation, contredite par la prise d’acte de la cession du contrat, effectuée conformément aux dispositions de la convention initiale, par le cédé. En effet, le consentement à la cession avait été donné par anticipation, une clause du contrat autorisant sa cession au profit d’un tiers. En outre, si la cession n’avait fait l’objet d’aucune notification au cédé, ce dernier avait toutefois, à la suite d’une mise en demeure délivrée par le cessionnaire, payé entre ses mains le loyer du mois de juillet. Il s’en infère, comme le relève la Cour pour rejeter le pourvoi formé par le cédé, « qu’en payant un loyer entre les mains du cessionnaire, le cédé avait pris acte de la cession ». La cession était donc opposable au débiteur cédé, et le cessionnaire avait incontestablement qualité à agir.
La cession de contrat peut être définie comme la substitution d’une partie par un tiers, en cours de l’exécution du contrat : le cédant et le cessionnaire concluent un contrat dont l’objet est la cession de la qualité de partie au contrat à un tiers cessionnaire, dans le but de permettre le maintien du lien contractuel. Grande innovation de la réforme du droit des obligations, la codification de cette opération contractuelle présente l’intérêt majeur de la soumettre à un régime propre et général (C. civ., art. 1216 s.), au-delà des dispositions éparses ne prévoyant, avant la réforme, que la cession de certains contrats (C. civ., art. 1743 ; C. trav., art. L. 1224-1 ; C. assur. art. L. 121-10). Ce dispositif nouveau a toutefois fait apparaître certaines difficultés d’appréciation concernant l’accord du cédé à la cession, dont l’exigence fut questionnée pour apprécier à la fois la validité et l’opposabilité de cette convention.
Accord du cédé et validité de la cession. La cession de contrat nécessite par principe un accord entre le cédant et le cessionnaire. Mais l’accord du contractant cédé est-il nécessaire ? Objet de vives controverses doctrinales, cette question avait été tranchée, avant la réforme, par deux arrêts de la Cour de cassation du 6 mai 1997, érigeant le consentement du cédé en condition de validité du contrat (Com., 6 mai 1997, n° 94-16.335 et 95-10.252). Cette solution est entérinée par l’article 1216 nouveau du Code civil selon lequel « (u) n contractant, le cédant, peut céder sa qualité de partie au contrat à un tiers, le cessionnaire, avec l’accord de son cocontractant, le cédé ». La convention de cession ne peut donc exister que si l’ensemble des protagonistes - le cédant, le cessionnaire et le cédé - consentent à la cession, qui devient ainsi un accord tripartite. Cette solution condamne donc l’existence d’une cession de contrat autonome, dont certains auteurs soutenaient qu’elle pouvait exister en dehors de l’accord du cédé.
Accord du cédé et opposabilité de la cession. Concernant l’opposabilité de la cession au cédé, la jurisprudence traditionnelle la soumettait à l’accomplissement par le cessionnaire des formalités prévues par l’ancien article 1690 du Code civil. La cession de contrat était, en effet, considérée comme l’adjonction d’une cession de dette et de créance si bien que son opposabilité dépendait, comme pour cette dernière, de sa notification au cédé. Les arrêts du 6 mai 1997 avaient cependant renouvelé les données du problème : dès l’instant où la cession de contrat devenait subordonnée au consentement du cédé qui en ayant consenti à la cession, en avait par hypothèse connaissance, la notification de la cession au cédé se trouvait privée d’intérêt. Sur ce point, la jurisprudence était toutefois restée incertaine jusqu’à la réforme. Il est désormais acquis, pour toutes les cessions conclues à partir du 1er octobre 2016 où le cédé consent par hypothèse à la cession, qu’aucune formalité d’opposabilité n’est requise.
Il n’en va différemment que dans l’hypothèse de l’espèce où le cédé a consenti par anticipation à la cession. Le consentement du cédé peut en effet ne pas être contemporain à la cession, mais être exprimé par avance dans une clause du contrat cédé, lui permettant de consentir par avance à une éventuelle cession du contrat. Dans ce cas, la cession ne lui sera opposable que lorsqu’elle lui aura été notifiée ou qu’il en aura « pris acte ». La solution clarifie ainsi cette notion nouvelle de prise d’acte évoquée, sans davantage de précisions, par l’article 1216, alinéa 2.
Inédit au regard de cette récente disposition en l’espèce applicable, le problème soulevé par le pourvoi conduit la Cour à dissocier les deux modalités prévues pour rendre la cession opposable, à savoir la notification et la prise d’acte : ainsi, même en l’absence de notification de la cession au cédé, ce dernier peut en avoir pris acte par le paiement d’une partie de sa dette entre les mains du cessionnaire. Par son paiement volontaire, le cédé a pris acte de la cession, laquelle pouvait alors prendre effet à son égard. Cette conséquence tirée du comportement du cédé est décisive : en l’absence de notification et à défaut de prise d’acte de la cession, l’acte n’aurait pu produire d’effets qu’entre les parties, i. e. entre le cédant et le cessionnaire. La solution vient donc intégrer le paiement dans les mains du cessionnaire comme une prise d’acte de la cession par le cédé au sens de l’article 1216, alinéa 2 du Code civil.
La solution est logique : le cédé n’avait aucune raison de payer celui qui, s’il n’avait pas eu connaissance de la cession intervenue, n’aurait été pour lui qu’un tiers au contrat. En procédant au paiement d’un loyer entre les mains du cessionnaire, le cédé révélait ainsi avoir été au courant de l’effectivité de cette opération translative, consentie dès le contrat initial. Cet élément suffisait à considérer qu’il avait pris acte de la cession intervenue : « Par ces seuls motifs, desquels il ressort que, en payant un loyer entre les mains du cessionnaire, Mme D avait pris acte de la cession intervenue entre les sociétés L et G, le tribunal en a exactement déduit que cette dernière avait qualité à agir contre Mme D au titre du contrat en cause ».
À cette analyse logique doit être ajouté un argument téléologique : la règle de l’article 1216 alinéa 2 a en effet pour but d’éviter au débiteur cédé de payer par erreur entre les mains du cédant, et au cessionnaire de se voir opposer par le cédé des refus de paiement injustifiés. D’évidence, la mise en œuvre de cette règle ne doit pas aboutir au résultat en l’espèce escompté par le demandeur de permettre au cédé d’échapper à son engagement contractuel alors même qu’il avait parfaitement connaissance de la substitution opérée par l’opération de cession.
Références :
■ Com., 6 mai 1997 n° 94-16.335 P : Hubert Rougeot (Sté) c/ GSM Côte d'Azur (Sté), D. 1997. 588, note C. Jamin et M. Billiau ; ibid. 1998. 25, chron. L. Aynès ; ibid. 136, obs. H. Le Nabasque ; RTD civ. 1997. 936, obs. J. Mestre.
■ Com., 6 mai 1997 n° 95-10.252 P : Gobet (Sté) c/ Pro-Telcom (Sté), D. 1997. 588, note C. Jamin et M. Billiau ; RTD civ. 1997. 936, obs. J. Mestre.
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