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Droit de l'entreprise en difficulté
Effets de la liquidation judiciaire sur les droits et actions attachés à la personne du débiteur
Mots-clefs : Contrat, Validité, Insanité d’esprit, Altération des facultés mentales, Liquidation judiciaire, Droits attachés à la personne, Dessaisissement (non)
L’action en nullité fondée sur l’insanité d’esprit n’appartient de son vivant qu’à l’intéressé. Exclusivement attachée à sa personne, elle est recevable en dépit de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à son encontre.
Une société a donné en location-gérance un fonds de commerce à un homme. Placé en liquidation judiciaire, ce dernier tente de s’extirper de cette situation délicate en intentant une action en nullité du contrat pour insanité d’esprit.
Aux termes de l’article 414-2 du Code civil (déclaré conforme à la Constitution, Cons. const. 17 janv. 2013, n°2012-288 QPC), « [d]e son vivant, l’action en nullité n’appartient qu’à l’intéressé » et doit être intentée dans le délai de 5 ans prévu par l’article 1304 du Code civil.
En l’espèce, la question est de savoir s’il est possible d’intenter une action en nullité pour insanité d’esprit en dépit de l’existence d’une procédure de liquidation judiciaire ouverte à l’encontre du signataire du contrat. Autrement dit, le débiteur en a-t-il la faculté ?
Selon l’article L. 640-1, alinéa 2, du Code de commerce, « [l]a procédure de liquidation judiciaire est destinée à mettre fin à l'activité de l'entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens ». Il en découle naturellement que « [l]e jugement qui ouvre ou prononce la liquidation emporte de plein droit dessaisissement pour le débiteur de l’administration et de la disposition de ses biens », de même « [l]es droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés (…) par le liquidateur » (C. com., art. L. 641-9, I, al. 1er). Par conséquent, l’action en justice menée par le débiteur sera frappée d’irrecevabilité.
Tel sera aussi le cas, notamment, pour les actions suivantes :
– la requête en injonction de payer (Com. 14 déc. 2010) ;
– l’action en nullité de la vente d’un fonds de commerce et bail (Com. 11 juin 2003).
– l’action en réparation d’actes de contrefaçon (Com. 11 mars 2008) ;
– les actions en responsabilité : l’action en responsabilité contre des tiers (Com. 13 mars 2007) ou l’action en responsabilité contre l’État (Com. 12 juill. 2004).
Cette règle est en proie à des tempéraments, certains droits, biens et actions échappant au dessaisissement. Si, du fait de la portée générale de son dessaisissement, le débiteur ne peut exercer seul les actions en justice relative à son patrimoine, l’article L. 641-9, I, alinéa 3, du Code de commerce précise qu’il peut néanmoins accomplir « les actes et exerce[r] les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission du liquidateur ».
Il en résulte que sont exclus du dessaisissement, les droits attachés à la personne du débiteur, dont la variante terminologique n’est autre que la formule « droits personnels ». Ces droits recouvrent trois dimensions : « les considérations personnelles d’ordre moral et familial, la sphère professionnelle ainsi que le fonctionnement démocratique des personnes morales » (v. Le Corre (dir.), n°572.31). L’expression « droits attachés à la personne du débiteur » fait échos à celle employée à l’article 1166 du Code civil concernant l’action oblique, transposant dès lors les solutions posées en matière civile aux procédures collectives. Toutefois l’origine prétorienne de la notion de « droits attachés à la personne du débiteur » explique son imprécision.
Ainsi, les droits attachés à la personne du débiteur sont exclus du dessaisissement. Il en va ainsi pour notamment :
– les actions d’état : la décision de divorcer, de changer de régime matrimonial, de reconnaître un enfant ;
– l’action en autorisation judiciaire d’aliéner un bien (Com. 9 nov. 2004) ;
– l’action en diffamation (Paris, 1re ch., 16 oct. 2000; à noter que le produit de l’action sera attribué à la liquidation) ;
– l’action en responsabilité, si et seulement si elle est fondée sur un préjudice moral (Com. 13 févr. 2007) ;
– les droits patrimoniaux à caractères alimentaires.
En l’espèce, la Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir affirmé qu’ « étant exclusivement attachée à sa personne, [l’action] était recevable en dépit de la procédure de liquidation judiciaire ouverte à son égard ». Étant exclusivement attachée à la personne du débiteur, l’action en nullité fondée sur l’insanité d’esprit n’entre donc pas dans le champ du dessaisissement.
Rappelons que l’article 414-1 du Code civil précise qu’il ne suffit pas d’être capable, il faut encore être « sain d’esprit » lors de la conclusion du contrat à peine de nullité. La nullité pour insanité d’esprit est obtenue en prouvant l’existence d’un trouble mental, pouvant être passager, suffisamment grave et contemporain de la formation du contrat. L’appréciation de la gravité relève du pouvoir souverain des juges comme le rappelle la Cour de cassation dans cet arrêt, estimant que la Cour d’appel n’est « pas tenue de s’expliquer sur les éléments de preuve qu’elle avait décidé d’écarter ».
Com. 16 déc. 2014, n°13-21.479
Références
■ Le Corre (dir.), Droit et pratique des procédures collectives 2013/2014, Dalloz, coll. « Dalloz Action », 2013, n°572.20 s.
■ Cons. const. 17 janv. 2013, n°2012-288 QPC, RTD civ. 2013. 348, obs. Hauser.
■ Com. 14 déc. 2010, n°10-10.792.
■ Com. 11 juin 2003, n°00-21.775, Bull. civ. IV, n°96.
■ Com. 11 mars 2008, n°06-19.616.
■ Com. 13 mars 2007, n°06-10.258.
■ Com. 12 juill. 2004, n°03-12.634.
■ Com. 9 nov. 2004, n°02-18.617.
■ Paris, 1re ch.,16 oct. 2000, JCP E 2000, pan. 1789.
■ Com. 13 févr. 2007, n°05-12.471.
■ Code civil
« Pour faire un acte valable, il faut être sain d'esprit. C'est à ceux qui agissent en nullité pour cette cause de prouver l'existence d'un trouble mental au moment de l'acte. »
« De son vivant, l'action en nullité n'appartient qu'à l'intéressé.
Après sa mort, les actes faits par lui, autres que la donation entre vifs et le testament, ne peuvent être attaqués par ses héritiers, pour insanité d'esprit, que dans les cas suivants :
1° Si l'acte porte en lui-même la preuve d'un trouble mental ;
2° S'il a été fait alors que l'intéressé était placé sous sauvegarde de justice ;
3° Si une action a été introduite avant son décès aux fins d'ouverture d'une curatelle ou d'une tutelle ou si effet a été donné au mandat de protection future.
L'action en nullité s'éteint par le délai de cinq ans prévu à l'article 1304. »
« Néanmoins, les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne. »
« Dans tous les cas où l'action en nullité ou en rescision d'une convention n'est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans.
Ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d'erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts.
Le temps ne court, à l'égard des actes faits par un mineur, que du jour de la majorité ou de l'émancipation ; et à l'égard des actes faits par un majeur protégé, que du jour où il en a eu connaissance, alors qu'il était en situation de les refaire valablement. Il ne court contre les héritiers de la personne en tutelle ou en curatelle que du jour du décès, s'il n'a commencé à courir auparavant. »
■ Code de commerce
« Il est institué une procédure de liquidation judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné à l'article L. 640-2 en cessation des paiements et dont le redressement est manifestement impossible.
La procédure de liquidation judiciaire est destinée à mettre fin à l'activité de l'entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens. »
« I. -Le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.
Toutefois, le débiteur peut se constituer partie civile dans le but d'établir la culpabilité de l'auteur d'un crime ou d'un délit dont il serait victime.
Le débiteur accomplit également les actes et exerce les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission du liquidateur ou de l'administrateur lorsqu'il en a été désigné.
II. - Lorsque le débiteur est une personne morale, un mandataire peut être désigné, en cas de nécessité, au lieu et place des dirigeants sociaux par ordonnance du président du tribunal sur requête de tout intéressé, du liquidateur ou du ministère public.
III. -Lorsque le débiteur est une personne physique, il ne peut exercer, au cours de la liquidation judiciaire, aucune des activités mentionnées au premier alinéa de l'article L. 640-2. Toutefois, le débiteur entrepreneur individuel à responsabilité limitée peut poursuivre l'exercice d'une ou de plusieurs de ces activités, si celles-ci engagent un patrimoine autre que celui visé par la procédure.
IV. - Le liquidateur ne peut, sauf accord du débiteur, réaliser les biens ou droits acquis au titre d'une succession ouverte après l'ouverture ou le prononcé de la liquidation judiciaire, ni provoquer le partage de l'indivision pouvant en résulter. »
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