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[ 16 décembre 2021 ] Imprimer

Droit pénal général

Égalité devant la loi : quand les décisions du Conseil constitutionnel sont considérées comme des lois pour l’application de l’article 112-4, alinéa 2, du Code pénal

Les décisions du Conseil constitutionnel s’imposant aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles en vertu de l’article 62 de la Constitution, les déclarations de non-conformité ou les réserves d’interprétation qu’elles contiennent et qui ont pour effet qu’une infraction cesse, dans les délais, conditions et limites qu’elles fixent, d'être incriminée doivent être regardées comme des lois pour l’application de l'article 112-4, alinéa 2, du Code pénal. 

Crim. 9 nov. 2021, n° 20-87.078

Déclaré coupable de recel d’apologie d’actes de terrorisme sur le fondement des articles 321-1 et 421-2-5 du Code pénal, le prévenu avait été condamné à une peine de deux ans d’emprisonnement, dont un avec sursis et mise à l’épreuve. 

Dans un premier temps, l’intéressé avait formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la cour d’appel de Metz le condamnant. Dans un arrêt du 7 janvier 2020 (n° 19-80.136), la chambre criminelle avait rejeté le pourvoi jugeant qu’entre dans les prévisions des articles 321-1 et 421-2-5 du Code pénal le fait de détenir, à la suite d’un téléchargement effectué en toute connaissance de cause, des fichiers caractérisant l’apologie d’acte de terrorisme. Cet arrêt fut une parfaite illustration de la manière dont les juges répressifs contribuent à la lutte contre le terrorisme en construisant de toute pièce une infraction fondée sur la conjugaison de l’article 421-2-5 du Code pénal qui condamne le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de tels actes, avec l’article 321-1 incriminant le recel. L’infraction de recel d’apologie d’actes de terrorisme, invention prétorienne, n’a cependant pas vécu longtemps dans notre droit.

Quelques mois plus tard dans une affaire distincte, la Cour de cassation transmettait au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité à la Constitution du délit de recel d’apologie d’actes de terrorisme. Par une décision du 19 juin 2020 (n° 2020-845 QPC), le Conseil jugea que cette infraction portait une atteinte qui n’est pas nécessaire, adaptée et proportionnée à la liberté d’expression et de communication. 

Fort de cette solution, l’intéressé saisit alors dans un second temps la cour d’appel d’une requête en incident d’exécution, fondée sur l’article 710 du Code de procédure pénale, faisant valoir que la peine à laquelle il avait été condamné était illégale et qu’elle devait cesser de recevoir exécution.

La cour d’appel fit droit à sa demande faisant application des dispositions de l’alinéa 2 de l’article 112-4 du Code pénal selon lesquelles « la peine cesse de recevoir exécution quand elle a été prononcée pour un fait qui, en vertu d'une loi postérieure au jugement, n'a plus le caractère d'une infraction pénale ».

Le procureur général près la cour d’appel forma un pourvoi en cassation en contestant l’application de ces dispositions. Le moyen se constituait de deux branches. D’une part, il était reproché à la cour d’appel d’avoir méconnu le principe d’interprétation stricte de la loi pénale, le Conseil constitutionnel n’ayant assorti sa réserve prohibant le recel d’apologie d’actes de terrorisme d’aucune mention expresse tendant à remettre en cause les effets passés des condamnations déjà prononcées. D’autre part, le procureur général rappelait que la requête déposée sur le fondement de l’article 710 du Code de procédure pénale suppose qu’une difficulté d’exécution relative à la peine prononcée par la juridiction de jugement existe réellement, ce qui devait exclure tout moyen tendant à remettre en cause le fond d’une condamnation passée en force de chose jugée. 

La chambre criminelle n’est pourtant pas de cet avis. Par un raisonnement très détaillé, elle rejette le pourvoi du procureur général et considère que la cour d’appel a justifié sa décision. 

La Cour de cassation reprend en effet chacun des motifs de la cour d’appel qui étaient fondés à la fois sur les dispositions de l’article 112-4 du Code pénal et sur le principe d’égalité de tous devant la loi. 

Dans un premier temps, les juges du fond avaient considéré que les dispositions de l’article 112-4 ont une portée générale en ce qu’elles sont la mise en œuvre d’un principe du droit pénal relatif à l’application de la loi dans le temps, à savoir l’application immédiate de la loi pénale plus douce aux situations en cours (plus connue sous le nom de rétroactivité in mitius. Sur ce principe, v. not., Rép. Pén. Dalloz, v° « Lois et règlements. Application de la norme pénale », par. C. Lacroix, n° 164 à 173). 

Dans un second temps, les juges ajoutaient que l’article 112-4 du Code pénal repose sur un principe plus général du droit, à savoir l’égalité de tous devant la loi, en ce que ces dispositions ont pour effet d’assurer l’égalité entre le justiciable qui ne peut plus être poursuivi en raison de la suppression de l’incrimination, même pour des faits commis sous l’empire de la loi ancienne, et le justiciable qui a été définitivement condamné en raison d’une incrimination qui a été supprimée avant l’exécution de sa peine. Ils concluaient ainsi que la suppression d’une incrimination, que ce soit par l’effet d’une loi nouvelle ou par l’effet d’une décision du Conseil constitutionnel déclarant l’incrimination contraire à la Constitution dans le corps de son dispositif ou dans une réserve d’interprétation, s’oppose à la mise à exécution de cette peine. 

Approuvant ce raisonnement, la chambre criminelle ajoute ainsi que « les décisions du Conseil constitutionnel s’imposant aux pouvoirs publics et à toutes autorités administratives et juridictionnelles en vertu de l’article 62 de la Constitution, les déclarations de non-conformité ou les réserves d’interprétation qu’elles contiennent et qui ont pour effet qu’une infraction cesse, dans les délais, conditions et limites qu’elles fixent, d’être incriminée, doivent être regardées comme des lois pour l’application de l’article 112-4, alinéa 2, du code pénal ».

Face à une telle décision, le juriste pénaliste, qu’il soit praticien, universitaire ou bien encore (jeune) étudiant, ne peut qu’être étonné. Après avoir créé de toute pièce le recel d’apologie d’actes de terrorisme, voilà que la Cour de cassation juge que les décisions du Conseil constitutionnel doivent être considérées de la même manière que des lois, comme si le Conseil constitutionnel était finalement l’égal du législateur (ou presque… Sur ce point, v. not. V. Peltier, « Inexécution de la peine à la suite d’une réserve constitutionnelle », Dr. Pénal 2021, n° 12, p. 25). Les conséquences d’une telle décision sont en effet considérables pour le condamné, puisque sur le fondement même d’une réserve du Conseil constitutionnel, sa peine cesse purement et simplement de recevoir exécution. 

Pour autant, cette solution s’explique et se justifie.

Sur le fondement du principe d’égalité tout d’abord, en ce qu’il serait en effet injuste qu’un justiciable qui ne puisse plus être poursuivi pénalement en raison de la suppression de l’incrimination soit traité différemment de celui qui a été condamné en raison d’une incrimination qui a été supprimée ou de celui qui doit subir une peine qui n’est plus prévue pour l’infraction commise. Pour neutraliser ces atteintes, l’article 112-4 du Code pénal précise les conséquences de l’application immédiate d’une loi nouvelle aux situations en cours. Si le principe prévu au premier alinéa dudit article est que « l’application immédiate de la loi nouvelle est sans effet sur la validité des actes accomplis conformément à la loi ancienne », le second alinéa prévoit une exception selon laquelle « la peine prononcée en application de la loi ancienne cesse de recevoir exécution quand elle a été infligée pour un fait, qui en vertu d’une loi postérieure au jugement, n’a plus le caractère d’une infraction pénale ». C’est donc pour neutraliser les pires excès que dans cette hypothèse, la loi nouvelle plus douce produit un certain effet rétroactif : la peine prononcée contre le condamné doit cesser de recevoir exécution. 

C’est donc aussi et surtout sur le fondement de l’article 112-4 que la solution de la Cour de cassation se justifie : parce que ces dispositions font référence à la « loi », la Cour indique que les décisions du Conseil constitutionnel, s’imposant aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles en vertu de l’article 62 de la Constitution, doivent justement être assimilées à une loi : « les déclarations de non-conformité ou les réserves d'interprétation qu'elles contiennent et qui ont pour effet qu’une infraction cesse, dans les délais, conditions et limites qu'elles fixent, d'être incriminée doivent être regardées comme des lois pour l'application de l'article 112-4, alinéa 2, du code pénal ». 

Finalement, les lois nouvelles qui abrogent une incrimination ou bien les déclarations d’inconstitutionnalité et réserves d'interprétation du Conseil constitutionnel qui ont pour effet qu’une infraction ou une peine cesse, doivent dont être considérées comme des lois pénales plus douces. Il en va ainsi de l’égalité de tous devant la loi pénale. 

Références

■ Crim. 7 janvier 2020, n° 19-80.136 P : D. 2020. 312, note D. Roets ; ibid. 2367, obs. G. Roujou de Boubée, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; AJ pénal 2020. 293, étude M. Bendavid et C. Quendolo ; Légipresse 2020. 81 et les obs. ; ibid. 238, étude B. Fiorini ; ibid. 2021. 112, étude E. Tordjman et O. Lévy ; ibid. 291, étude N. Mallet-Poujol

■ Cons. const. 19 juin 2021, n° 2020-845 QPC : D. 2020. 1360, et les obs. ; ibid. 2021. 1308, obs. E. Debaets et N. Jacquinot ; Légipresse 2020. 466 et les obs. ; ibid. 2021. 112, étude E. Tordjman et O. Lévy ; ibid. 291, étude N. Mallet-Poujol

 

 

Auteur :Laura Pignatel

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