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Droit du travail - relations collectives
Élections professionnelles : l’égalité des sexes et la liberté syndicale en tension
Depuis la loi Rebsamen du 17 aout 2015, les listes des candidats aux élections professionnelles (DP, CE et désormais CSE) doivent refléter fidèlement le genre du corps électoral: elles sont obligatoirement composées d’un nombre de femmes et d’hommes correspondant à la part des électeurs de l’un et l’autre sexe inscrits sur la liste électorale. Cette règle vaut pour chaque collège, pour les titulaires et les suppléants et les deux tours des élections.
Or, au premier tour, les organisations syndicales disposent d’un monopole pour présenter des candidats. Dans un arrêt du 13 février 2019, la Cour de cassation affirme avec force que ces dispositions légales ne portent pas une atteinte excessive à la liberté syndicale, et partant, sont conformes au droit international. Pour saisir les enjeux de cet arrêt estampillé PBRI, il est nécessaire – une fois n’est pas coutume – de commencer par les sanctions de la méconnaissance des règles relatives à la composition des listes car elles entrent en considération au moment de résoudre le conflit entre liberté syndicale et égalité des sexes.
■ Les sanctions de la méconnaissance de la représentation équilibrée des listes électorales
Au terme de l’article L. 2314-32 du Code du travail (ancien art. L. 2224-23), si le juge d’instance constate, après l’élection, le non-respect par une liste des règles relatives au sexe des candidats, il doit annuler l’élection d’autant de personnes élues que de candidat dont le sexe est surreprésenté.
Ainsi, comme en l’espèce, si un collège est composé de 77% d’hommes et de 23 % de femmes, la liste de candidats doit respecter le même rapport. Pour une liste de 17 candidats, il faut présenter 13 hommes et 4 femmes. Ici, la liste de la CFE-CGC France télécom Orange comprenait cinq candidatures féminines. Dès lors, le juge d’instance devait annuler le mandat obtenu par une femme présentée par la CFE-CGC. Cette annulation n’entraine pas l’organisation d’une nouvelle élection pour combler le siège manquant. De 17 représentants, le collège en cause se trouve réduit à 16 membres. Cette sanction retenue par le législateur porte donc en germe un risque pour l’institution. Un collège et plus largement le CSE pourrait se retrouver fort démuni. Or, en 2015, le législateur a souhaité enfoncer le clou en excluant tout mécanisme permettant de pourvoir les sièges vacants. Il a apporté une dérogation au droit commun en précisant que, même si, en raison de ces annulations, un collège n’était plus représenté ou si, tout collège confondu, la délégation du personnel était réduite d’au moins la moitié, l’employeur n’avait pas à organiser d’élections partielles (C. trav., art. L. 2314-10).
A l’occasion d’une QPC rendue le 13 juillet 2018, le Conseil constitutionnel est venu censurer cette dérogation au motif qu’elle porte atteinte au fonctionnement normal de l’institution (n° 2018-720/721/722/723/724/725/726 QPC). Mettant en balance la garantie d’une représentation équilibrée et le principe de participation, le Conseil constitutionnel opte pour la sauvegarde du second. L’employeur devra donc bien organiser des élections partielles lorsqu’un collège n’est plus représenté ou que l’institution a perdu la moitié de ses représentants élus. Cette QPC était portée par la CFE-CGC dans le cadre du même contentieux que celui en cause dans l’arrêt commenté. Aussi, l’organisation syndicale estimait, dans son pourvoi, que la censure du Conseil constitutionnel devait automatiquement entrainer la cassation du jugement du tribunal d’instance. La Cour de cassation écarte assez rapidement l’argument : la déclaration d’inconstitutionnalité ne concerne que la dérogation à l’organisation d’élections partielles, non le dispositif impliquant l’annulation des élus du sexe surreprésenté. Elle peut alors examiner le cœur de la question : l’atteinte apportée à la liberté syndicale
■ Le conflit entre l’égalité des sexes et la liberté syndicale
Outre son fondement constitutionnel, la liberté syndicale est garantie par de nombreuses dispositions internationales dont l’effet horizontal direct ne pose guère de difficulté : plusieurs conventions de l’OIT, l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme, les articles 5 et 6 de la Charte sociale européenne et l’article 28 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union. Cette liberté implique certainement la capacité pour les syndicats de présenter aux élections professionnelles les candidats de leur choix. Or, imposer des règles concernant le sexe des candidats entrave bien, dans une certaine mesure, la marge de manœuvre de l’organisation syndicale. La Cour de cassation va alors aborder la question sous l’angle d’un conflit de droits fondamentaux. Les hauts magistrats vont convoquer des textes de même valeur que la liberté syndicale : la convention n° 111 de l’OIT, les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l’homme, les articles 21 et 23 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union qui ont tous trait à l’interdiction des discriminations ou à l’égalité entre les sexes.
La référence à la discrimination est délicate à saisir. Le recours à la notion de discrimination directe pour sauver le système de représentation équilibrée est contre-intuitif puisqu’un salarié pourra ou non être sélectionné comme candidat aux élections professionnelles en raison de son sexe. C’est en fait l’égalité des chances qui mérite d’être mobilisée. Le dispositif mis en place par la loi Rebsamen vise à garantir l’égal accès des salariés, quel que soit leur sexe, aux fonctions représentatives. On relèvera d’ailleurs que le Conseil d’État, sollicité en 2015 pour donner son avis sur le mécanisme discuté, avait fait le lien avec l’article 1er de la Constitution de 1958 qui énonce que : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, ainsi qu'aux responsabilités professionnelles et sociales » (CE, avis, 16 avr. 2015, n° 389926. V. aussi le refus de la chambre sociale de transmettre une QPC : Soc 14 févr. 2018, n° 17-40.076).
Dans son arrêt du 13 février 2019, la Cour de cassation examine ainsi l’atteinte apportée à la liberté syndicale à l’aune de deux objectifs légitimes : assurer une représentation des salariés qui reflète la réalité du corps électoral d’une part, promouvoir l’égalité des sexes d’autre part.
Concernant le premier objectif, les hauts magistrats relèvent que la loi n’impose pas la parité mais le respect d’un rapport de proportionnalité. L’atteinte à la liberté syndicale demeure mesurée.
Concernant le second, la Cour s’appuie sur la décision du Conseil constitutionnel limitant la portée de la sanction attachée à la méconnaissance de la représentation équilibrée. Des élections partielles visant à combler les mandats vacants seront possibles « dans le cas où ces annulations conduiraient à une sous-représentation trop importante au sein d’un collège ».
L’atteinte à la liberté syndicale n’est donc pas disproportionnée. La formule adoptée par la Cour de cassation relève pourtant de l’euphémisme. Selon l’article L. 2314-10 du Code du travail des élections partielles ne seront organisées que si un collège électoral n’est plus du tout représenté !
La liberté syndicale, vu sous l’angle de choisir librement ses représentants, n’est pas absolue. L’arrêt du 13 février 2019 se situe dans la droite ligne de solutions précédentes et parfois assez contraignantes pour les organisations syndicales (V. Soc. 9 mai 2018, n° 17-14.088, où la Cour impose à une organisation syndicale de présenter nécessairement au moins deux candidats, de chacun des deux sexes, dès lors qu’il y a deux postes à pourvoir).
Reste que les juges ne s’aventurent pas à apprécier la pertinence du dispositif. Le demandeur au pourvoi soutenait que l’application du texte était absurde car il avait conduit à l’annulation d’un mandat occupé par une femme. L’organisation syndicale se trompait toutefois sur l’objectif officiellement poursuivi : il ne s’agit pas d’une mesure d’action positive en faveur des femmes mais d’une mesure de mixité au sein des responsabilités sociales… Le dispositif issu de la loi Rebsamen pourrait donc bien être relié à un autre combat : l’égalité dans l’accès à l’emploi : dans une entreprise où les métiers sont essentiellement masculins, les organisations syndicales doivent d’abord défendre la mixité des emplois, lutter contre une répartition stéréotypée des métiers pour ensuite espérer pouvoir présenter davantage de femmes aux élections professionnelles (La négociation obligatoire dans l’entreprise sur l’égalité professionnelle implique d’ailleurs de fixer des objectifs en matière de mixité des emplois, C. trav., L. 2242-17)…combat qui relève sans doute de la liberté d’action syndicale…
Soc. 13 février 2019, n° 18-17.042
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 8
« Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
Article 11
« Liberté de réunion et d'association. 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d'association, y compris le droit de fonder avec d'autres des syndicats et de s'affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts.
2. L'exercice de ces droits ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. Le présent article n'interdit pas que des restrictions légitimes soient imposées à l'exercice de ces droits par les membres des forces armées, de la police ou de l'administration de l'État. »
Article 14
« Interdiction de discrimination. La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. »
■ Charte sociale européenne
Article 5
« Droit syndical. En vue de garantir ou de promouvoir la liberté pour les travailleurs et les employeurs de constituer des organisations locales, nationales ou internationales, pour la protection de leurs intérêts économiques et sociaux et d'adhérer à ces organisations, les Parties s'engagent à ce que la législation nationale ne porte pas atteinte, ni ne soit appliquée de manière à porter atteinte à cette liberté. La mesure dans laquelle les garanties prévues au présent article s'appliqueront à la police sera déterminée par la législation ou la réglementation nationale. Le principe de l'application de ces garanties aux membres des forces armées et la mesure dans laquelle elles s'appliqueraient à cette catégorie de personnes sont également déterminés par la législation ou la réglementation nationale. »
Article 6
« Droit de négociation collective. En vue d'assurer l'exercice effectif du droit de négociation collective, les Parties s'engagent:
1 à favoriser la consultation paritaire entre travailleurs et employeurs;
2 à promouvoir, lorsque cela est nécessaire et utile, l'institution de procédures de négociation volontaire entre les employeurs ou les organisations d'employeurs, d'une part, et les organisations de travailleurs, d'autre part, en vue de régler les conditions d'emploi par des conventions collectives;
3 à favoriser l'institution et l'utilisation de procédures appropriées de conciliation et d'arbitrage volontaire pour le règlement des conflits du travail;
et reconnaissent:
4 le droit des travailleurs et des employeurs à des actions collectives en cas de conflits d'intérêt, y compris le droit de grève, sous réserve des obligations qui pourraient résulter des conventions collectives en vigueur. »
■ Charte des droits fondamentaux de l’Union
Article 21
« Non-discrimination. 1. Est interdite toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.
2. Dans le domaine d'application des traités et sans préjudice de leurs dispositions particulières, toute discrimination exercée en raison de la nationalité est interdite. »
Article 23
« Égalité entre femmes et hommes. L'égalité entre les femmes et les hommes doit être assurée dans tous les domaines, y compris en matière d'emploi, de travail et de rémunération.
Le principe de l'égalité n'empêche pas le maintien ou l'adoption de mesures prévoyant des avantages spécifiques en faveur du sexe sous-représenté. »
Article 28
« Droit de négociation et d'actions collectives. Les travailleurs et les employeurs, ou leurs organisations respectives, ont, conformément au droit de l'Union et aux législations et pratiques nationales, le droit de négocier et de conclure des conventions collectives aux niveaux appropriés et de recourir, en cas de conflits d'intérêts, à des actions collectives pour la défense de leurs intérêts, y compris la grève. »
■ Cons. const. 13 juill. 2018, Synd. CFE-CGC France Télécom Orange et a., n° 2018-720/721/722/723/724/725/726 QPC : D. 2018. 1498 ; Constitutions 2018. 407, chron. Petit
■ CE, avis, 16 avr. 2015, n° 389926.
■ Soc 14 févr. 2018, n° 17-40.076 P
■ Soc. 9 mai 2018, n° 17-14.088 P : D. 2018. 1018 ; ibid. 1706, chron. N. Sabotier et F. Salomon ; Dr. Soc. 2018, p. 921 note F. Petit
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