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Droit pénal général
Eléments constitutifs de la mise en danger : démarche analytique exigée !
Par son arrêt du 13 novembre 2019, la Cour de cassation rappelle la méthode qui doit être adoptée par les juges du fond dans le cadre de la recherche des éléments constitutifs de l’infraction de mise en danger visée par l’article 223-1 du Code pénal.
La méthode dans la recherche des éléments constitutifs des infractions ne fait pas souvent l’objet de développements de la part de la Cour de cassation. Le respect de la méthode dans la recherche analytique revêt une acuité particulière pour ce qui concerne les infractions qui nécessitent que soient établies certaines conditions préalables à leur mise en œuvre. Il en va ainsi de l’infraction de mise en danger d’autrui. L’article 223-1 du Code pénal, dont les conditions d’application sont ici interrogées, est relatif à la répression de la mise en danger. Sa mise en œuvre suppose que soit établie l’existence d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement dont la violation est susceptible de permettre la caractérisation du délit. C’est de manière subséquente qu’il est nécessaire de rapporter la preuve du caractère immédiat du risque alors crée ainsi que du caractère manifestement délibéré de la violation de l’obligation particulière de prudence ou de sécurité. Cet arrêt s’inscrit pleinement dans la recherche des éléments constitutifs nécessaires pour établir l’existence de l’infraction de mise en danger.
La société par actions simplifiée SAFT exerce une activité de conception et de construction de batterie de haute technologie. Disposant d’un site à Nersac consacré à la fabrication et l’assemblage d’accumulateurs utilisant une technologie dite nickel-cadmium, la société requiert l’utilisation de matériaux classés dans la catégorie des agents cancérogènes mutagènes ou toxiques pour la reproduction (agents CMR). La SAFT, qui disposait dès 2003 d’un protocole visant à réduire les risques d’exposition au cadmium, devait céder l’activité du site de Nersac à une autre société en 2013. Avant que cette cession n’intervienne, le comité d’hygiène et de sécurité des conditions de travail de l’établissement repreneur a sollicité un rapport d’expert. Le rapport établi par le cabinet G devait mettre en évidence certaines insuffisances du dispositif mis en place sur le site visité, objet de la cession.
La société SAFT et M. F., chef d’établissement de Nersac, sont convoqués par voie de citation directe sur le fondement de l’article 223-1 du Code pénal pour avoir exposé directement des salariés à un risque immédiat de mort ou de blessures. De nombreuses fautes sont évoquées au soutien de la prévention. Il est notamment reproché aux prévenus la conception de procédés de travail ne permettant pas de limiter l’exposition des salariés aux substances chimiques dangereuses pour leur santé, d’avoir omis de mettre en place du matériel adéquat et efficace d’aspiration collective de nature à éviter la propagation au sein des espaces de travail des substances chimiques cancérigènes, de s’être abstenus d’organiser la séparation physique des espaces au sein desquels les agents chimiques sont utilisés des autres parties de l’usine.
Si les premiers juges retiennent ces motifs pour établir la culpabilité des prévenus sur le fondement du délit de mise en danger de la vie d’autrui, la cour d’appel de Bordeaux estime au contraire la prévention non établie. Saisie par les prévenus, le ministère public et les parties civiles, elle juge que les motifs énoncés ne permettent pas d’établir de grief au regard de l’obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement telle qu’elle est exigée par la lettre de l’article 223-1 du Code pénal. Au soutien de son argumentaire, la cour d’appel développe divers arguments, directement issus des conditions de mise en œuvre de l’infraction de mise en danger. Sur la nature des règles qui imposent l’obligation particulière de prudence ou de sécurité, la cour d’appel souligne à titre liminaire que l’obligation particulière de prudence ou de sécurité telle qu’entendue au sens de l’article 223-1 du Code pénal doit être une norme suffisamment précise pour que soit déterminable, sans équivoque, la conduite à tenir dans telle ou telle situation de sorte à ce que les écarts de conduite soient aisément identifiés. Si certaines règles de prudence énoncées par le Code du travail sont susceptibles de répondre à la nature de l’obligation particulière de prudence ou de sécurité, il n’en demeure pas moins que le caractère manifestement délibéré de la violation de ces dernières ne peut, en l’espèce, être retenu. La cour d’appel estime à ce titre que l’employeur a manifesté depuis des années un réel souci de progresser dans la sécurité du travail ce qui lui apparaît incompatible avec le caractère manifestement délibéré des violations reprochées. Enfin la cour d’appel refuse de considérer comme établie l’exposition à un risque d’une particulière gravité. Elle relève à ce titre que le rapport d’expert, s’il retient que le process industriel peut être amélioré pour diminuer l’exposition des salariés aux CRM, ne comporte aucune analyse ni mesure des produits que contiennent les dépôts de poussière de sorte qu’il ne peut combattre utilement les mesures effectuées par le bureau Véritas qui relèvent que les niveaux d’exposition des salariés au nickel et au cadmium sont inférieures aux valeurs limites d’exposition professionnelles promues par les pouvoirs publics.
Au soutien de leur pourvoi, les parties civiles avancent également une série de moyens. Est notamment reproché à la cour d’appel d’avoir refusé de juger que les prévenus s’étaient manifestement et délibérément abstenus d’éviter ou de minimiser les dégagements des agents CRM alors même qu’il est constaté que des améliorations des dispositifs de protection étaient attendues et pour certaines, nécessaires. Il est ensuite reproché à la cour d’appel de considérer que les prévenus ignoraient la nature et la qualité des dépôts de poussière dès lors que les contrôles effectués n’ont pas relevé de dépassement des valeurs limites biologiques et des valeurs limites d’exposition professionnelle alors que l’obligation de sécurité susvisée s’applique dès lors qu’il est établi que sont utilisées des substances dont la manipulation dégageait de la poussière et des résidus de cadmium. Les dispositions particulières de prudence et de sécurité dans ce cadre ne dispensent dès lors pas l’employeur de l’obligation au seul motif que le dépassement des valeurs limites d’exposition n’aurait pas été constaté. Ce dernier élément ne permettrait pas plus d’écarter, par ailleurs, la violation manifestement délibérée de cette obligation de prudence ou de sécurité.
La Cour de cassation censure l’arrêt d’appel sur le fondement la violation de la démarche analytique dans la recherche des éléments exigés par l’article 223-1 du Code pénal. Par cet arrêt, la chambre criminelle prend le soin de rappeler la lettre ainsi que les conditions de mise en œuvre de l’infraction de mise en danger. Elle souligne que, dans l’hypothèse dans laquelle est retenue une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, cette dernière n’est pas susceptible de faculté d’appréciation personnelle du sujet à qui elle s’adresse. Aussi la Cour souligne-t-elle qu’il incombait à la cour d’appel de rechercher les obligations particulières de prudence ou de sécurité imposées par la loi ou le règlement qui, « objectives, immédiatement perceptibles et clairement applicables sans faculté d’appréciation personnelle du sujet, étaient susceptibles d’avoir été méconnues ». C’est seulement une fois établie l’existence de cette obligation particulière de prudence ou de sécurité qu’il lui appartenait « d’apprécier dans cette hypothèse, si (...) les plaignants avaient été exposés à un risque immédiat » et, enfin, « de rechercher si la ou les manquements le cas échéant relevés ressortaient à une violation manifestement délibérée de l’obligation de sécurité ». Ce faisant la Cour de cassation prend le soin de rappeler la méthode qui doit prévaloir à la recherche des éléments constitutifs de l’infraction de mise en danger délibérée impliquant de rechercher l’obligation violée, le risque engendré puis la faute commise. Les juges du fond dans le cadre de l’établissement de la preuve de l’infraction de mise en danger devront alors, afin de ne pas encourir la censure, se conformer aux prescriptions méthodologiques ici énoncées.
Crim. 13 novembre 2019, n° 18-82.718
Référence
■ Fiches d’orientation Dalloz : Risque causé à autrui
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