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Droit des biens
Élevage et trouble anormal du voisinage
Mots-clefs : Exploitation agricole, Élevage, Chevaux, Stockage de paille, Nuisances sonores et olfactives, Risque d’incendie, Trouble anormal du voisinage (oui)
Même en milieu rural, doit être réparé le trouble de voisinage causé par la présence de chevaux à l’origine de nuisances sonores et olfactives et par le stockage de paille présentant un risque d’incendie particulièrement élevé.
La propriétaire d’un immeuble à usage d’habitation avait assigné son voisin, propriétaire d’un hangar agricole, pour voir constater, principalement, qu’il était à l’origine de troubles excédant les inconvénients normaux de voisinage occasionnés par la présence de chevaux et de poneys à proximité immédiate de sa maison d’habitation, ainsi que par le stockage de paille et de foin au mépris des règles de sécurité.
Pour débouter la propriétaire de sa demande, la cour d’appel retint que celle-ci n’avait pas rapporté la preuve du préjudice dont elle se prétendait victime alors que dans un environnement rural, le fait que des chevaux, en nombre très limité, soient présents à proximité de son habitation n’excède pas les désagréments habituels du voisinage en milieu rural et ne génère a priori aucun préjudice à son égard.
Au visa du principe selon lequel « nul ne peut causer à autrui un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage », la Cour de cassation censure cette analyse reprochant aux juges du fond :
– d’une part, de ne pas avoir recherché si la présence d’équidés à moins de quatre mètres d’une habitation n’induisait pas, par elle-même, fût-ce en milieu rural, des nuisances sonores et olfactives excédant les inconvénients normaux du voisinage ;
– et, d’autre part, de ne pas avoir répondu aux conclusions de la propriétaire qui prétendait que la présence des chevaux était à l’origine d’une prolifération d’insectes excédant de tels inconvénients et que le stockage de paille présentait un risque d’incendie.
Absente du Code civil, la théorie des troubles du voisinage fut créée par la jurisprudence pour réparer, sur le fondement de l’article 1382 du Code civil, les préjudices liés aux troubles excessifs causés par les rapports de voisinage. L’engagement, sur ce fondement, de la responsabilité de l’auteur du trouble ne suppose donc pas un fait illicite, mais la caractérisation d’un trouble anormal, d’un inconvénient excessif, c’est-à-dire qui excède les inconvénients « normaux » de voisinage, comme le rappelle ici la Cour dans son visa (Civ. 3e, 20 déc. 2006 : la responsabilité est engagée « en raison de troubles anormaux du voisinage dont [ils] étaient les auteurs sans qu'aucune faute de leur part ne leur soit imputée ») ; l'auteur est ainsi responsable sans faute (activité normale) de son fait personnel (l'atteinte cause d'un trouble) à raison de l'anormalité du préjudice causé.
Pour caractériser le trouble anormal, le juge doit tenir compte de tout un ensemble de circonstances.
Ainsi l’excès ne sera-t-il pas apprécié de la même façon selon que le trouble allégué se produit en zone urbaine ou rurale, qu’il est répété ou ponctuel, qu’il résulte d’une activité diurne ou nocturne, etc.
Concernant le cas des activités d’élevage, diverses circonstances, notamment le nombre d’animaux, leur emplacement, ou encore la zone géographique où résident les voisins en conflit, sont prises en compte. Ainsi appartient-il aux juges du fond de rechercher si les nuisances résultant d’une nouvelle activité d'élevage de bovins en nombre plus élevé que celui, antérieur, de chevaux, peut être à l'origine de troubles de voisinage (Civ. 2e, 10 mai 2007). Par exemple, crée un trouble de voisinage le bâtiment accueillant un élevage caprin et une fosse à purin situés dans une zone pavillonnaire, donc non rurale (Metz, 1re ch., 19 avr. 2007). Aussi l’anormalité du trouble est-elle avérée en présence de quatre chevaux, de deux ânes et d’une basse-cour sur un fonds ne comportant aucun aménagement pour l'élevage d'animaux (Grenoble, 1re ch., 5 févr. 2007), ou bien encore en cas de nuisances sonores excessives imputables à divers élevages d'animaux (volailles, tourterelles, canards et chiens ; Nîmes, 2e ch. A, 21 mars 2006). Les nuisances olfactives sont également susceptibles d’être indemnisées. Ainsi fut-il jugé que des propriétaires d'une maison voisine d'un élevage industriel de canards invoquent à bon droit un trouble lié aux odeurs excédant les inconvénients normaux de voisinage (Agen, 1re ch., 15 mars 2006).
Cela étant, la seule réalité du trouble est insuffisante ; encore faut-il que le demandeur rapporte la preuve qu’il en subit un préjudice réel. Par exemple, les propriétaires d'une maison d'habitation doivent être déboutés de leur action intentée contre le centre équestre voisin, faute d'apporter la preuve que les eaux en provenant soient à l'origine d'odeurs nauséabondes insupportables dans une zone rurale à vocation agricole, et que ces odeurs et les mouches présentes lui soient imputables, la maison étant entourée d'un élevage de 50 bovins et d'une porcherie de 3 000 bêtes (Chambéry, 2e ch., 4 avr. 2006). Aussi le trouble invoqué (nuisances olfactives et présence d’insectes) à l’encontre d’un bâtiment agricole situé en milieu rural et abritant des bovins en stabulation ouverte, doit être écarté en l’absence de preuves tangibles de l'anormalité de ces nuisances (Riom, 1re ch., 28 sept. 2006).
De façon générale, la jurisprudence tient compte, même dans l’hypothèse particulière d’un élevage, de critères classiques d’appréciation de l’existence ou non du trouble : l’environnement, la connaissance, par le demandeur, de l’existence de nuisances à la date de son installation, la fréquence et l’intensité des nuisances. En revanche, la seule infraction à une disposition administrative ou réglementaire est insuffisante pour constituer le trouble (Civ. 2e, 17 févr. 1993).
Civ. 2e, 11 sept. 2014, n°13-23.049
Références
« Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. »
■ Civ. 3e, 20 déc. 2006, n° 05-10.855.
■ Civ. 2e, 10 mai 2007, n°06-14.493.
■ Grenoble, 1re ch., 5 févr. 2007, n°05/03324.
■ Agen, 1re ch., 15 mars 2006.
■ Riom, 1re ch., 28 sept. 2006, n°05/02761.
■ Civ. 2e, 17 févr. 1993, n°91-16.928.
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