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Droit des obligations
Empiètement : nature et prescription de l’action en responsabilité
Le bailleur qui se prévaut d’un empiétement pour agir en responsabilité contractuelle exerce une action personnelle soumise à la prescription quinquennale dont le délai court à compter de la connaissance effective de l’empiétement.
Civ. 3e, 8 févr. 2023, 21-20.535 B
Lorsqu’un empiétement est dénoncé non pas au titre de la défense du droit de propriété (v. not. Civ. 3e, 5 juin 2002, n° 00-16.077), mais au titre de l’inexécution d’une obligation contractuelle (v. not. Civ. 3e, 23 janv. 2020, n° 18-22.217), le créancier de cette obligation exerce alors une action non pas réelle mais personnelle. Cette qualification est, sur le terrain de la prescription, déterminante puisque si les actions réelles immobilières sont soumises à la prescription trentenaire (v. C. civ., art. 2224 et 2227 ; anc. art. 2262), les actions personnelles ou mobilières se prescrivent quant à elles par un délai de cinq ans. La qualification de la nature réelle ou personnelle de l’action suppose toutefois de déterminer le titre exact en vertu duquel le demandeur agit pour faire cesser l’empiètement.
Défense du droit de propriété ou respect de la force obligatoire du contrat ? Dans certains cas, ces deux finalités s’entremêlent au point que les deux actions – réelle et personnelle – sont susceptibles d’être intentées (v. Civ. 3e, 6 avr. 2022, n° 21-13.891, à propos d’un empiétement commis en violation d’une servitude de lotissement). Dans d’autres cas, tel que celui de l’espèce, ces deux finalités se distinguent sans équivocité, justifiant de consacrer l’étanchéité des deux actions. Ainsi la Cour de cassation affirme-t-elle, dans l’arrêt sous commentaire, qu’au cas où une action personnelle en cessation de l’empiètement est engagée, les éléments constitutifs de l’action réelle n’exercent aucune influence sur le régime applicable à cette action de nature personnelle, notamment sur le cours de sa prescription.
Au cas d’espèce, en 1963, une société civile immobilière avait consenti à une société un bail emphytéotique sur deux parcelles dans le but d’y construire une clinique. En 1988, soit vingt-cinq ans plus tard, la clinique avait fait l’objet d’une extension empiétant sur une parcelle appartenant au bailleur et non incluse dans le bail. En 2008, le bailleur avait assigné l’emphytéote en référé-expertise aux fins de constater l’empiétement. Dix ans après avoir obtenu cette première mesure, le bailleur avait, motif pris de divers manquements contractuels, demandé la résiliation du contrat ainsi que la réparation de son préjudice résultant de l’empiétement. La cour d’appel le débouta de sa demande indemnitaire fondée sur l’empiétement au motif que son action, de nature personnelle, était prescrite. Elle précisa en ce sens que « la SCI ne dénonce l’empiétement qu’au titre d’un manquement commis par son preneur dans le cadre du bail », de sorte qu’elle a exercé une action personnelle dont la prescription courait à compter de la connaissance de l’empiétement, soit au moins depuis 2008. Devant la Cour de cassation, le bailleur, sans remettre en cause la nature personnelle de son action, soutenait que sa recevabilité devait être admise, au moins dans la limite de cinq ans précédant l’introduction de sa demande, « dès lors que l’empiétement se poursuit et que l’action réelle n’est pas prescrite ». La Cour de cassation juge ce moyen non fondé. Elle approuve la cour d’appel d’avoir relevé que l’empiétement « était invoqué au titre d’un manquement contractuel du preneur à ses obligations », de sorte que cette action en responsabilité contractuelle était soumise à la prescription quinquennale qui courait à compter « de la connaissance de l’empiétement et non à celle de la cessation de celui-ci ».
■ Univocité de la nature personnelle de l’action. En l’espèce, la nature personnelle de l’action n’était pas susceptible d’être discutée. Engagée dans le cadre contractuel d’un bail emphytéotique, à l’issue duquel le bailleur est en droit de conserver sans contrepartie financière les constructions réalisées sur le fonds par le preneur, l’action en indemnisation du bailleur, dont la nature personnelle est soulignée par les juges, ne pouvait être autrement qualifiée. En effet, profitant de la construction édifiée par l’emphytéote pour valoriser le fonds, le bailleur n’avait aucun intérêt à engager une action réelle en démolition de cette construction, d’autant moins que celle-ci avait été érigée sur un fonds lui appartenant. D’évidence étrangère au fonds empiété, sa demande ne pouvait être autrement formée que sur le fondement du respect de la force obligatoire du contrat. La nature personnelle de son action était donc acquise.
■ Étanchéité des actions réelle et personnelle. Ceci posé, se trouvait discutée la prescription de l’action du bailleur, ce dernier ayant sollicité, compte tenu de la poursuite de l’empiètement, le déplacement du point de départ du délai à la date de cessation de celui-ci. Or si la qualification d’action personnelle emporte des conséquences sur le délai de la prescription, elle n’influence en rien le point de départ de ce délai : que l’action soit personnelle ou réelle, le point de départ du délai considéré est invariablement fixé au « jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer » (v. C. civ., art. 2224 et 2227) soit, à rapporter cette règle à l’espèce, au jour de la connaissance effective de l’empiètement par le bailleur. Les juges du fond l’avaient datée à l’époque du référé-expertise ayant établi l’empiètement, soit en 2008, vingt ans après la commission de l’empiètement. La prescription de l’action personnelle du demandeur étant acquise, il convient de noter que son moyen fondé sur la persistance de l’empiètement et l’absence de prescription de l’action réelle n’a pu prospérer : en confirmant que le point de départ de l’action se situait à « la date de la connaissance de l’empiétement », la Cour de cassation exclut la possibilité de le fixer à la date « de la cessation de celui-ci », comme l’invoquait le demandeur, et maintient ainsi la frontière séparant les deux actions, réelle et personnelle, en cessation de l’empiètement. Quand bien même l’empiètement n’avait pas cessé, le bailleur n’était pas en droit de bénéficier de l’absence de prescription de l’action réelle. L’étanchéité ici affirmée entre l’action réelle et l’action personnelle se comprend, d’une part, au regard du principe traditionnel de leur distinction, dont la conséquence sur la durée du délai de prescription ne peut être évitée sans méconnaître la protection que la loi confère, par la prescription trentenaire, aux seuls droits réels immobiliers, a fortiori à celui litigieux, droit spécial détenu pour une longue durée par l’emphytéote (v. Rép. civ., v° Bail emphytéotique, par J.-L. Texier, n° 3). Elle s’explique, d’autre part, par le but tout aussi classique de la prescription civile, visant à éteindre une obligation lorsque son créancier a, par négligence, excédé le temps qui lui était légalement imparti pour agir contre son débiteur défaillant. C’est la raison pour laquelle il n’était pas davantage possible d’admettre que la poursuite du manquement contractuel empêchait la prescription de courir ; c’eût été cautionner l’inaction du bailleur.
Références :
■ Civ. 3e, 5 juin 2002, n° 00-16.077 P : D. 2003. 1461, et les obs., note G. Pillet ; ibid. 2044, obs. N. Reboul-Maupin ; RDI 2002. 386, obs. J.-L. Bergel.
■ Civ. 3e, 23 janv. 2020, n° 18-22.217 : AJDI 2020. 456.
■ Civ. 3e, 6 avr. 2022, n° 21-13.891 B : D. 2022. 704 ; ibid. 1528, obs. Y. Strickler et N. Reboul-Maupin ; ibid. 2308, chron. B. Djikpa, L. Jariel, A.-C. Schmitt et J.-F. Zedda ; AJDI 2022. 451, obs. A. de Dieuleveult ; RTD civ. 2022. 656, obs. W. Dross.
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