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Droit des obligations
Emptor curiosus esse debet ! Application de l’adage au détriment d’une commune exerçant son droit de préemption
Mots-clefs : Vente, Droit de préemption, Dol, Réticence dolosive, Vice caché, Compromis
Le vendeur d’un terrain affecté par un problème de pollution n’est pas tenu d’en avertir la commune qui exerce son droit de préemption, dès lors que cette dernière dispose des moyens pour accéder à l’information litigieuse.
Une commune exerce son droit de préemption sur des immeubles vendus par deux SCI, qui avaient fait l’objet d’un compromis de vente. Postérieurement, elle apprend que le terrain cédé présente un problème de pollution, et refuse, pour cette raison, de signer l’acte de vente.
Sur l’action formée par les venderesses, la vente est déclarée parfaite et la commune condamnée à verser à ses cocontractantes le prix de vente ainsi que des dommages-intérêts. En cause d’appel, la commune change de stratégie et tente d’obtenir, entre autres, une diminution du prix de vente.
En ce sens, elle invoque le dol dont se seraient rendues coupables les venderesses en ne l’informant pas de la pollution du terrain (C. civ., art. 1116). En effet, les SCI avaient parfaitement connaissance de cet état puisqu’elles en avaient informé l’acquéreur initial dans un rapport annexé au compromis signé avec ce dernier. En s’abstenant de communiquer ce rapport au titulaire du droit de préemption, les venderesses ne s’étaient-elles pas rendues coupables d’une réticence dolosive ? La cour d’appel d’Amiens répond négativement dès lors qu’ « aucune obligation n’imposait aux venderesses d’annexer [l]e "compromis" à la déclaration d’intention d’aliéner ». C’était dire, indirectement, qu’il n’incombait aux SCI aucune obligation précontractuelle d’informer la commune relativement à la pollution. Compte tenu du lien tracé par la jurisprudence contemporaine entre obligation précontractuelle d’information et réticence dolosive, notamment en matière de vente (Civ. 1re, 3 mai 2000, « Baldus » ; Civ. 3e, 17 janv. 2007), l’approbation de la Cour de cassation n’est pas surprenante.
Mais pourquoi les venderesses n’assumaient-elles pas en l’espèce l’obligation d’informer la commune de la pollution du terrain ? En effet, en matière de vente immobilière, la réticence dolosive est fréquemment retenue à l’encontre du vendeur qui a délibérément gardé le silence sur une caractéristique du bien qui, si elle avait été connue de l’acquéreur, l’aurait dissuadé de contracter (V. par ex., pour un projet de nature à priver d'ensoleillement ou de vue l'immeuble vendu Civ. 3e, 20 déc. 1995 ; Civ. 1re, 28 mai 2008 ; pour un arrêté d’interdiction d’habiter, Civ. 3e, 29 nov. 2000 ; pour la présence d’amiante, Civ. 3e, 16 mars 2011). La justification de la solution apparaît à la lecture des motifs du rejet prononcé par la Cour de cassation : « la commune qui s’était contentée des documents transmis ne pouvait se prévaloir d’une réticence dolosive » alors que, comme l’avait relevé la cour d’appel, « [elle] disposait de services spécialisés et de l’assistance des services de l’État » pour se procurer l’information litigieuse. C’est la qualité de l’acquéreur et sa capacité — voire son obligation — de rechercher par lui-même l’information litigieuse qui justifie que la réticence dolosive soit écartée. En d’autres termes, l’ignorance alléguée par la commune apparaissait illégitime alors qu’il lui aurait suffi de se rapprocher du notaire ayant instrumenté le compromis pour obtenir les éléments annexés à ce dernier.
Faisant feu de tout bois, la commune prétendait également que la pollution du bien constituait un vice caché justifiant la réduction du prix (C. civ., art. 1641 s.). L’argument devait être aisément écarté pour des raisons similaires : titulaire d’un droit de préemption, la commune se présentait comme un professionnel de l’immobilier, disposant en outre « de services spécialisés et de l’assistance des services de l’État » pour se procurer l’information litigieuse. Or cette qualité de professionnel de l’acquéreur est de nature à exclure le caractère occulte du vice, la jurisprudence mettant à sa charge une présomption simple de connaissance du vice (v. Puig). Si la Cour de cassation ne souligne pas expressément cette qualité comme l’avait fait la cour d’appel, elle approuve le raisonnement consistant à relever que la commune disposait de compétences et de moyens qui lui interdisaient d’invoquer son ignorance de la pollution des sols sur son propre territoire.
Civ. 3e, 7 nov. 2012, no 11-22.907, FS-P+B
Références
■ Emptor curiosus esse début : l’acheteur doit être curieux.
■ Puig, Contrats spéciaux, 4e éd., Dalloz, coll. « HyperCours », 2011, no 448.
■ Code civil
« Le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.
Il ne se présume pas et doit être prouvé. »
« Le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine, ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise, ou n'en aurait donné qu'un moindre prix, s'il les avait connus. »
■ Civ. 1re, 3 mai 2000, « Baldus », n° 98-11.381, JCP 2000. I. 272, n° 1 s., obs. Loiseau ; JCP 2001. II. 10510, note Jamin ; Defrénois 2000. 1110, obs. Mazeaud ; ibid. 1114, obs. Delebecque ; CCC 2000, n° 140, note Leveneur ; D. 2002. 928, obs. Tournafond.
■ Civ. 3e, 17 janv. 2007, n° 06-10.442, JCP 2007. II. 10042, note Jamin ; Defrénois 2007. 443, obs. Savaux, et 959, note Dagorne-Labbe ; CCC 2007, n° 117, note Leveneur ; Dr. et patr., janv. 2008, p. 24, note Chauvel ; ibid. mars 2008, p. 91, obs. Mallet-Bricout ; RDC 2007. 703, obs. Laithier ; RTD civ. 2007. 335, obs. Mestre et Fages.
■ Civ. 3e, 20 déc. 1995, no 94-14.887, CCC 1996. 55, note Leveneur.
■ Civ. 1re, 28 mai 2008, no 07-13.487, JCP 2008. II. 10179, note Beyneix; ibid. I. 218, n° 6, obs. Labarthe ; Dr. et patr., févr. 2009, p. 128, obs. Aynès et Stoffel-Munck ; RLDC 2008/52, n° 3099, obs. Maugeri ; RTD civ. 2008. 476, obs. Fages ; RDC 2008. 1118, obs. Mazeaud.
■ Civ. 3e, 29 nov. 2000, no 98-21.224 ; Gaz. Pal. 2002. 727, note Fontenaud-Lapègue ; CCC 2001, n° 41, note Leveneur
■ Civ. 3e, 16 mars 2011, no 10-10.503, JCP 2011. 953, obs. Ghestin.
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