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[ 4 avril 2013 ] Imprimer

Droit civil

En matière prud’homale, la clause compromissoire n’est pas la bienvenue…

Mots-clefs : Arbitrage international, Tribunal arbitral, Clause compromissoire ? Inopposabilité, Incompétence des juges du fond

Dès lors que la clause compromissoire est inopposable aux parties, la cour d’appel n’a pas à statuer au fond après avoir annulé la sentence.

Deux actuaires, conseils auprès d’une société, signent la charte associative de celle-ci, laquelle stipulait une clause compromissoire. Après avoir démissionné, ils deviennent directeurs généraux du bureau français d’une société américaine d’actuariat. Pour faire échec au jeu de la charte, ils saisissent le conseil de prud’hommes pour faire constater que ladite charte constitue un avenant à leur contrat de travail ; les clauses de préavis, de non-concurrence et de non-débauchage seraient donc nulles comme contraires aux dispositions impératives du Code du travail. Par la suite, la cour d’appel rend un arrêt infirmatif : elle qualifie la charte d’avenant, reconnaissant donc sa compétence pour en juger. La société de conseil forme un pourvoi, invoquant la clause compromissoire. La chambre sociale rejette ce pourvoi : elle juge que le principe de compétence-compétence, selon lequel il appartient à l’arbitre de statuer en priorité sur sa propre compétence, n’est pas applicable en matière prud’homale (v. déjà Soc. 30 nov. 2011).

En parallèle, un tribunal arbitral, saisi par la société de conseil, se déclare compétent et condamne les actuaires au paiement de certaines sommes. La cour d’appel annule cette sentence arbitrale et renvoie les parties à mieux se pourvoir. La société forme alors un pourvoi, considérant que lorsque la juridiction saisie d’un recours en annulation annule une sentence, elle doit statuer sur le fond dans les limites de la mission de l’arbitre, sauf volonté contraire manifestée par l’ensemble des parties, et qu’elle doit de surcroît désigner la juridiction compétente. Mais la première chambre civile rejette le pourvoi : elle juge « qu’en retenant que la convention d’arbitrage était inopposable (aux salariés), la cour d’appel a décidé, à bon droit, après avoir annulé la sentence arbitrale, qu’elle devait s’abstenir de statuer au fond et, qu’étant dépourvue de tout pouvoir, les parties devaient être renvoyées à mieux se pourvoir sans qu’il y ait lieu à désigner la juridiction devant être saisie ».

Par cet arrêt, la Cour de cassation réaffirme sa jurisprudence sur l’inapplicabilité des clauses compromissoires en matière prud’homale. Qu’elle soit directement stipulée dans le contrat de travail ou, comme dans l’espèce rapportée, dans un document annexe, la clause obligeant de recourir à l’arbitrage en cas de différend entre un employeur et ses salariés, sera écartée par le juge prud’homal dont la compétence est exclusive et d’ordre public.

En effet, en droit français, la clause compromissoire est prohibée dans le contrat de travail et doit, en principe, être considérée comme nulle en application des articles 2061 du Code civil et L. 1411-4 du Code du travail. Cela étant, la Cour de cassation fait preuve de plus de souplesse en déclarant, comme en l’espèce, les clauses compromissoires seulement inopposables aux salariés, ce qui interdit toujours à l’employeur de s’en prévaloir, mais permet tout de même aux salariés de choisir d’en bénéficier s’ils estiment que l’arbitrage est conforme à leurs intérêts (Soc. 16 févr.1999). Certes, une charte associative n’est pas un contrat de travail, mais elle a été, en l’occurrence, considérée comme un simple avenant au contrat, et comme celui-ci vise tout autant que le contrat qu’il complète les relations de travail, on comprend aisément que la position de la Cour de cassation demeure, dans cette hypothèse inchangée, comme le prouve la confirmation de la décision de la cour d’appel de Versailles ayant déclaré la clause compromissoire insérée dans la charte inopposable aux parties en raison de sa contrariété à l’ordre public prud’homal. Aussi la sentence arbitrale est-elle également inopposable aux parties et mérite-t-elle l’annulation.

Confirmant sa jurisprudence antérieure, la Haute cour adopte une solution logique reposant sur l’idée qu’une règle propre au droit de l’arbitrage ne peut prospérer dans une matière où, précisément, l’arbitrage n’est pas admis. En conséquence, la cour d’appel, après avoir annulé la sentence, n’avait pas à statuer sur le fond. L’appel-annulation est une voie de recours qui ne peut être exercée que contre les véritables sentences arbitrales, c'est-à-dire les actes des arbitres qui tranchent de manière définitive, en tout ou en partie, le litige qui leur est soumis, que ce soit sur le fond, sur la compétence ou sur un moyen de procédure qui les conduit à mettre fin à l'instance. En conséquence, comme le rappelle ici la Haute cour, le juge de l’annulation n’a pas le pouvoir de réviser la décision au fond (Civ. 1re, 29 juin 2011).

Civ. 1re, 6 mars 2013, n°12-15.375

Références

 Article 2061 du Code civil

« Sous réserve des dispositions législatives particulières, la clause compromissoire est valable dans les contrats conclus à raison d'une activité professionnelle. »

 Article L. 1411-4 du Code du travail

« Le conseil de prud'hommes est seul compétent, quel que soit le montant de la demande, pour connaître des différends mentionnés au présent chapitre. Toute convention contraire est réputée non écrite. 

Le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour connaître des litiges attribués à une autre juridiction par la loi, notamment par le code de la sécurité sociale en matière d'accidents du travail et maladies professionnelles. »

 Soc. 30 nov. 2011, n°11-12.905 et 11-12.906, RTD com. 2012. 351, note Constantin.

 Soc. 16 févr.1999, n° 96-40.643.

 Civ. 1re, 29 juin 2011, n°10-16.680.

 

Auteur :M. H.


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