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[ 29 novembre 2022 ] Imprimer

Droit des obligations

Encaissement et paiement de chèque falsifié : le banquier a la charge de prouver son absence de faute

Si en cas de falsification, l’émetteur d’un chèque a la charge de démontrer cette irrégularité, il incombe à la banque tirée de prouver qu’une telle anomalie n’était pas apparente pour établir son absence de faute. 

Com. 9 nov. 2022, n° 20-20.031

Une société a émis un chèque à l'ordre de « LPB immobilier conseil », lequel a été débité de son compte ouvert dans les livres de la société HSBC au profit de la société Batus, titulaire d'un compte au Crédit industriel et commercial (banque CIC), à la suite d'une falsification du nom du bénéficiaire. La société poursuit la banque tirée (HSBC), motif pris qu’elle aurait manqué à son obligation de vigilance lors de l’encaissement de ce chèque. La banque tirée appelle en garantie la banque présentatrice (CIC). 

La cour d’appel accueille l’action récursoire de la banque tirée à l’égard de la banque présentatrice, au motif qu’en leur qualité respective, elles étaient tenues de contrôler la régularité formelle du chèque litigieux en sorte que, sauf en l’absence avérée d’anomalie matérielle, les banques engagent à ce titre leur responsabilité. 

Les banques forment un pourvoi en cassation, faisant chacune grief à la juridiction du second degré d’avoir présumé l’existence d’une anomalie apparente sur l’original d’un chèque dont seule une copie avait été versée aux débats, l’original ayant été détruit, au motif que rares sont des falsifications parfaites et que le processus d’image-chèque ici utilisé pour pallier l’absence d’original ayant été créé dans le seul intérêt des banques, celles-ci doivent assumer le risque, en l’espèce réalisé, d’une mauvaise lisibilité du titre  ; alors qu’aucune anomalie affectant le titre n’est présumée apparente, les juges du fond auraient ainsi fait peser sur les banques une obligation de déceler la falsification d’un chèque dont il n’était pourtant pas positivement établi qu’il était affecté d’une anomalie apparente, d’autant moins qu’aucune anomalie sur la copie du chèque n’avait même pu être observée. 

Et la Cour de cassation de confirmer la décision des juges du fond par ce motif de pur droit : il résulte de la combinaison des articles 9 du code de procédure civile et 1315, alinéa 2, devenu 1353, alinéa 2, du code civil que s'il incombe à l'émetteur d'un chèque d'établir que celui-ci a été falsifié, il revient à la banque tirée, dont la responsabilité est recherchée pour avoir manqué à son obligation de vigilance et qui ne peut représenter l'original de ce chèque, de prouver que celui-ci n'était pas affecté d'une anomalie apparente, à moins que le chèque n'ait été restitué au tireur. Or l'arrêt relève qu'un nom a été substitué par grattage à celui du bénéficiaire initial sur le chèque litigieux, que l'original de ce chèque a été détruit par la banque tirée et que la photocopie du chèque produite est en noir et blanc et de mauvaise qualité, et retient que cette photocopie ne permet pas de constater l'absence d'anomalie matérielle. Il en résulte que la société HSBC ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, que le chèque n'était pas affecté d'une anomalie apparente et, par suite, qu'elle a satisfait à son obligation de vigilance. 

La Cour de cassation vient ici confirmer sa jurisprudence antérieure pour la compléter sous l’angle de la charge de la preuve. Ainsi procède-t-elle du rappel des deux règles suivantes : d’une part, les banques tirée et présentatrice ont l'une et l'autre l'obligation de contrôler la régularité formelle du chèque litigieux, ie la présence de toutes les mentions obligatoires du chèque, l’existence d’une signature conforme à celle qu'il détient à titre de spécimen et l’absence d'irrégularités apparentes décelables par un employé de banque normalement diligent ; d’autre part, en cas de chèque falsifié, la responsabilité de chacune d'elles n’est engagée que si cette irrégularité était détectable, apparente (Com. 22 mars 2017, n° 15-24.129 : les banques n’engagent pas leur responsabilité, la mention de deux bénéficiaires sur un chèque ne constituant pas en elle-même une anomalie apparente dès lors que cette mention est écrite de la même main, sans rature et qu'elle peut identifier un seul bénéficiaire, après indication d'un élément sans importance comme une enseigne). Soumises par principe à une obligation de contrôle formel de la régularité du titre, le manquement à cette obligation est constitué par l’absence d’identification d’une anomalie apparente, engageant leur responsabilité. Ainsi, en cas de paiement d'un chèque falsifié, la banque présentatrice n'encourt aucune responsabilité lorsque le paiement a eu lieu alors que la fraude n'était pas normalement décelable (Com. 15 juin 1993, n° 91-15.431). Elle est ainsi libérée de son obligation de restitution des fonds (C. civ. art. 1937) lorsque le chèque litigieux ne présente pas de trace évidente de falsification (Com. 30 sept. 2008, n° 07-18.988 ; Com. 3 nov. 2015, n° 13-28.771). S'agissant de la banque tirée, elle échappe également à l’engagement de sa responsabilité dès lors qu’il est établi qu’elle avait effectué les vérifications requises et que le chèque, qui ne comportait ni surcharge ni grattage et dont la mention désignant l'endosseur, concordait avec celle identifiant le bénéficiaire (Com. 13 oct. 2015, n° 14-11.453).

Ce critère tiré de l’apparence de l’anomalie freine en pratique l’engagement de la responsabilité des banques. La falsification du chèque ne suffit pas, encore faut-il que cette falsification ait pu apparaître d’évidence aux yeux du banquier. Cette souplesse d’appréciation des conditions d’engagement de leur responsabilité est néanmoins contrebalancée par les règles de droit commun de la preuve : si la Cour de cassation se refuse à présumer l’apparence de l’anomalie alléguée, comme l’avait fait la cour d’appel pour remédier à la difficulté de l’espèce résultant de l’incapacité dans laquelle elle se trouvait de constater l’existence (ou l’absence) d’anomalie à l’examen de la copie, en noir et blanc et de mauvaise qualité, du chèque litigieux, elle considère néanmoins qu’une fois la falsification établie par l’émetteur, en application de l’article 1353 al .1 du code civil, c’est à la banque tirée d’établir ensuite, en application de l’article 1353 al. 2 du code civil, que le chèque était dépourvu d’irrégularité de forme apparente, et qu’il a donc ainsi valablement exécuté son obligation de vigilance. Faute d’y être en l’espèce parvenue, la banque tirée devait être tenue pour responsable de la falsification dénoncée ; de surcroît, l’appel en garantie qu’elle avait formé à l’égard de la banque présentatrice se voit, au motif du non-respect du principe de la contradiction, rejeté par la Cour de cassation au visa de l’article 16 du code de procédure civile. 

 

Auteur :Merryl Hervieu


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