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[ 4 décembre 2017 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

Endives : addition salée !

Mots-clefs : Politique agricole commune (PAC), Concurrence, Ententes, Interdiction, Prix minima, Endives, Organisation professionnelle

Les objectifs assignés à la politique agricole commune permettent conformément à l’article 42 TFUE de limiter la portée des règles de la concurrence. Cependant, la Cour rappelle qu’il ne peut s’agir que d’un aménagement des règles de concurrence et non d’une neutralisation complète de celles-ci. Ainsi les atteintes portées doivent répondre aux conditions strictes posées par le droit dérivé découlant de l’article 42 TFUE et obligatoirement être proportionnées. En l’occurrence, l’entente relative au cartel des endives ne respectait ni les conditions textuelles ni l’exigence de proportionnalité, ouvrant la voie à une confirmation de l’amende prononcée par l’Autorité de la concurrence.

L’étendue de l’application du droit de la concurrence aux produits relevant de la Politique agricole commune (PAC) n’a été appréhendée que partiellement par la Cour de justice au gré des contentieux alors que les enjeux sont majeurs pour les organisations professionnelles qui ont la possibilité d’agir sur les marchés et de fortement restreindre la concurrence dans l’intérêt de leurs adhérents. 

L’affaire du cartel des endives en France, ayant donné lieu à une procédure et à une amende de près de 4 millions d’euros décidée par l’Autorité de la concurrence française, donne l’occasion à la Cour de justice de préciser l’articulation entre l’article 101, paragraphe 1 TFUE qui interdit les ententes et l’article 42 TFUE de la PAC qui limite l’application du droit de la concurrence selon les conditions fixées par le Parlement européen et le Conseil.

Dans cette affaire, l’enjeu était important étant donné que des groupements professionnels et des entreprises françaises intervenant dans la production et la vente d’endives considéraient que la coordination qu’ils avaient mise en place échappait aux règles de la concurrence. La Cour de cassation avait un doute sur l’interprétation des règles de la PAC et elle a interrogé la Cour de justice sur la portée de dérogations spécifiques contenues dans les règlements relatifs à l’organisation commune de marché visant notamment les légumes par rapport aux règles de concurrence.

La Cour justice rappelle que l’article 42 TFUE reconnaît la primauté de la PAC par rapport aux objectifs du traité dans le domaine de la concurrence laissant au législateur le soin de déterminer la portée des règles de la concurrence à ce secteur. En l’occurrence le législateur est intervenu pour préciser l’application des règles de concurrence au secteur des fruits et légumes dans les règlements n° 1184/2006 et n° 1234/2007. Cependant la Cour juge qu’au-delà de ces textes, certaines pratiques peuvent également bénéficier d’une inapplicabilité de l’article 101, paragraphe 1 TFUE afin de préserver le rôle des organisations de producteurs et des associations d’organisations de producteurs au regard des objectifs de la PAC. 

Toutefois la mise en œuvre des dérogations spécifiques ne doit pas conduire à anéantir la concurrence dans le secteur agricole, la Cour rappelant que le maintien d’une concurrence effective figure parmi les objectifs de la PAC. Aussi les dérogations doivent-elles non seulement répondre aux textes, mais également au principe de proportionnalité. Concernant les conditions textuelles, les organisations professionnelles doivent obligatoirement être habilitées préalablement par l’État pour agir, ce qui n’était pas le cas dans le cadre de ce cartel. 

Concernant la proportionnalité, la Cour recherche si les requérants pouvaient fixer collectivement des prix minima de vente, se concerter sur la quantité d’endives mise sur le marché et échanger des informations stratégiques. Tout d’abord, la Cour de justice précise que les pratiques d’ententes ne peuvent avoir lieu qu’au sein d’une même organisation professionnelle ou association d’organisation professionnelle. Une solution contraire aboutirait à empêcher toute concurrence, l’ensemble des producteurs étant susceptibles alors de se concerter. Ensuite sur les pratiques elles-mêmes, la Cour juge que l’échange d’informations ne sera proportionné que si les informations échangées sont en lien avec la réalisation des objectifs assignés par la PAC. Sur les prix minima, la Cour admet cette action est en lien avec l’objectif d’assurer un niveau de vie équitable à la population agricole. Cependant, les juges n’admettent pas la superposition des mesures, c’est-à-dire la concentration de l’offre par l’intermédiaire des organisations professionnelles, d’une part, et l’instauration de prix minima, d’autre part. En effet, pour la Cour, la seconde mesure affaiblit une concurrence déjà limitée par la première mesure qui est, elle, valide. Ainsi le recours aux prix minima est jugé disproportionné, ce qui va notamment conduire à confirmer l’  « amende salée » prononcée par l’autorité de la concurrence.

CJUE, gr. ch., 14 nov. 2017, Président de l’Autorité de la concurrence contre Association des producteurs vendeurs d’endives (APVE), n° C- 671/15

Références

■ Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

Article 41

« Pour permettre d'atteindre les objectifs définis à l'article 39, il peut notamment être prévu dans le cadre de la politique agricole commune:

 a) une coordination efficace des efforts entrepris dans les domaines de la formation professionnelle, de la recherche et de la vulgarisation agronomique, pouvant comporter des projets ou institutions financés en commun, 

b) des actions communes pour le développement de la consommation de certains produits. »

Article 101, § 1 

« 1. Sont incompatibles avec le marché intérieur et interdits tous accords entre entreprises, toutes décisions d'associations d'entreprises et toutes pratiques concertées, qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché intérieur, et notamment ceux qui consistent à: 

a) fixer de façon directe ou indirecte les prix d'achat ou de vente ou d'autres conditions de transaction, 

b) limiter ou contrôler la production, les débouchés, le développement technique ou les investissements, 

c) répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement, 

d) appliquer, à l'égard de partenaires commerciaux, des conditions inégales à des prestations équivalentes en leur infligeant de ce fait un désavantage dans la concurrence, 

e) subordonner la conclusion de contrats à l'acceptation, par les partenaires, de prestations supplémentaires qui, par leur nature ou selon les usages commerciaux, n'ont pas de lien avec l'objet de ces contrats. »

 

Auteur :V. B.


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