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[ 21 janvier 2019 ] Imprimer

Droit des personnes

Enfant étranger : quelles conditions pour devenir français ?

L’enfant étranger qui, pendant une durée légalement définie, a été matériellement et culturellement recueilli et élevé par un couple de nationalité française peut réclamer et obtenir la nationalité française, sans que cette condition interdise des retours épisodiques dans son pays d’origine.

Un enfant avait, dès sa naissance sur le territoire marocain, le 20 septembre 1997, été déclaré abandonné. Le 4 février 2000, il avait été confié par kafala (correspondant à une tutelle sans filiation, le droit musulman s’opposant à l’adoption plénière) à un couple, dont la femme avait été désignée en qualité de tutrice dative par ordonnance du 28 juillet 2000. Le 12 novembre 2014, devenu adolescent, il avait souscrit une déclaration de nationalité française sur le fondement des dispositions de l’article 21-12 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016.

En première instance puis en appel, les juges l’avaient déclaré français et ordonné en conséquence l’enregistrement de la déclaration de sa nationalité. Le procureur général fit grief à l’arrêt d’appel de confirmer le jugement alors que le demandeur ne remplissait pas l’ensemble des conditions légales pour se voir reconnaître la nationalité française, notamment celle liée à une présence effective et ininterrompue en France de l’enfant recueilli au cours des cinq années qui avaient précédé la déclaration, condition que la multiplication des séjours au Maroc du demandeur ne permettait pas de considérer comme satisfaite.

Aux termes d’une solution particulièrement étayée, que le nécessaire exposé des circonstances propres à l’espèce ne permettait pas d’éviter, la Cour réfute la thèse du pourvoi formé par le Procureur. La Haute cour commence par rappeler que, selon l’article 21-12, 1°, du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-297 du 14 mars 2016 (la loi rend désormais éligible à une demande de déclaration « L’enfant qui, depuis au moins trois années, est recueilli sur décision de justice et élevé par une personne de nationalité française »), peut réclamer la nationalité française l’enfant qui, depuis au moins cinq années, est recueilli en France et élevé par une personne de nationalité française ; partant, dès lors que le mineur est effectivement recueilli et élevé de façon continue par une personne de nationalité française et que sa présence en France a duré au moins cinq années, celle-ci peut être discontinue. Or en l’espèce, la cour d’appel a relevé qu’après avoir été confié par kafala au couple d’accueil le 4 février 2000, l’enfant avait, l’année suivante, été admis à la crèche municipale, puis à l’école maternelle et élémentaire de la même ville et qu’ il avait par la suite toujours été scolarisé dans la même zone géographique ; et si les juges du fond ont constaté que ce séjour en France de plus de cinq années, durant lequel l’enfant avait vécu et été élevé par le couple, tous deux de nationalité française, avait été entrecoupé de séjours à l’étranger, à l’occasion desquels le mineur avait séjourné avec le couple, les activités professionnelles de l’un des membres du couple le conduisant à travailler sur des chantiers au Maroc, ils ont considéré que ces séjours épisodiques en dehors de la France n’avaient pas privé le mineur du bénéfice d’une culture française, le couple ayant continué à l’élever et à le faire bénéficier de celle-ci ; que, de ces circonstances souverainement appréciées, la cour d’appel a pu déduire qu’en dépit du caractère discontinu de la présence de l’enfant sur le territoire français, ce dernier, qui avait été effectivement recueilli et élevé de façon continue par deux personnes de nationalité française et dont la présence en France avait duré au moins cinq années, remplissait les conditions pour souscrire une déclaration de nationalité au titre de l’article 21-12, 1°, du Code civil dans sa rédaction alors applicable.

D’ordre public, les conditions cumulatives imposées par le texte de l’article 21-12 1°, dans sa rédaction antérieure applicable au litige, étaient, en l’espèce, réunies et satisfaites au jour de la réclamation, comme la loi l’exige. La solution n’allait pourtant pas de soi, notamment parce qu’il avait été jugé que le seul acte de kafala ne suffisait pas à établir que l’enfant avait été effectivement recueilli pas plus que ne l’est un séjour épisodique, traduit par une résidence « alternative » de l’enfant en France et dans son pays d’origine (Civ. 1re, 14 avr. 2010, n° 08-21.312). Cela étant, le texte doit être lu avec la mesure et le pragmatisme que la généralité de ses termes et la réalité de la situation qu’il régit impliquent. Le texte signifie seulement, d’une manière moins stricte que celle défendue par le procureur de la République, que l’enfant étranger a été matériellement et moralement recueilli et élevé par au moins une personne de nationalité française, sans que cette condition impose une rupture totale avec son pays d’origine (Civ. 1re, 8 janv. 1968). Or en l’espèce, outre le fait que l’enfant avait, comme l’ensemble de son parcours scolaire en attestait, été effectivement « recueilli » en France pendant plus de cinq ans, temps durant lequel ce dernier avait vécu et été élevé par un couple dont les deux membres avaient la nationalité française, alors qu’un seul aurait, légalement, suffi, la discontinuité alléguée de sa présence sur le territoire français, quoique réelle, n’était pas rédhibitoire. En effet, comme le précise la Cour, la continuité exigée vise les conditions effectives d’accueil et d’éducation de l’enfant et non, comme le considérait à tort le Procureur, sa seule présence, géographique et objective, sur le territoire français. Ses absences, sous la réserve d’être temporaires et justifiées, étaient, pour cette raison, autorisées. Ainsi la permanence de la présence de l’enfant étranger sur le territoire français n’était-elle pas requise. Par sa rigidité, cette interprétation du texte serait malvenue et erronée dans ce qu’elle présume, à savoir que cette permanence serait indispensable à l’atteinte du but recherché - la garantie que l’enfant ait grandi et évolué durant un temps suffisamment long dans un environnement propice à son apprentissage de la langue, du mode de vie et de la culture française. Or il ressortait de toute évidence des circonstances de la cause que les séjours épisodiques de l’enfant hors de France, passés en présence du couple l’ayant recueilli, selon des conditions de vie et des modalités d’éducation inchangées eu égard à celles qui étaient habituellement les siennes sur le sol français, ne pouvaient être considérées comme entachés de la continuité recherchée. 

Civ. 1re, 5 déc. 2018, n°17-50.062

Références

■  Fiches d’orientation Dalloz : Nationalité française (Attribution et acquisition)

■ Civ. 1re, 14 avr. 2010, n° 08-21.312 P: D. 2010. 1075, obs. I. Gallmeister ; ibid. 1904, obs. A. Gouttenoire et P. Bonfils ; ibid. 2868, obs. O. Boskovic, S. Corneloup, F. Jault-Seseke, N. Joubert et K. Parrot

 

■ Civ. 1re, 8 janv. 1968

 

 

Auteur :Merryl Hervieu

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