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Droit de la responsabilité civile
Enfin une limite aux obligations de l’avocat !
Mots-clefs : Avocats, Responsabilité civile, Omission de soulever un moyen de défense inopérant, Responsabilité professionnelle (non)
« Un avocat n'engage pas sa responsabilité professionnelle en ne soulevant pas un moyen de défense inopérant » : tel est le message rappelé par la première chambre civile de la Cour de cassation dans cet arrêt (V. déjà Civ. 1re, 31 janv. 2008, n° 04-20.151) dont la profession se réjouira sauf à ce qu’elle se désespère tout de même que la question fût posée à la Cour.
En l'espèce, sur les poursuites de saisie immobilière engagées contre un nu-propriétaire, l'administration fiscale avait fait sommation à son débiteur d'assister à l'audience éventuelle fixée au 24 avril 1998, laquelle, après plusieurs remises, s'était finalement tenue le 7 janvier 2000. L’adjudication de l'immeuble avait été prononcée le 29 septembre 2000. Reprochant à son avocat, chargé de la défense de ses intérêts depuis le 1er février 1999, d'avoir omis d'invoquer en temps utile l'inaliénabilité de l'immeuble en faveur de l'usufruitière, son client l’avait assigné en indemnisation. Pour condamner son avocat au paiement d'une certaine somme à titre de dommages-intérêts, la cour d’appel retint que, nonobstant la jurisprudence selon laquelle, conformément à l'article 727 de l’ancien Code de procédure civile, les moyens de nullité tant en la forme qu'au fond doivent être proposés, à peine de déchéance, par un dire déposé cinq jours au plus tard avant le jour initialement fixé pour l'audience éventuelle et qu'il n'est au pouvoir ni des parties ni du tribunal de modifier la date de cette audience fixée par la seule administration fiscale dans la sommation, celui-ci aurait dû soulever, en vue de l'audience éventuelle qui s'est tenue après plusieurs remises, le moyen tiré de l'inaliénabilité de l'immeuble. Or en s'abstenant d'y procéder, l’avocat avait commis une faute, ayant fait perdre à son client une chance d'éviter la vente aux enchères de son bien.
Cette analyse est censurée par la Cour dès lors que la responsabilité de l’avocat ne pouvait être retenue pour ne pas avoir soumis à l'appréciation du juge un moyen irrecevable en raison de la déchéance encourue de plein droit conformément aux dispositions alors en vigueur et à une jurisprudence constante.
A priori évidente, la solution n’allait pourtant pas de soi. En effet, la première chambre civile avait pu laisser entendre que l'avocat devait, conformément à l’étendue de sa mission, « tout mettre en œuvre » pour échapper au jeu d'une clause résolutoire et « développer tous moyens de défense » à l'appui d'une opposition à un commandement de payer (Civ. 1re, 27 févr. 2001, n° 98-10.756). Cependant, le plus souvent, les juges reprochaient plus légitimement à l'avocat de ne pas avoir développé une argumentation appropriée à la défense de son client, ce dernier ayant ainsi perdu une chance sérieuse d'obtenir une condamnation (Civ. 1re, 9 nov. 2004, n° 02-19.286). Restant libre de définir sa stratégie de défense, l’avocat se voyait ainsi simplement contraint de soulever les moyens pouvant se révéler pertinents (V. Civ. 1re, 29 juin 2004, n° 03-20.492).
Par la décision rapportée, la Cour de cassation confirme heureusement cette orientation, jugeant l’avocat libre de soulever un moyen de défense inopérant.
Cette solution est opportune à plusieurs titres. Elle l’est tout d’abord en ce que la solution inverse aurait probablement invité les justiciables déçus à multiplier abusivement les actions en responsabilité par ce moyen, qui leur aurait été offert, de faire peser la charge du risque judiciaire sur leurs avocats. Or la jurisprudence récente se montre déjà particulièrement exigeante envers eux : tenus de concentrer les moyens dès l'instance relative à la première demande s'ils ne veulent pas se heurter à la nouvelle conception élargie de l'autorité de la chose jugée (Cass., ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672). Ils sont également désormais privés de la possibilité de reprocher au juge de ne pas avoir relevé d'office des moyens de droit non invoqués (Cass., ass. plén., 21 déc. 2007, n° 06-11.343). Leur imposer de surcroît de soulever un moyen inopérant, c'est-à-dire insusceptible d'exercer une influence sur la solution du litige, n’aurait été qu’une diligence inutile et en outre contraire à la jurisprudence les sanctionnant de ne pas avoir déconseillé à leurs clients l'exercice d'une voie de droit vouée à l'échec (Civ. 1re, 29 avr. 1997, n° 94-21.217). La solution est également justifiée par la confiance qu’elle peut inspirer aux praticiens quant à la stabilité de la règle jurisprudentielle (Sur la thématique contemporaine de la sécurité de la règle jurisprudentielle, V., à propos du juge judiciaire, X. Lagarde, Jurisprudence et insécurité juridique, D. 2006. 678). En ce sens, il avait déjà été admis que les éventuels manquements d'un avocat à ses obligations professionnelles ne peuvent s'apprécier « qu'au regard du droit positif existant à l'époque de son intervention, sans qu'on puisse lui imputer à faute de n'avoir pas prévu une évolution ultérieure du droit » (Civ. 1re, 15 déc. 2011, n° 10-24.550).
Il eût été quand même étonnant que l'on reprochât à un avocat ou de ne pas avoir tenté de contredire une interprétation jurisprudentielle établie, et même incohérent si l'on observe que, dans le cadre spécifique de la procédure de non-admission, la Cour de cassation tend à écarter les pourvois fondés sur des moyens qu'elle considère comme non sérieux car visant à critiquer des jurisprudences constantes (G. Canivet, La procédure d'admission des pourvois en cassation. Bilan d'un semestre d'application de l'article L. 131-6 du Code de l'organisation judiciaire ; D. 2002. 2195).
Civ. 1re, 28 octobre 2015, n° 14-24.616
Références
■ Ancien code de procédure civile
■ Civ. 1re, 31 janv. 2008, n° 04-20.151, Bull. civ. I, n° 31 ; D. 2008. 1448, obs. V. Avena-Robardet, note A. Aynès ; ibid. 2009. 1044, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RTD civ. 2008. 442, obs. P. Deumier.
■ Civ. 1re, 27 févr. 2001, n° 98-10.756.
■ Civ. 1re, 9 nov. 2004, n° 02-19.286.
■ Cass., ass. plén., 7 juill. 2006, n° 04-10.672, D. 2006. 2135, et les obs., note L. Weiller ; RDI 2006. 500, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2006. 825, obs. R. Perrot.
■ Cass., ass. plén., 21 déc. 2007, n° 06-11.343, D. 2008. 228, obs. L. Dargent ; ibid. 1102, chron. O. Deshayes ; RDI 2008. 102, obs. P. Malinvaud ; RTD civ. 2008. 317, obs. P.-Y. Gautier.
■ Civ. 1re, 29 avr. 1997, n° 94-21.217, D. 1997. 130 ; RTD civ. 1997. 924, obs. J. Mestre.
■ Civ. 1re, 15 déc. 2011, n° 10-24.550, D. 2012. 94 ; ibid. 145, édito. F. Rome ; Rev. sociétés 2012. 176, obs. S. Prévost ; RTD civ. 2012. 318, obs. P. Jourdain.
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