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Droit des obligations
Engagement solidaire : encore faut-il le vouloir !
Mots-clefs : Contrat de prêt, Coemprunteurs, Acte postérieur au titre constitutif de l’obligation, Solidarité, Caractérisation, Absence de présomption
La solidarité ne se présume point et doit ressortir clairement et nécessairement du titre constitutif de l'obligation ou bien de l’acte, postérieur à celui-ci, passé par l’un des codébiteurs.
Une société de financement ayant consenti un prêt immobilier à un couple avait assigné celui-ci en paiement de la somme restant due au titre de ce prêt. Pour retenir la solidarité de l'engagement des coemprunteurs, la cour d’appel énonça que ceux-ci avaient bénéficié d'une seule et même subvention de l'État pour leur permettre d'accéder à la propriété, qu’ils étaient immatriculés auprès d'une caisse d'allocations familiales sous le même numéro et avaient autorisé la délégation de leur allocation logement commune, outre que l’épouse avait par la suite signé seule un plan d'apurement des échéances impayées.
Au visa de l’article 1202 du Code civil, cette décision est censurée, les juges du fond ayant statué par des motifs impropres à caractériser la solidarité de l'engagement des coemprunteurs.
Par principe, la dette se divise. Ce principe explique que lorsqu’une même obligation pèse simultanément sur plusieurs codébiteurs, cette unique obligation se scinde de plein droit en autant d'obligations divises qu'il y a de débiteurs, chacun des codébiteurs n'étant tenu que d'une fraction divise de la dette globale.
Parce qu’elle accroît l’engagement des codébiteurs, n’importe lequel pouvant se voir réclamer le paiement de toute la dette, et non pas une seule partie, la solidarité ne peut être qu’une exception au principe applicable à l'obligation plurale de division de la dette, lequel est d’ailleurs issu de la combinaison des articles 1197, 1220 et 1202 du Code civil. Ce dernier texte figure au visa de la décision rapportée, affirmant sans réserve, en son 1er alinéa, que « la solidarité ne se présume point [mais qu’] il faut qu'elle soit expressément stipulée ».
La solidarité doit donc avoir été formellement et sans équivocité prévue dans l’acte par les parties. Il n’est toutefois pas impératif que les termes mêmes de « solidarité », d’ « engagement solidaire », ou l’adverbe « solidairement » y figurent : des expressions synonymes ou voisines peuvent suffire (« l'un pour l'autre », « un seul pour le tout », « chacun pour le tout »), à condition qu’elles révèlent, sans doute possible, la volonté des parties de s’engager solidairement.
Il doit donc bien, dans tous les cas, ressortir clairement de l’acte que chacun des codébiteurs a entendu s’obliger au paiement de la totalité de la dette. Cet examen relève du pouvoir souverain des juges du fond, lesquels doivent rechercher si la solidarité entre les débiteurs ressort clairement et nécessairement du titre constitutif de l'obligation alors même que celle-ci n'aurait pas été expressément qualifiée de solidaire par les parties (Civ. 1re, 3 avr. 2002).
La limite, d’ailleurs générale, à la souveraineté de leur pouvoir réside donc dans l’interdiction qui leur est faite de dénaturer les termes de l’acte en lui faisant dire ce qu’il n’exprime pas. Ainsi la seule mention qu’une personne s’engage « à se porter garant » d'une autre n'équivaut pas à la prise d’un engagement solidaire de sa part (Civ. 1re, 8 nov. 1978). Aussi bien, la stipulation de la solidarité active des contractants n'implique pas, dès lors que celle-ci n’a pas été expressément stipulée, celle de leur solidarité passive (Com. 6 juill. 1999).
En l’espèce, tout en concédant qu'il ne ressortait pas expressément de l'offre de prêt consentie aux coemprunteurs que ceux-ci étaient tous deux bénéficiaires et redevables au même titre, la cour d’appel avait cependant énoncé :
– d'une part, qu'il se déduisait des termes du contrat que chacun des débiteurs s'était engagé au paiement de la totalité de la somme dès lors qu'ils avaient bénéficié d'une seule et même subvention pour leur permettre d'accéder à la propriété ; qu'ils étaient immatriculés auprès de la CAF sous le même numéro et avaient autorisé la délégation de leur allocation logement commune au profit d’une même société ;
– et d'autre part, que l’épouse, en signant seule un plan d'apurement postérieur au prêt, avait, par cette seule signature, reconnu la solidarité.
C’était admettre la volonté implicite des emprunteurs, déduite non pas de l’acte lui-même mais d’une pluralité de circonstances indépendantes de son contenu, de s’engager solidairement, et ainsi violer ouvertement l’article 1202 du Code civil, comme les juges se l’autorisent parfois (v. Civ. 1re, 3 déc. 1974 ; Civ. 3e, 26 janv. 2005).
Cette prise de liberté est critiquable dans la mesure où si, par principe, la solidarité ne se présume point et doit ressortir clairement et nécessairement du titre constitutif de l'obligation, la prise en compte d’éléments extérieurs au contenu même de l’acte, même s’ils peuvent aller dans le sens de la solidarité de l’engagement, ne peuvent cependant suffire à le caractériser.
Par l’arrêt rapporté, la Cour rappelle aux juges du fond la nécessité de veiller au respect de la loi, leur reprochant de s’être trop librement démarqués des termes du prêt comme de ceux de l’acte passé par la suite par l’épouse pour déduire de circonstances indépendantes du premier et de la signature par l’épouse du second une solidarité qui ne ressortait ni clairement ni nécessairement d’aucun de ces actes.
Le rappel de cette position de principe est bienvenu en ce qu’il permet que soit encore réservée une place à l'obligation divise qui, si elle constitue la règle de principe, est en pratique de plus en plus menacée, le domaine de la solidarité, couvrant la plupart des contrats spéciaux et constituant la règle en matière commerciale, ne cessant de s’étendre au détriment des codébiteurs qui ont naturellement intérêt à la division de l’obligation souscrite par eux.
Civ. 1re, 15 janv. 2015, n°13-27.369
Références
■ Code civil
« L'obligation est solidaire entre plusieurs créanciers lorsque le titre donne expressément à chacun d'eux le droit de demander le paiement du total de la créance, et que le paiement fait à l'un d'eux libère le débiteur, encore que le bénéfice de l'obligation soit partageable et divisible entre les divers créanciers. »
« L'obligation qui est susceptible de division doit être exécutée entre le créancier et le débiteur comme si elle était indivisible. La divisibilité n'a d'application qu'à l'égard de leurs héritiers, qui ne peuvent demander la dette ou qui ne sont tenus de la payer que pour les parts dont ils sont saisis ou dont ils sont tenus comme représentant le créancier ou le débiteur. »
« La solidarité ne se présume point ; il faut qu'elle soit expressément stipulée.
Cette règle ne cesse que dans les cas où la solidarité a lieu de plein droit, en vertu d'une disposition de la loi. »
■ Civ. 1re, 3 avr. 2002, n° 99-17.694.
■ Civ. 1re, 8 nov. 1978, n°77-12.762, Bull. civ. I, n° 341.
■ Com. 6 juill. 1999, n° 96-14.689.
■ Civ. 1re, 3 déc. 1974, n°73-14.188, Bull. civ. I, n° 322.
■ Civ. 3e, 26 janv. 2005, n°03-11.646, Bull. civ. III, n° 14, RTD civ. 2006. 316, obs. Mestre et Fages.
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