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Droit des obligations
Enrichissement injustifié : rejet de l’action en présence d’une faute lourde du commissaire-priseur appauvri
L’enrichissement sans cause ou, comme il convient désormais de l’appeler, « l’enrichissement injustifié » (action de in rem verso) permet à une personne qui s'est appauvrie à l'avantage d'une autre, et sans raison, d'être remboursée. L’arrêt commenté présente l’intérêt de rappeler la traditionnelle distinction opérée entre la faute simple et la faute lourde de l’appauvri ainsi que leur incidence sur la recevabilité d’une telle action.
Les faits sont les suivants : afin d’évaluer l’actif successoral de leur père décédé et réaliser la prisée des biens, des héritiers font appel à un commissaire-priseur. Ce dernier évalue deux peintures attribuées à Picasso à 250 000 euros chacune. A l’issue du partage, les œuvres sont remises à l’épouse du défunt, laquelle s’adresse à une société pour procéder à une seconde estimation. Des doutes sont alors émis sur l’authenticité des peintures et la conduisent à solliciter une expertise judiciaire. Les conclusions de l’expert présentent les tableaux comme des faux.
Tenant les estimations erronées du commissaire-priseur, ayant conduit à une valorisation de l’actif successoral et à la répartition inexacte des lots entre héritiers, sa responsabilité est retenue. Ce dernier, sur le fondement de l’enrichissement injustifié, exerce une action récursoire contre les autres héritiers afin d’obtenir indemnisation du préjudice subi.
Un tel fondement avait ses chances de prospérer, la Cour de cassation ayant déjà admis le bénéfice d’une pareille action exercée par un commissaire-priseur à l’encontre du vendeur (Civ 2e, 3 juin 1997, n° 95-13.568 : le commissaire avait, à tort, évalué une table de l’époque Louis XV. Condamné à s’acquitter de la différence entre le prix d'adjudication et la valeur résiduelle du meuble litigieux, il exerce, avec succès, une action récursoire à l’encontre du vendeur sur le fondement de l’enrichissement sans cause).
Toutefois, dans cette espèce, la cour d’appel rejette la demande formée, considérant que la négligence du commissaire-priseur était seule à l’origine de son appauvrissement. Dès lors, l'enrichissement généré trouve une cause dans la faute de l’appauvri et le prive de toute indemnisation.
De ce fait, le commissaire-priseur forme un pourvoi en cassation.
Le moyen développé se divise en deux branches.
Tout d’abord, il soutient que la faute relevée par les juges du fond s’analyse en une simple négligence, laquelle n’est pas un obstacle à l’action fondée sur l’enrichissement injustifié. En effet, il est traditionnellement opéré une distinction entre la faute « simple » et la faute « lourde » de l’appauvri. Seule cette dernière le prive d’une indemnisation fondée sur l’action de in rem verso. En plaidant la négligence légère, l’imprudence, le commissaire-priseur espère ainsi voir sa demande d’indemnisation accueillie.
Par ailleurs, dans la seconde branche du moyen, le requérant soutient qu’en présence d’une faute de l’appauvri, le juge dispose d’un pouvoir modérateur lui permettant de réduire son indemnité (C. civ., art. 1303-2, al. 2). En le privant de toute indemnisation, la cour d’appel aurait donc violé les principes gouvernant l’enrichissement sans cause (notamment, celui de l’équité).
Ces arguments n’emportent pas l’adhésion de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi.
Dans un premier temps, la Cour régulatrice rappelle la distinction opérée entre faute simple et faute lourde ci-avant énoncée : « si le fait d’avoir commis une imprudence ou une négligence ne prive pas de recours fondé sur l‘enrichissement sans cause celui qui, en s’appauvrissant, a enrichi autrui, l’action de in rem verso ne peut aboutir lorsque l’appauvrissement est dû à la faute lourde ou intentionnelle de l’appauvri ». Cette classification, initiée par la première chambre civile, se fonde sur le principe d’équité. Elle n’est toutefois pas appliquée par la chambre commerciale qui se refuse à indemniser l’appauvri lorsqu’une faute, quelle que soit sa gravité, est caractérisée (Com. 19 mai 1998, n° 96-16.393). Si un arrêt rendu en 2015 laissait à penser que la première chambre civile avait rejoint cette position très sévère à l’encontre de l’appauvri (Civ. 1re, 19 mars 2015, n° 14-10.075), la présente espèce dissipe toute équivoque et confirme qu’il n’en est rien : la classification demeure et seule la faute lourde est un obstacle à l’exercice de l’action de in rem verso.
Dans un second temps, la Haute juridiction approuve les premiers juges ayant, avec raison, caractérisé la faute lourde du commissaire-priseur. En effet, celui-ci s’est limité à un simple examen visuel, superficiel et rapide des peintures sur la base d’un certificat vieux de 15 ans et établi dans des conditions inconnues. Il lui est également reproché d’être resté laxiste face aux enjeux financiers et fiscaux d’une telle estimation : sa qualité de professionnel de l’art lui commandait une attention accrue, justifiant des investigations complémentaires et soignées. Dès lors, ces manquements professionnels, d’une particulière gravité, l’empêchent d’obtenir une indemnité fondée sur un enrichissement injustifié.
Son pourvoi est ainsi rejeté.
Par cet arrêt, publié au Bulletin de la Cour de cassation, la première chambre civile confirme ainsi sa jurisprudence antérieure et la distinction qu’il convient d’opérer entre faute simple et faute lourde de l’appauvri. Cette dernière sera caractérisée en présence d’une faute professionnelle grave, notamment lorsqu’un commissaire-priseur, en raison de l’examen sommaire du tableau qu’il est chargé d’estimer, ne relève pas le caractère non-authentique de ce dernier et se livre à une évaluation erronée.
Civ. 1re, 5 avril 2018, n° 17-12.595
Références
■ Civ 2e, 3 juin 1997, n° 95-13.568 P.
■ Com. 19 mai 1998, n° 96-16.393 P : D. 1999. 406, note M. Ribeyrol-Subrenat ; RTD civ. 1999. 105, obs. J. Mestre.
■ Civ. 1re, 19 mars 2015, n° 14-10.075 P : D. 2015. 1084, note J. Lasserre Capdeville.
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