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Droit des obligations
Épilation par lumière pulsée : la licéité de l’objet du contrat concernant cette pratique pour la première fois affirmée
En refusant d’annuler un contrat de franchise ayant pour objet l’application non médicale d’une technique d’épilation jusqu’alors réservée aux professionnels de santé, la première chambre civile de la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence immédiatement applicable aux instances en cours.
Civ. 1re, 19 mai 2021, n° 19-25.749 et n° 20-17.779
Les deux décisions rapportées parachèvent une évolution jurisprudentielle marquée par plusieurs revirements de jurisprudence auxquels elles s’ajoutent pour admettre la validité de principe d’une pratique épilatoire (qualifiée par les spécialistes d’ « épilation définitive par lumière pulsée »), dont la technicité justifiait que son exercice fut pendant longtemps réservée aux médecins (art. 2, 5°, de l’Arr. du 6 janv. 1962, fixant la liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins), avant d’être étendu par les juges à des praticiens n’ayant pas la qualité de médecin (essentiellement des instituts esthétiques), désormais autorisés à mettre en œuvre cette méthode d’épilation.
Le Conseil d’État fut le premier à procéder à cette extension (CE 8 nov. 2019, n° 424954) marquant l’abandon de sa position antérieure (CE 28 mars 2013, n 348089), partagée par celle rendue par la chambre criminelle de la Cour de cassation (Crim. 13 sept. 2016, n° 15-85.046 ; Crim. 8 janv. 2008, n 07-81.193) assimilant cette pratique épilatoire, conformément à la législation applicable (CSP, art. L. 4161-1, qui renvoie à l’arrêté susmentionné), à un cas d’exercice illégal de la médecine. Par suite, la chambre criminelle s’aligna sur la nouvelle position du juge administratif pour procéder à un revirement de jurisprudence rendu l’année dernière, jugeant pour la première fois conforme à la réglementation pénale l’exercice de cette technique épilatoire par des praticiens non médecins (Crim. 31 mars 2020, n 19-85.121). Partant, sur le terrain du droit civil, si l’illicéité des conventions ayant pour objet la pratique d’épilations du même type (Civ. 1re, 14 déc. 2016, n° 15-21.597 et 15-24.610) s’était maintenue, le juge du contrat se serait démarqué de cette nouvelle position commune aux juges administratif et pénal et aurait, ainsi, inopportunément contrarié leur volonté d’accorder leurs jurisprudences pour admettre la légalité de cette pratique même lorsqu’elle est exercée hors du cadre médical. C’est en l’admettant également que par les deux arrêts rapportés, la première chambre civile permet de conclure à une totale unanimité judiciaire sur cette question, qui rend désormais indiscutable la possibilité pour des professionnels non médecins de procéder à ce type d’épilations sans encourir de sanctions pénales ou civiles, la Cour de cassation écartant ici la sanction de la nullité de contrats de franchise ayant pour objet cette méthode d’épilation.
Mettant en cause le même franchiseur, les deux arrêts commentés sont nés d’un identique problème de financement : en effet, dans ces deux affaires, les exploitants d’instituts esthétiques pour l’établissement desquels ils avaient conclu un contrat de franchise ont, pour se délier de leur engagement contractuel qu’ils ne pouvaient en définitive financer, assigné le franchiseur en nullité des contrats pour objet illicite.
Dans la première espèce (n 19-25.749), la cour d’appel d’Aix-en-Provence refusa d’annuler le contrat. Le franchisé se pourvut alors en cassation, fondant son pourvoi sur la loi sanitaire continuant de réserver aux médecins, malgré les évolutions jurisprudentielles, la pratique de cette méthode épilatoire (CSP, art. L. 4161-1 préc.).
Dans la seconde espèce ( n° 20-17.779), la même cour d’appel annula les contrats de franchise litigieux au motif « qu’en 2014, l’épilation à la lumière pulsée exercée par des non-médecins, proposée par le franchiseur, était une activité illicite relevant d’un exercice illégal de la médecine, tout mode d’épilation, sauf à la pince ou à la cire, étant interdit aux non-médecins ». C’est alors le franchiseur qui, ici, se pourvut en cassation, faisant grief à la juridiction d’appel d’avoir, au mépris de son droit à un procès équitable, méconnu le principe le principe d'application immédiate des revirements de jurisprudence.
Par une motivation qualifiée d’« enrichie », que la Cour adopte désormais en cas de revirement de jurisprudence, la première chambre civile affirme sa nouvelle position en refusant d’annuler les contrats de franchise pour objet illicite et en conséquence, rejette le pourvoi formé dans la première affaire et casse l’arrêt d’appel rendu dans la seconde. Son ralliement à la nouvelle jurisprudence de la chambre criminelle est aussi logique qu’opportun : dès lors que l’infraction d’exercice illégal de la médecine ne peut plus être constituée, l’illicéité de l’objet des contrats de franchise litigieux ne pouvait plus être retenue : en l’absence de violation d’une règle légale, en l’occurrence pénale, l’objet du contrat, instrument traditionnel du contrôle de sa licéité, est nécessairement licite. Au-delà, les juges du fond avaient, dans la première affaire, pris soin de souligner que « de nombreux centres d’épilations à lumière pulsée sont ouverts sans que les pouvoirs publics en interdisent l’activité et des appareils d’épilation à lumière pulsée sont en vente libre auprès du public ». En l’absence de toute violation d’une quelconque norme légale ou réglementaire, la licéité de l’objet était d’autant moins discutable, a fortiori depuis le premier revirement de la Cour de cassation opéré au pénal, augurant de sa confirmation au civil. Il est toutefois à noter que malgré l’identité des solutions retenues par les deux chambres, leur motivation diffère sensiblement : alors que la chambre criminelle a fondé son revirement sur le terrain supranational des libertés fondamentales d’établissement et de la prestation de services (TFUE, art. 49 et 56), la première chambre civile justifie son revirement sur le fondement du droit commun français des contrats (C. civ., art. 1162), celui de leur objet ou de leur « contenu », selon le nouveau vocable utilisé depuis 2016, qu’elle juge en l’occurrence licites.
La portée du revirement ici réalisé est accrue par son application aux contrats en cours d’exécution justifiée par les hauts magistrats, dans un paragraphe commun aux deux affaires (§ 11) par l’absence de droit acquis à une jurisprudence figée et de privation d’un droit d’accès au juge, motivation traditionnellement retenue pour appliquer, conformément au principe de rétroactivité des revirements de jurisprudence, la solution nouvelle au litige à l’occasion duquel elle a été adoptée (Civ. 1re, 9 oct. 2001, n° 00-14.564). Devant le juge judiciaire, la privation du droit d’accéder à un tribunal se présente en effet comme la seule réserve justifiant de déroger à ce principe rétroactif et donc comme le critère essentiel de la modulation dans le temps des revirements de jurisprudence, ce qui explique que l’article 6, § 1 de la Convention figure au visa de l’arrêt de cassation commenté : autrement dit, l’application immédiate de la nouvelle règle jurisprudentielle dans l’instance en cours ne saurait être paralysée que si elle prive une des parties au procès de l’accès au juge (v. la dernière application, Civ. 2e, 20 mai 2021, n° 20-13.210). Or tel n’était pas le cas dans ces deux affaires, les parties ne se trouvant pas, en conséquence du revirement effectué, dans la situation d’être empêchées d’agir en justice, ni même dans celle d’être surprises par un revirement dont la prévisibilité renforçait la légitimité de l’interdiction faite au justiciable de se prévaloir d’un droit acquis à une solution jurisprudentielle établie.
Aussi bien, si la rétroactivité de principe du revirement de jurisprudence rend ce dernier applicable au litige lors duquel il a été opéré, elle justifie de le rendre également applicable au-delà du litige à l’occasion duquel la règle nouvelle a été formulée : celle-ci va alors s’appliquer à tous les litiges similaires en cours, comme à ceux introduits antérieurement au revirement intervenu, à l’instar de celui ayant donné lieu au second arrêt rapporté. Cette règle d’application dans le temps du revirement de jurisprudence garantit une unité d’interprétation qui, en l’occurrence, permettra à la Cour d’assurer sa mission d’assurer l’unification de la jurisprudence, par l’identité des prochaines solutions qui seront rendues en cette matière.
Singulière, la question qui se trouvait au cœur des deux affaires rapportées offre étonnamment l’occasion de témoigner d’une communion qu’il est rare d’observer à la fois entre les deux ordres, administratif et judiciaire, et entre les deux branches, civile et pénale, fondatrices du droit privé. Si l’union fait la force, l’union des juges sur la libéralisation de cette pratique épilatoire fait en tout cas la force du contrat qui en prévoit l’exercice, dont la validité est désormais acquise.
Références
■ CE 8 nov. 2019, n° 424954 B : AJDA 2020. 713
■ Crim. 13 sept. 2016, n° 15-85.046 P : D. 2017. 2501, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, C. Ginestet, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et E. Tricoire ; RSC 2016. 760, obs. Y. Mayaud ; ibid. 2017. 353, obs. P. Mistretta
■ Crim. 8 janv. 2008, n 07-81.193 P : D. 2009. 1302, obs. J. Penneau ; AJ pénal 2008. 93
■ Crim. 31 mars 2020, n 19-85.121 P : D. 2020. 881 ; RSC 2020. 387, obs. P. Mistretta
■ Civ. 1re, 14 déc. 2016, n° 15-21.597 et 15-24.610 P : DAE 27 janv. 2017 ; D. 2017. 15
■ Civ. 1re, 9 oct. 2001, n° 00-14.564 P : D. 2001. 3470, et les obs., rapp. P. Sargos, note D. Thouvenin ; RTD civ. 2002. 176, obs. R. Libchaber ; ibid. 507, obs. J. Mestre et B. Fages
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