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Droit des obligations
Erreur excusable sur l’indécence d’un logement
Est excusable l’erreur sur la décence d’un logement déjà loué et acquis en vue d’une location par une société non professionnelle de l’immobilier sans moyens d’accès à la réglementation applicable. En cas d’annulation de la vente, la restitution du prix perçu à laquelle le vendeur est condamné ne constitue pas un préjudice indemnisable.
Par acte notarié, un couple avait vendu à une société civile immobilière un « appartement » d'une superficie de 13,49 mètres carrés, alors loué à un tiers. Quelques mois plus tard, le service communal d'hygiène et de santé avait informé la SCI qu'à la suite de sa visite des lieux, il avait constaté que la pièce principale était d'une superficie inférieure à 9 mètres carrés, ce qui était contraire à la réglementation en vigueur. Il lui avait en conséquence enjoint de faire cesser sans délai toute occupation de ce local. Après avoir été mise en demeure par arrêté préfectoral de mettre un terme à la location de cet appartement, la SCI avait assigné les vendeurs en annulation de la vente, ainsi que le notaire ayant instrumenté celle-ci et l’agent immobilier en responsabilité.
La cour d’appel accueillit ses demandes.
Au soutien de leur pourvoi en cassation, les vendeurs et les deux praticiens firent d’une part valoir le caractère inexcusable de l’erreur commise par la SCI, dont l'objet social, « l'acquisition, la location, l'édification, l'exploitation et la gestion ainsi que la cession éventuelle de tous immeubles, biens et droits immobiliers » - exclurait selon eux qu’elle ait pu acquérir l’appartement en méconnaissance de ses dimensions, caractéristiques et possibilités juridiques d'exploitation ; ils s’appuyaient d’autre part sur la hiérarchie des normes pour défendre la prévalence du décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002, relatif aux caractéristiques des logements décents (pris en l'application de la L. n° 2000-1208 du 13 déc. 2000), sur le règlement sanitaire départemental antérieur que le décret aurait implicitement abrogé et ainsi, contester le fait que l'habitabilité du logement vendu ait été appréciée par la cour d'appel uniquement au regard du critère exclusif de surface posé par ledit règlement et non au regard des critères alternatifs permettant une comparaison superficie / volume plus souplement retenus par le décret précité.
Concernant l’erreur vice du consentement, la Cour de cassation confirme l’analyse des juges du fond, ayant souverainement relevé qu'il résultait de l'acte authentique de vente que le bien vendu était loué et qu'en se portant acquéreur du logement, la SCI entendait disposer de la pleine propriété du bien comprenant la possibilité de le mettre en location, qu‘il s'agissait d'une qualité essentielle de la chose vendue qui était entrée dans le champ contractuel et qui avait été déterminante de son consentement, qu'elle n'avait pas la qualité de professionnel de l'immobilier et que son erreur sur cette qualité essentielle du logement était excusable ; en conséquence, la cour d’appel, qui a, à bon droit, fait application des dispositions du règlement sanitaire départemental, non incompatibles avec celles du décret du 30 janvier 2002 qui ne l'a pas abrogé et plus rigoureuses que celles-ci, a donc pu en déduire que le consentement de la SCI avait été vicié et que la vente devait-être annulée.
Elle censure en revanche son analyse relative à l’indemnisation du préjudice : pour condamner in solidum le notaire et l’agent immobilier à garantir les vendeurs de leur condamnation à rembourser le prix de vente du bien à la SCI, la cour d’appel avait en effet retenu que la gravité des manquements de ces derniers à leur obligation de conseil, sans lesquels la SCI ne se serait pas portée acquéreur du logement, les obligeait à réparer son préjudice et à garantir les vendeurs de l'ensemble des condamnations mises à leur charge ; au visa de l'article 1382, devenu 1240, du Code civil, la Cour rappelle qu'en cas d'annulation de la vente, la restitution du prix perçu à laquelle le vendeur est condamné, en contrepartie de la restitution de la chose par l'acquéreur, ne constitue pas un préjudice indemnisable.
Dans un premier temps, la Cour juge donc que l’erreur commise par la SCI, ayant acquis un appartement aux fins de le louer alors que ses dimensions et ses caractéristiques excluaient toute possibilité de location, compte tenu du règlement sanitaire départemental qui lui était applicable, est excusable. Commençons par rappeler que bien que le caractère excusable de l’erreur ne soit mentionné dans le Code civil que depuis la réforme du 10 février 2016 (C. civ., art. 1132), une jurisprudence antérieure et constante refusait d’annuler un contrat pour erreur si celle-ci était la conséquence d’une faute de celui qui l’invoque, l’errans. Dans un souci légitime de moralisation, l’annulation ne pouvait être obtenue par la victime responsable, par sa désinvolture, de sa propre erreur lorsque, notamment, elle revêtait la qualité de professionnel et contractait dans son domaine de spécialité (Civ. 1re, 14 déc. 2004, n° 01-03.523 ; Civ. 1re, 9 avr. 2015, n° 13-24.772). Cependant, comme l’illustre la décision rapportée, si la règle était déjà fermement établie en jurisprudence, ses applications se révélaient peu fréquentes. En effet, l’erreur est généralement considérée comme excusable car la faute caractérisée de l’errans, appréciée in concreto, peine à être retenue. Ainsi, est-elle, en l’espèce, exclue.
La décision illustre également son mode d’appréciation, tant objective que subjective. Le premier critère retenu, objectif, est relatif à la difficulté d’accès à l’information en cause, la Haute juridiction estimant, à l’instar de la Cour d’appel, que s’il aurait pu être reproché à la SCI de ne pas avoir tenu compte des critères posés par le décret du 30 janvier 2002, il ne pouvait, en revanche, lui être reproché de ne pas s'être informée des dispositions moins accessibles du règlement départemental applicable. Le second critère pris en compte, également objectif, tient au fait que l’appartement litigieux était déjà loué au moment de la vente, ce qui pouvait légitimement conduire la SCI à envisager sa mise en location sans entrave réglementaire. Le dernier critère retenu, subjectif cette fois, a trait à la qualité de non-professionnel de la SCI.
Du fait de l’erreur excusable alors commise, la Cour rappelle, dans un second temps, que l’annulation de la vente doit être prononcée et le vendeur, condamné à rembourser les sommes versées par l’acquéreur pour l’acquisition du bien mais que la restitution de ce prix perçu, consécutive à l’annulation du contrat vicié en partie par les fautes respectivement commises par le notaire et l’agent immobilier, ne constitue pas un préjudice indemnisable par ces derniers, lesquels ne peuvent donc être condamnés à en garantir le paiement au profit des vendeurs.
La jurisprudence avait déjà eu l’occasion d’affirmer que lorsque la créance de restitution du prix a pour cause la faute du praticien ayant entraîné l’annulation de la vente, ce lien de causalité reste cependant trop fragile pour engager l’auteur du manquement en garantie, en cas de défaut de règlement. Parce que cette hypothèse n’est précisément qu’éventuelle, le préjudice résultant du non-paiement ne présente pas la certitude requise (V. Civ. 3e, 23 juin 2004, n° 99-19.996). Il n’en va autrement qu’en cas d’ « impossibilité certaine » pour l’acquéreur d’obtenir du vendeur la restitution du prix (Civ. 1re, 16 mai 2013, n° 12-15.959), notamment en cas d’insolvabilité du vendeur (Civ. 1re, 10 juill. 2013, n° 12-23.746), qui rend alors certain le préjudice de l’acquéreur, et le praticien fautif contraint de verser le montant de la restitution dont il est le garant, à moins qu’il puisse s’exonérer en rapportant la preuve d’une faute de négligence de l’acquéreur.
« Aime la vérité, mais pardonne à l’erreur » (Voltaire, Discours en Vers sur l’Homme).
Civ. 3e, 3 mai 2018, n° 17-11.132 et 17-14.090
Références
■ Fiche d’orientation Dalloz : Erreur (contrat)
■ Civ. 1re, 14 déc. 2004, n° 01-03.523 P: D. 2005. 594 ; RTD civ. 2005. 123, obs. J. Mestre et B. Fages ; RTD com. 2005. 586, obs. B. Bouloc.
■ Civ. 1re, 9 avr. 2015, n° 13-24.772: D. 2016. 566, obs. M. Mekki ; RTD com. 2015. 345, obs. B. Bouloc.
■ Civ. 3e, 23 juin 2004, n° 99-19.996 P.
■ Civ. 1re, 16 mai 2013, n° 12-15.959: AJDI 2013. 705.
■ Civ. 1re, 10 juill. 2013, n° 12-23.746.
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