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[ 15 janvier 2018 ] Imprimer

Droit des obligations

Erreur sur les motifs : une erreur par principe indifférente

Mots-clefs : Obligation, Contrat, Vice du consentement, Erreur, Motif du contrat, Erreur indifférente, Exception

L'erreur sur un motif du contrat extérieur à l'objet de celui-ci n'est pas une cause de nullité de la convention, quand bien même il aurait été déterminant, à moins qu'une stipulation expresse ne l'ait fait entrer dans le champ contractuel en l'érigeant en condition du contrat.

Une société avait vendu à un couple de particuliers un ensemble immobilier, par l’entremise d’un conseiller en gestion de patrimoine, lequel avait remis au couple, avant la conclusion de la vente, une étude prévisionnelle accompagnée d’une plaquette commerciale à l’effet de promouvoir le projet comme un investissement promis au succès et un instrument de défiscalisation certain. 

Faute d’avoir pu, de fait, louer l’appartement acquis, le couple, avait, à la suite d’un redressement fiscal, assigné la société en nullité de la vente pour vice du consentement, ainsi que le conseiller patrimonial pour manquement à son obligation d’information et de conseil. La cour d’appel accueillit leur demande, annulant le contrat au motif de l’erreur commise par les acquéreurs sur une qualité substantielle de la chose. Elle retint à cet effet que même en l’absence d’intentionnalité démontrée, la société avait, sans commettre un dol, néanmoins laissé croire aux acquéreurs que l’appartement qu’ils se proposaient d’acquérir disposait d’un potentiel locatif suffisant pour leur permettre de réussir une opération de défiscalisation et qu’ainsi, la société comme le conseiller patrimonial avaient contribué à ce que le couple se méprenne sur la substance de la chose vendue, et ce même en l’absence de clause spécifique dans le contrat. 

Dans la ligne d’une jurisprudence désormais bien établie (Civ. 1re, 13 févr. 2001; n° 98-15.092. Com. 30 mai 2006, n° 04-15.356. Com. 11 avr. 2012, n° 11-15.429), la Cour de cassation censure cette décision au motif devenu classique que « l'erreur sur un motif du contrat extérieur à l'objet de celui-ci n'est pas une cause de nullité de la convention, quand bien même il aurait été déterminant, à moins qu'une stipulation expresse ne l'ait fait entrer dans le champ contractuel en l'érigeant en condition du contrat ». 

Il est depuis longtemps acquis que l’erreur sur les motifs, alors même qu'ils auraient déterminé une partie à contracter, n'est pas une cause de nullité du contrat dès lors que ces motifs ne tiennent ni à la chose, objet du contrat (sa substance, ses qualités substantielles), ni à la personne du contractant, dans l’hypothèse où celle-ci aurait été prise en considération. 

L’indifférence de principe à l’erreur spontanée sur les motifs à contracter révèle d’ailleurs une différence notable avec le dol qui, en ce que l’erreur est provoquée, est sanctionné par l'annulation du contrat, même s'il n'a porté que sur des motifs extérieurs au contrat (V. H. Mazeaud et F. Chabas, Obligations, 9e éd.,Montchrestien, n° 164 et 188. – Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Les obligations, 2e éd.,Defrénois, n° 505 et 511). 

Procédant du rappel de cette règle, désormais constante, la troisième chambre civile énonce qu’en principe, « l'erreur sur un motif du contrat extérieur à l'objet de celui-ci n'est pas une cause de nullité de la convention, quand bien même ce motif aurait été déterminant ». Et elle réserve une exception également traditionnelle et partagée par l’ensemble des chambres de la Haute cour, celle d'« une stipulation expresse » qui aurait fait entrer le motif « dans le champ contractuel en l'érigeant en condition du contrat ». La solution signifie tout d’abord que, contrairement à l’analyse retenue par les juges du fond, l’intégration du motif dans le champ contractuel ne peut s’induire uniquement des circonstances. 

Ainsi en l’espèce, bien qu’il eût pu s’évincer de l’étude prévisionnelle et de la plaquette remise aux acquéreurs avant la vente que le potentiel locatif des biens vendus constituait une qualité substantielle de ceux-ci, tant pour le vendeur que pour les acheteurs, il n’était cependant pas admissible, en l’absence de stipulation expresse dans le contrat, d’en déduire que les acheteurs avaient commis une erreur sur la substance sanctionnée par la nullité du contrat : l’erreur commise ne portait que sur un motif resté extérieur au contrat. La solution signifie également que la connaissance mutuelle par les parties du motif poursuivi par l’une d’entre elles n’est pas suffisante pour que ce dernier intègre le champ contractuel. Le mobile qui anime l'un peut bien être connu de l'autre, ce dernier n'a pas pour autant, du moins dans une logique contractuelle libérale, à supporter le risque de sa déception. Pour que cet objectif, non atteint, soit pris en compte, encore faut-il qu’il ait, ab initio, été conjointement érigé par les parties comme un élément essentiel du contrat. La sévérité de cette appréciation avait néanmoins été tempérée par la jurisprudence elle-même, laquelle avait admis, à défaut de clause expresse, plusieurs moyens détournés d'intégrer le motif dans le champ contractuel. Elle admit tout d’abord qu’une erreur puisse être considérée comme substantielle même lorsqu’elle ne porte qu’indirectement sur l'objet de la chose dès lors que celui-ci se révèle inapte à satisfaire le but poursuivi par sa victime (J. Ghestin et Y.-M. Serinet, Rép. civ. Dalloz, V° Erreur, 2006, n° 173 s.)Cependant, ce recours à la notion d’erreur substantielle connut peu de succès (V. Com. 11 avr. 2012, n° 11-15.429), comme le confirme la décision rapportée. En effet, elle refuse ici d’admettre que l’inadéquation du faible potentiel locatif des biens acquis à l’objectif fiscal des acquéreurs puisse démontrer une erreur, même indirecte, sur la substance de la chose vendue. La raison doit sans doute en être trouvée dans la volonté de la Cour de restreindre, surtout depuis que prévaut une conception subjective de l’erreur substantielle, les possibilités d'annulation du contrat. Celle-ci ne devrait donc pouvoir être obtenue que lorsque l’erreur a porté sur une qualité normale ou spécialement convenue de la chose, inhérente à son objet, et non lorsqu’elle a seulement porté sur un avantage objectivement extérieur à l'objet, ici la défiscalisation escomptée : elle reste dans ce cas une pure erreur sur un motif du contrat, dont l’annulation ne pourra alors être obtenue qu’à la condition d'une stipulation expresse ayant intégré ce motif au contrat. 

La jurisprudence a également eu recours à la théorie de la cause. Un célèbre arrêt rendu par la première chambre civile le 3 juillet 1996 dans une affaire dite des « vidéocassettes », en témoignait (n° 94-14.800). En l'espèce, une société avait proposé à un couple installé en zone rurale de développer une activité de « point club vidéo ». À cet effet, un contrat par lequel le couple se constituait un fonds de stock en prenant à bail un lot de cassettes auprès de la société avait été conclu. Or, il s'avéra que l'activité n'était en rien viable, la clientèle potentielle étant, dans l’agglomération visée (1314 habitants), objectivement trop faible. La Cour annula en conséquence la convention de location, en relevant que le but du contrat, celui de développer une activité de « point club vidéo », étant entré dans le champ contractuel, il participait dès lors de la cause de la convention qui s’en trouvait concrètement dépourvue au vu de l'impossibilité, originaire, de l’atteindre. Alors que ce contrat était objectivement causé, la fameuse « subjectivisation », dans cet arrêt, de la cause-contrepartie avait conduit les juges à annuler un contrat pour défaut de cause alors même que le but poursuivi et non atteint ne faisait pas l’objet d’une condition expresse de la convention. Cette jurisprudence est cependant, aujourd’hui, délaissée (V. Com. 27 mars 2007, n° 06-10.452 et surtout Com. 9 juin 2009, n° 08-11.420). Et le retour à la rigueur se confirme, ici. Le motif déterminant d’une partie à contracter n’est que très strictement considéré : il ne le sera qu’à la condition d’avoir été expressément stipulé comme tel. Contrairement à la jurisprudence précitée, une condition tacite, même manifeste au vu des circonstances, est désormais insuffisante. Par le formalisme qu’elle impose aux parties et qu’elle oppose au consensualisme consubstantiel au droit des contrats, la solution peut être contestée. Quoi qu'il en soit, elle oblige les parties à formaliser leurs ambitions contractuelles, soit par le biais d’un préambule au contrat soit, plus rigoureusement comme y invite cette décision, par le biais d’une clause spécialement consacrée ou bien au sein de celle traditionnellement réservée à l’objet du contrat. 

Civ. 3e, 14 déc. 2017, n° 16-24.096 et 16-24.108

Références

■ Civ. 1re, 13 févr. 2001; n° 98-15.092 : RTD civ. 2001. 352, obs. J. Mestre et B. Fages.

■ Com. 30 mai 2006, n° 04-15.356.

■ Com. 11 avr. 2012, n° 11-15.429 : D. 2012. 1117, obs. X. Delpech ; ibid. 2013. 391, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki ; RTD com. 2012. 381, obs. D. Legeais ; ibid. 608, obs. B. Bouloc.

■ Civ. 1re, 3 juill. 1996, n° 94-14.800 P : D. 1997. 500, note P. Reigné ; RTD civ. 1996. 901, obs. J. Mestre ; RTD com. 1997. 308, obs. B. Bouloc.

■ Com. 27 mars 2007, n° 06-10.452 : D. 2007. 2966, obs. S. Amrani-Mekki et B. Fauvarque-Cosson.

■ Com. 9 juin 2009, n° 08-11.420 : RTD civ. 2009. 719, obs. B. Fages.

 

Auteur :M. H.

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