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Droit pénal général
Escroquerie : le préjudice n’est pas nécessairement pécuniaire
Mots-clefs : Escroquerie, Préjudice, Éléments constitutifs, Action civile, Perte de chance
L'article 313-1 du Code pénal définit l'escroquerie comme « le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale, et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'autrui, à remettre des fonds, valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge ».
Parmi les éléments constitutifs de l’infraction, on trouve en principe la nécessité d’un préjudice. La remise de la chose par la victime doit, en effet, être effectuée, selon l'article 313-1 du Code pénal, « à son préjudice ou au préjudice d’autrui ».
Cet élément a été l’objet d’hésitations jurisprudentielles remontant à l’ancien Code pénal. Sans remonter trop loin, un arrêt de la chambre criminelle en 1991 avait affirmé qu'en l'absence de préjudice, un élément constitutif du délit d'escroquerie fait défaut (Crim. 3 avr. 1991). Elle retenait auparavant la solution exactement inverse et a pu reprendre parfois avec celle-ci en admettant que le préjudice se confond avec l'extorsion du consentement (Crim. 15 juin 1992).
La lettre de l’article 313-1 du Code pénal issue de du Code pénal de 1994 érige clairement le préjudice en élément constitutif de l'infraction distinct des moyens frauduleux utilisés pour surprendre le consentement de la victime.
Prenant acte de cette nouvelle rédaction, la chambre criminelle a considéré que la remise par la préfecture d'un titre de séjour, obtenu par l'utilisation de manœuvres frauduleuses, ne constitue pas une escroquerie, car ces faits ne « portent pas atteinte à la fortune d'autrui » (Crim. 26 oct. 1994). Cet arrêt fixait à la fois la nécessité d’un préjudice et sa nature. Celui-ci doit être un préjudice pécuniaire.
Une telle solution est pourtant abandonnée dans l’arrêt présenté.
En l’espèce, un individu a été condamné pour escroquerie, à trois mois d’emprisonnement avec sursis et 40 000 euros d’amende, pour avoir trompé l’ancien président et principal actionnaire du club de football de l’Olympique de Marseille, en présentant une fausse garantie bancaire d’un montant de 81,5 millions d’euros, afin de le déterminer à conclure une convention, en date du 15 janvier 2007, dans laquelle il prenait l’engagement de ne plus entamer de discussion avec un tiers susceptible d’être intéressé par l’acquisition de titres du club phocéen. Il contestait à l’appui de son pourvoi l’absence de préjudice occasionné à la victime.
Pour rejeter ce moyen, la chambre criminelle affirme que « le préjudice, élément constitutif du délit d’escroquerie, n’est pas nécessairement pécuniaire et est établi lorsque l’acte opérant obligation n’a pas été librement consenti par la victime mais a été obtenu par des moyens frauduleux ».
Si la chambre criminelle rappelle la nécessité de l'existence d'un préjudice, elle renoue quelque peu avec sa jurisprudence antérieure. Déjà dans une jurisprudence ancienne, elle avait pu dire qu’il suffisait que « les remises de fonds aient été le résultat des moyens frauduleux employés par le prévenu et qu'elles n'aient pas été librement consenties par celui que l'escroc a trompé » (Crim. 18 nov. 1969 ; Crim. 19 déc. 1979).
La Cour de cassation retient ici une définition très large, le préjudice ne consistant pas obligatoirement dans une atteinte au patrimoine. Une telle solution ne manquera pas d’être critiquée par la doctrine.
Un second moyen de cassation était proposé par le prévenu tenant à l’action civile.
Les juges ont alloué au titre des dommages-intérêts aux héritiers de la victime, parties civiles, la somme de 15 000 euros en réparation de leur préjudice matériel et celle de 15 000 euros en réparation de leur préjudice moral au motif que la signature de l’offre d’achat, comportant une clause restrictive quant à la recherche d’un acquéreur pendant le temps de l’offre, a pu faire perdre une chance à la victime directe de négocier avec un éventuel acquéreur pendant une durée de deux mois.
La chambre criminelle approuve les juges du fond d’avoir retenu l’existence d’une perte de chance résultant de ce que la victime s’était interdit, pendant la durée d’application de la convention, de rechercher un autre acquéreur. Peu importe, contrairement à ce que soutenait le demandeur au pourvoi, qu’au cours de cette période, aucun autre acquéreur ne se soit présenté.
Crim. 28 janv. 2015, n° 13-86.772
Références
« L'escroquerie est le fait, soit par l'usage d'un faux nom ou d'une fausse qualité, soit par l'abus d'une qualité vraie, soit par l'emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d'un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge.
L'escroquerie est punie de cinq ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende. »
■ Crim. 3 avr. 1991, n°90-81.157, Bull. crim. n° 155, D. 1991. Somm. 275, obs. Azibert , D. 1992. 400, note C. Mascala.
■ Crim. 15 juin 1992, n°91-83.558, Bull. crim., n° 234, D. 1993. Somm. 15, obs. Azibert , RSC 1993. 783, obs. Bouzat.
■ Crim. 26 oct. 1994, n°93-84.089, Bull. crim., no 341, Dr. pén. 1995, comm. 65 ; RSC 1995. 593, obs. J.-P. Delmas Saint-Hilaire.
■ Crim. 18 nov. 1969, D. 1970. 437, note B. Bouloc.
■ Crim. 19 déc. 1979, Bull. crim. 1979, n° 369.
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