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Droit de la famille
Établissement de la filiation : l’impossibilité d’agir n’est pas en soi attentatoire à la vie privée
Mots-clefs : Impossibilité d'agir en recherche de paternité en raison de l'expiration du délai de prescription, Filiation, Respect de la vie privée, Droit à l'identité, Droit de connaître et faire reconnaître son ascendance, Vérité biologique, Prescription, Recherche de paternité, Article 8 (non-violation)
Si l'impossibilité pour une personne de faire reconnaître son lien de filiation paternelle constitue une ingérence dans l'exercice du droit au respect de sa vie privée et familiale, l'obstacle prévu à l'article 320 du Code civil poursuit un but légitime en ce qu'il garantit la stabilité du lien de filiation et dès lors que l'intéressé a disposé de procédures lui permettant de mettre sa situation juridique en conformité avec la réalité biologique, l'atteinte portée au droit au respect de sa vie privée n'est pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi.
Une femme née le 9 février 1946 avait été reconnue le 30 juin 1965 par le mari de sa mère, qui l'avait légitimée par son mariage avec sa mère le même jour. Ce dernier mourut le 12 juillet 2001. Le 25 novembre 2005, elle avait été reconnue par un autre homme, son prétendu père biologique, lequel mourut le 13 mai 2006. Un jugement irrévocable rendu le 20 novembre 2007 avait déclaré irrecevable comme prescrite la contestation de la paternité légitime formée par sa fille et par la mère de celle-ci et avait annulé la reconnaissance de paternité effectuée par son prétendu père biologique. Le 29 juillet 2011, la fille avait assigné les enfants de ce dernier sur le fondement de l'article 327 du Code civil, afin que soit ordonnée une expertise biologique et que sa filiation avec son père biologique soit rétablie. La cour d’appel rejeta sa demande en application de la restriction procédant de la prescription de l'action en contestation de la paternité prévue par les articles 320 et 321 du Code civil et en conséquence de la balance des intérêts en présence, retenant que l'intérêt de la famille du père légitime, décédé avant la révélation des origines de la requérante, justifiait une restriction au droit à la connaissance de ses origines. Celle-ci forma alors un pourvoi en cassation pour soutenir d’une part que l'effectivité du droit de connaître ses origines et de voir établie la filiation correspondante, garantis par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (Conv. EDH), commande au juge national de délaisser les restrictions posées par des dispositions internes dès lors que celles-ci portent une atteinte substantielle au droit revendiqué et d’autre part, que l'expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s'il existe un motif légitime de ne pas y procéder ; ainsi reprochait-elle aux juges d’avoir abusivement retenu comme point de départ de la prescription de l’action le 9 février 1967, date de sa majorité, sans tenir compte de l'ignorance de sa filiation réelle, qui ne sera découverte qu'en 2005, et d’avoir méconnu les intérêts de son père biologique qui, de son vivant, souhaitait voir reconnaître ledit lien de filiation comme le prouve le fait qu’il ait consenti de son vivant à la réalisation d'un test génétique. Son pourvoi est rejeté, la Cour affirmant tout d’abord que la cour d'appel n'a pas déclaré son action irrecevable comme prescrite, mais seulement constaté l'autorité de la chose jugée attachée au jugement du 20 novembre 2007 et, par suite, l'existence d'une filiation définitivement établie entre elle et son père légitime faisant obstacle, en application de l'article 320 du Code civil, à l'établissement d'une autre filiation qui la contredirait, ensuite, que si l'impossibilité pour une personne de faire reconnaître son lien de filiation paternelle constitue une ingérence dans l'exercice du droit au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la Conv. EDH, l'obstacle opposé à la demanderesse est prévu à l'article 320 du Code civil et poursuit un but légitime en ce qu'il tend à garantir la stabilité du lien de filiation et à mettre les enfants à l'abri des conflits de filiations, enfin que son père légitime l’ayant reconnu en 1965 et ayant été son père aux yeux de tous jusqu'à son décès en 2001, sans que personne ne remette en cause ce lien de filiation conforté par la possession d'état et que la demanderesse elle-même avait disposé d'un délai de trente ans à compter de sa majorité pour contester sa paternité, ce qu'elle n'a pas fait alors qu’elle disposait de procédures lui permettant de mettre sa situation juridique en conformité avec la réalité biologique, la cour d'appel a pu en déduire que l'atteinte portée au droit au respect de sa vie privée n'était pas disproportionnée au regard du but légitime poursuivi.
Conformément à ce qu’a déjà pu juger la Cour européenne des droits de l’homme (3 avr. 2014, Konstantinidis c/ Grèce, n° 58809/09), l'application des principes contenus aux articles 320 et 321 du Code civil au cas d'espèce conduit la Cour de cassation à conclure à une non-violation de l'article 8. Elle confirme donc que l'impossibilité d'établir une filiation et d'avoir accès à une expertise biologique en raison de l'expiration d'un délai de prescription ne constitue pas, en soi, une violation du droit au respect de la vie privée. La contrariété à l'article 8 dépend d'autres éléments dont les principaux sont le risque d'atteinte à la vie privée d'autres personnes, en l’espèce, celle de la famille du père légitime de la demanderesse, la possibilité pour le requérant, en l’espèce inexploitée, d'agir après avoir eu connaissance de la vérité biologique, enfin, la réalité biologique et sociale ainsi que la volonté des protagonistes, la réalité sociale étant dans cette affaire privilégiée, la Cour insistant sur la durée de la possession d’état (36 ans) ayant conforté la filiation légitime du père de la demanderesse et délaissant la volonté du prétendu père biologique d’établir de son vivant son lien filiation. Plus techniquement, et au-delà des contingences propres à la mise en œuvre du contrôle de la « balance des intérêts », la fin de non-recevoir s’imposait en l’espèce ; d’une part en raison du principe chronologique contenu à l’article 320 du Code civil qui, à l’effet de prévenir les conflits de paternités, interdit à l'enfant ayant déjà une filiation paternelle légalement établie de la contester en justice et d’en obtenir l'annulation avant de prouver qu'un autre homme serait son véritable père. En effet, si les deux demandes peuvent être jointes, la demande en recherche ne peut prospérer que sous condition du bien-fondé de la demande en contestation, condition jugée, en l’espèce, insatisfaite par les premiers juges ; d’autre part, et en ce sens, l’irrecevabilité de l’action tient également à l’autorité de la chose jugée attachée au premier jugement rendu ayant débouté, par une décision définitive, la fille et sa mère de leur action en contestation de paternité, ce qui élevait nécessairement une fin de non-recevoir à une action en recherche faite par l'enfant majeur.
Civ. 1re, 5 oct. 2016, n° 15-25.507
Références
■ Convention européenne des droits de l’homme
Article 8 « Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.
2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »
■ CEDH 3 avr. 2014, Konstantinidis c/ Grèce, n° 58809/09, AJ fam. 2014. 311, obs. E. Viganotti.
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