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Droit pénal général
État d’urgence : le juge pénal est compétent pour contrôler la légalité des perquisitions administratives
Mots-clefs : État d’urgence, Droit pénal, Perquisition administrative, Légalité, Poursuite, Procès pénal
Par deux arrêts « I » du 13 décembre 2016, la chambre criminelle affirme qu’en application de l’article 111-5 du Code pénal, les juridictions pénales sont compétentes pour apprécier la légalité de l’ordre de perquisition administrative, qui, sans constituer le fondement des poursuites, détermine la régularité de la procédure.
Dans la première espèce (n° 16-82.176), le préfet du Rhône avait ordonné, le 19 novembre 2015, la perquisition de locaux situés à Vaulx-en-Velin dans lesquels il existait des raisons sérieuses de penser que se trouvaient des personnes, armes ou objets pouvant être liés à des activités à caractère terroriste. Le 20 novembre, à 1h du matin, le domicile de X., où se trouvait Y., fut perquisitionné ; y furent saisis un pistolet à plombs, 1 072 grammes d'héroïne, 134 grammes de cocaïne, 1 098 grammes de résine de cannabis, 242 grammes d'herbe de cannabis, des balances électroniques de précision, un couteau portant des traces de cannabis, des sachets de conditionnement et un document pouvant correspondre à une feuille de comptes. Le même jour à 1h45 fut établi un procès-verbal sur la situation du quartier et l’origine des renseignements sur l’existence d’un trafic de stupéfiants, ainsi que sur ce trafic et les risques de dérives communautaires et de radicalisation. Mis en examen le 22 novembre pour infractions à la législation sur les stupéfiants et association de malfaiteurs, en récidive, X. et Y. saisirent la chambre de l’instruction d’une requête en annulation. Celle-ci accueillit le moyen tiré de l'illégalité de l'ordre préfectoral de perquisition, estimant que celui-ci ne répondait pas aux conditions prévues par l'article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 dans sa rédaction issue de la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015.
La seconde espèce (n° 16-84.794) concernait une perquisition de locaux situés à Feyzin, décidée le 15 novembre 2015, toujours par le préfet du Rhône. La perquisition réalisée au domicile de Z., réalisée le 16 novembre à 4h10, avait permis de saisir un pistolet mitrailleur kalachnikov, avec deux chargeurs approvisionnés, trois pistolets automatiques, un fusil à pompe, des chargeurs, des munitions, divers accessoires à ces armements, des armes blanches, un taser, une paire de jumelles électroniques, des vêtements militaires, des brassards de police, une paire de menottes, une cagoule, des gants et, au domicile de ses parents, un lance-roquettes approvisionné, un fusil de chasse et des munitions. Mis en examen pour infractions à la législation sur les armes et association de malfaiteurs, Z. saisit la chambre de l’instruction d'une requête en annulation des actes de la procédure judiciaire, invoquant l'illégalité des ordres préfectoraux de perquisition. La chambre de l’instruction, cette fois, déclara irrecevable le moyen tiré de la nullité des perquisitions ordonnées par l'autorité administrative, au motif que l’irrégularité éventuelle de l’ordre préfectoral ne pouvait pas avoir pour effet d’enlever aux faits leur caractère punissable.
Saisie des pourvois formés respectivement par le procureur général près la cour d’appel de Lyon (1re espèce) et par le mis en examen (2nde espèce), la chambre criminelle affirme clairement, par ses deux arrêts, qu’en application de l’article 111-5 du Code pénal, les juridictions pénales sont compétentes pour apprécier la légalité de l’ordre de perquisition, qui, sans constituer le fondement des poursuites, détermine la régularité de la procédure.
Dans la première espèce, la chambre de l’instruction avait bien opéré ce contrôle de légalité, mais pas sur le bon fondement : il lui appartenait en effet de statuer en application du 1° de l'article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, dans sa rédaction résultant de l'ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960 et non de la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions. D’où la cassation prononcée pour une question d’application de la loi dans le temps, l’ordre préfectoral de perquisition étant en date du 19 novembre.
Dans la seconde espèce, la chambre de l’instruction avait refusé de se prononcer et sa décision est logiquement censurée. Dans son arrêt (destiné à être publié au Rapport), la chambre criminelle rappelle qu’aux termes de l’article préliminaire du Code de procédure pénale, « les mesures de contrainte dont la personne suspectée ou poursuivie peut faire l'objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire » et que, selon l’article 111-5 du Code pénal, « les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis » et « qu'il en va ainsi lorsque de la régularité de ces actes dépend celle de la procédure ». Elle estime ainsi que la chambre de l’instruction, qui était compétente pour apprécier la légalité des ordres de perquisitions, a méconnu les textes et les principes ainsi visés.
L’article 111-5 du Code pénal permet au juge pénal de contrôler par voie d’exception la régularité des actes administratifs, aussi bien réglementaires qu’individuels, « lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis » (sur cette exception d’illégalité, V. Rép. pén. Dalloz, vo Lois et décrets, par C. Porteron, nos 57 s.), ce qui signifie que le juge pénal ne peut contrôler la légalité d’un acte administratif que si celle-ci est « de nature à enlever aux faits constatés leur caractère délictueux » (Crim. 11 oct. 1989, n° 89-80.519; Crim. 11 déc. 2001, n° 00-86.182). L’irrégularité de la perquisition administrative pouvant entrainer l’annulation de la procédure pénale dans son ensemble, il faut donc considérer que, de son examen, dépend l’issue du procès.
On précisera que l’article 11 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, dans sa rédaction désormais issue de la loi n° 2016-987 du 21 juillet 2016, permet au préfet « d'ordonner des perquisitions en tout lieu, y compris un domicile, de jour et de nuit, sauf dans un lieu affecté à l'exercice d'un mandat parlementaire ou à l'activité professionnelle des avocats, des magistrats ou des journalistes, lorsqu'il existe des raisons sérieuses de penser que ce lieu est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l'ordre publics ». Le même article prévoit certaines garanties dont le respect doit donc être contrôlé par le juge pénal saisi de poursuites fondées sur des perquisitions et saisies administratives.
Crim. 13 déc. 2016, n° 16-82.176.
Crim. 13 déc. 2016, n° 16-84.794.
Références
■ Rép. pén. Dalloz, vo Lois et décrets, par C. Porteron, nos 57 s.
■ Crim. 11 oct. 1989, n° 89-80.519 P, RDI 1990. 421, obs. G. Roujou de Boubée.
■ Crim. 11 déc. 2001, n° 00-86.182 P.
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