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[ 4 novembre 2020 ] Imprimer

Procédure pénale

État d’urgence sanitaire. Ordonnance de prolongation automatique de la détention provisoire par le JLD : décision juridictionnelle susceptible d’appel

La Cour de cassation, si elle estime ici conforme la prolongation de la détention provisoire, précise que l’ordonnance de prolongation automatique de la détention provisoire par le juge des libertés et de la détention est une décision juridictionnelle susceptible d’appel, entrant dans les prévisions de l’article 186 du Code de procédure pénale, quand bien même la détention n’est pas poursuivie du fait de cette décision mais du fait de changement de dispositions à valeur législative. 

Crim. 13 octobre 2020, n° 20-82.322

Après l’interprétation proposée par la Cour de cassation de l’article 16 de l’ordonnance n° 2020-303 du 5 mars 2020 portant adaptation de règles de procédure pénale sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19, relatif à la prolongation automatique de la détention provisoire sans l’intervention du juge dans un arrêt du 26 mai 2020 (n° 20-81.910) et le refus de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité sur ces mêmes dispositions, validant ainsi sa propre jurisprudence par un arrêt du 15 septembre 2020 (n° 20-82.377), la Cour de cassation consacre le droit de relever appel d’une ordonnance du juge des libertés et de la détention dans ce contexte. 

M. C. est mis en examen pour tentative de meurtre et placé en détention provisoire. 

Saisi par le juge de l’instruction aux fins de prolongation de la détention provisoire, le juge des libertés et de la détention rend une ordonnance de prolongation de plein droit de la détention provisoire en application de l’article 12 de l’ordonnance n° 2020-303 du 5 mars 2020. 

M. C. relève appel de cette décision. La chambre de l’instruction rend un arrêt dans lequel elle déclare irrecevable l’appel relevé de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention déclarant sans objet sa saisine aux fins de prolongation de la détention provisoire et constatant sa prolongation de plein droit. 

M. C. conteste l’arrêt en ce qu’il déclare l’appel irrecevable sur plusieurs moyens :

- Il est d’abord relevé que la prolongation de la détention provisoire de plein droit et sans prévoir l’intervention d’un juge pour en apprécier la nécessité méconnaît la liberté individuelle et son corollaire qui exige le contrôle du juge judiciaire à toute atteinte à celle-ci, dans le plus bref délai en vertu de l’article 66 de la Constitution. Pour la Cour de cassation, ce moyen tiré de l’inconstitutionnalité de ces dispositions est irrecevable, la Cour de cassation ayant dit n’y avoir lieu à transmettre la question prioritaire de constitutionnalité portant sur ces mêmes dispositions. A ce titre, dans un arrêt rendu le 15 septembre 2020 (n° 20-82.377 ), une QPC avait été posée à la Cour de cassation, relative à la conformité des dispositions de l’article 16 de l’ordonnance précitée telles qu’elles avaient été interprétées par la Cour de cassation, à la Constitution. Elle avait, à cette occasion, refuser de transmettre la question faute de caractère sérieux estimant qu’« à défaut d'une intervention judiciaire ou d'une décision du juge se prononçant d'office ou à la suite d'une demande de mise en liberté, dans le délai de trois mois en matière criminelle à compter de la date d'expiration du titre, sur le bien-fondé du maintien en détention, la personne détenue doit être mise en liberté ». 

- Le dernier moyen retiendra néanmoins l’attention de la Cour de cassation. Il était encore reproché à l’arrêt attaqué d’avoir jugé que l’ordonnance déclarant sans objet la saisine du juge d’instruction aux fins de prolongation de la détention provisoire par laquelle le juge des libertés et de la détention a constaté qu’il n’y avait pas lieu à statuer sur cette demande et précisé que la détention provisoire était prolongée de plein droit n’était pas une décision juridictionnelle susceptible d’appel. Pour la cour d’appel, l’ordonnance ne présente aucune caractéristique d’une décision juridictionnelle et ne crée, en elle-même, aucun grief à l’appelant, la détention n’étant pas poursuivie du fait de cette décision mais du fait du changement de dispositions à valeur législative. Au contraire, et selon le moyen du pourvoi, une ordonnance du juge des libertés et de la détention est une décision juridictionnelle susceptible d’appel devant la chambre de l’instruction entrant dans les précisions de l’article 186 du Code de procédure pénale. 

La Cour de cassation rappelle tout d’abord l’interprétation donnée des articles 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et de l’article 186 du Code de procédure pénale par le Conseil constitutionnel dans la décision du 13 juillet 2011 (n° 2011-153 QPC). Selon cette dernière, « le droit d’appel appartient à la personne mise en examen contre toute ordonnance du juge des libertés et de la détention faisant grief à ses droits et dont elle ne pourrait remettre en cause les dispositions ni dans les formes prévues par les articles 186 à 186-3 du code de procédure pénale ni dans la suite de la procédure ». La Cour de cassation casse l’arrêt rendu par la cour d’appel et constate d’une part, que « la décision du juge des libertés et de la détention qui constate que la détention provisoire de la personne mise en examen, dont le titre vient à expiration, est prolongée pour une durée de six mois, fût-ce par l’effet de la loi, lui cause nécessairement grief » et d’autre part, que « ni l’article 16 de l’ordonnance précitée ni aucune autre disposition du code de procédure pénale ne permettent à la personne mise en examen de contester la prolongation de plein droit de sa détention provisoire ». 

La Cour prend également le soin de préciser l’effet de la cassation alors prononcée qui, ici, ne devait pas avoir pour effet de statuer de nouveau sur le fond, ne nécessitant à ce titre aucun renvoi. En effet, rappelant la décision rendue par la chambre criminelle de la cour de cassation en date du 26 mai 2020 (n° 20-81.910), elle souligne que la prolongation prévue par l’ordonnance est régulière si la juridiction qui aurait été compétente pour prolonger cette détention a, dans les trois moins de la date d’expiration du titre ayant été prolongé de plein droit, rendu une décision par laquelle elle se prononce sur le bien-fondé du maintien en détention, ce qui était ici le cas. 

Références

■ Convention européenne des droits de l’homme

Art. 6, § 1 

« Droit à un procès équitable.  1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l'accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l'intérêt de la moralité, de l'ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l'exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice. »

■ Crim., QPC, 15 sept. 2020, n° 20-82.377 Dalloz actualité, 16 oct. 2020, note M. Recotillet ;  D. 2020. 1892 

■ Crim. 26 mai 2020, n° 20-81.910 Dalloz actualité29 mai 2020, obs. H. Christodoulou ; D. 2020. 1274, note J.-B. Perrier ; ibid. 1274 ; ibid. 1643, obs. J. Pradel ; AJ fam. 2020. 498, obs. Léa Mary ; AJ pénal 2020. 346, étude E. Raschel

■ Cons. const. 13 juill. 2011, n° 2011-153 QPC D. 2012. 1638, obs. V. Bernaud et N. Jacquinot ; AJ pénal 2012. 44, obs. L. Ascensi ; Constitutions 2011. 520, obs. E. Daoud et A. Talbot ; RSC 2012. 233, obs. B. de Lamy

 

Auteur :Chloé Liévaux

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