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[ 17 novembre 2025 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Étendue de la réparation du préjudice des parents d'un enfant né handicapé

Le législateur n’ayant pas entendu limiter le préjudice indemnisable né du handicap de l’enfant au seul préjudice moral de ses parents, ces derniers sont en droit d’obtenir l’indemnisation de leur préjudice patrimonial, en l’espèce professionnel, correspondant aux pertes de revenus induites par l’adaptation de leur carrière professionnelle au handicap non décelé de leur enfant.

Civ. 1re, 15 oct. 2025, n° 24-16.323

Nul n'a oublié l'arrêt Perruche, rendu il y a un quart de siècle (Ass. plén. 17 nov. 2000, n° 99-13.701), par lequel l’Assemblée plénière de la Cour de cassation reconnaissait à un enfant, né handicapé du fait d'une rougeole non détectée in utero, l’indemnisation de son préjudice. Pour des raisons autant morales que juridiques, la solution avait été vivement critiquée, principalement en ce qu’elle conduisait à reconnaître comme constitutif d’un préjudice réparable la naissance d’un enfant handicapé. En réalité, au-delà des arguments purement juridiques, la Cour de cassation a voulu indemniser, que le demandeur à l’indemnisation soit l’enfant lui-même ou ses parents, le handicap dont souffre un enfant pour lui offrir les moyens d’affronter dans de meilleures conditions les difficultés de l’existence. Dans cette perspective, l’indemnisation de l’enfant, en plus de celle des parents, est apparue nécessaire. De façon plus restrictive, la jurisprudence administrative du Conseil d’État a estimé réparable le dommage subi par les parents du fait de la naissance de l’enfant handicapé, refusant en revanche à l’enfant lui-même le droit de réclamer réparation, en l’absence de causalité directe entre son handicap et la faute médicale (CE 14 févr.1997, n° 133238, Quarez). Le Conseil d’État a en revanche accepté de réparer tous les chefs de préjudices subis par les parents, conformément au principe de la réparation intégrale : il en est ainsi du préjudice moral comme du préjudice économique né des charges particulières découlant du handicap : 

En réaction à la jurisprudence Perruche, la loi Kouchner du 4 mars 2002 avait énoncé que "nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance". La loi, codifiée à l'article L. 114-5 du Code de l'action sociale et des familles, précise également que "la personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer". Elle ajoute, concernant les parents de l’enfant né handicapé à la suite d’une faute médicale, que ces derniers peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice (et non celui de la victime directe) et que leur préjudice ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, de ce handicap.

Aux termes de cet article, la loi distingue deux situations : celle du handicap provoqué ou aggravé pendant la grossesse ou l’accouchement par une faute médicale ; celle du risque de handicap non révélé avant la naissance. Dans la deuxième hypothèse, celle d’un handicap dont le risque n’aurait pas été révélé par le médecin aux parents pendant la grossesse, la loi distingue à nouveau la situation des parents de celle de l’enfant né handicapé. En premier lieu, la loi refuse à l’enfant toute indemnisation au titre de la responsabilité civile. En effet, aux termes de l’alinéa premier du texte, « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance ». C’est sur ce point que la loi constitue un désaveu de la jurisprudence Perruche. En second lieu, la loi reconnaît aux parents la possibilité de demander réparation de leurs préjudices sur le fondement de la responsabilité civile mais dans certaines limites et à certaines conditions qui n’étaient pas exigées par la jurisprudence antérieure, relatives aussi bien aux préjudices indemnisables qu’à la nature de la faute médicale. Tout d’abord, la loi subordonne la responsabilité à la preuve d’une faute médicale « caractérisée ». Ensuite, s’agissant de l’étendue du dommage réparable, le préjudice des parents ne saurait inclure « les charges particulières découlant tout au long de la vie de l’enfant de ce handicap ». Le texte excepte donc de l’action des parents la réparation des charges particulières générées par le handicap non décelé. En somme, là où la jurisprudence judiciaire antérieure accueillait non seulement l’action de l’enfant handicapé mais également celle de ses parents en réparation de l’ensemble de leurs préjudices, la loi nouvelle supprime purement et simplement l’action de l’enfant et limite celle des parents à la réparation de certains préjudices, en la soumettant en outre à l’exigence d’une faute médicale caractérisée. 

Concernant le préjudice réparable des parents de l'enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse en suite d'une faute caractérisée, l’indemnisation se limite à leur seul préjudice, et ne saurait en outre inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l'enfant, du handicap considéré, la compensation de ce dernier relevant de la solidarité nationale. Reste alors à savoir ce que recouvre le préjudice indemnisable des parents, s'il ne comprend pas les charges particulières découlant du handicap non décelé. 

On aurait pu considérer que, puisque le préjudice patrimonial constitué par la compensation de ces charges particulières relève de la solidarité nationale, les parents ne pourraient exciper, au titre de la responsabilité civile, que d'un préjudice moral. C'est, en filigrane, ce qu'avait paru indiquer le Conseil constitutionnel (Cons. const., 11 juin 2010, n° 2010-2-QPC, visant le préjudice moral et les "troubles dans les conditions d'existence"), ainsi que la Cour de cassation, d’abord hostile au principe même d’une réparation de la perte de revenus des parents, faute de causalité suffisante (Civ. 2e, 14 nov. 2002, n° 01-12.122 ; Civ. 2e, 13 juin 2013 n° 12-14.685), puis au cumul, interdit par la nomenclature Dintilhac, d’une telle indemnisation avec celle prévue pour le chef d’assistance par tierce personne allouée à l’enfant en tant que victime directe (Civ. 2e , 14 avr. 2016, n° 15-16.697). Autant de motifs qui semblaient exclure du domaine légal des préjudices indemnisables le préjudice patrimonial, et notamment professionnel, des parents de l’enfant né handicapé. Également partagée par certaines juridictions du fond, cette idée consistant à limiter la réparation aux seuls préjudices moraux des parents vient d'être battue en brèche par la première chambre civile dans un arrêt rendu le 15 octobre dernier, qui retient que "le préjudice des parents ouvrant droit à réparation ne se limite pas aux préjudices extrapatrimoniaux et peut inclure des pertes de gains professionnels et une incidence professionnelle lorsqu'ils se trouvent contraints, pour prendre en charge leur enfant handicapé, de cesser ou modifier leur activité professionnelle". 

Clarifiant ainsi l’interprétation de l’article L. 114-5 CASF, la Cour admet de réparer, outre les préjudices moraux, certains préjudices patrimoniaux subis par les parents, dont les préjudices professionnels, ce qui vise concrètement à compenser leur perte de revenus lorsqu’ils sont obligés d’abandonner leur emploi pour assurer une présence auprès de leur enfant. Sur ce point, la solution est conforme à la nomenclature Dintilhac qui consacre, parmi les préjudices patrimoniaux des victimes par ricochet en cas de survie de la victime directe, la perte ou la diminution de revenus subie par les proches contraints d’abandonner, temporairement ou définitivement, leur emploi, Elle trouve également écho dans les travaux préparatoires de la loi Kouchner précitée, montrant que le législateur a entendu priver les parents de la réparation des charges liées au handicap en ce que celles-ci correspondent aux préjudices patrimoniaux subis par la victime directe (l’enfant lui-même), dont la réparation est exclue ; en revanche, ne sont pas concernés les autres préjudices patrimoniaux des parents, notamment la perte de revenus professionnels et plus largement, les préjudices professionnels résultant de l’arrêt ou de la diminution de travail pour s’occuper de l’enfant. Il en résulte que, si les dispositions de l’article L.114-5 CASF interdisent d'inclure dans le préjudice indemnisable des parents les charges particulières résultant du handicap de leur enfant, non détecté lors de la grossesse, elles n'excluent pas la prise en charge de l'ensemble des autres préjudices patrimoniaux, distincts du handicap de l’enfant, susceptibles d'être subis par les parents, au nombre desquels figure le préjudice professionnel.

Partant, sont approuvés les juges du fond qui avaient indemnisé le préjudice professionnel des parents d'un enfant né handicapé à la suite d’une faute médicale caractérisée au moment de la grossesse. L'épouse avait, peu de temps après la naissance, pris un congé parental de longue durée puis repris un travail à temps partiel sur un poste distinct et moins bien rémunéré ; son époux avait également subi une perte de revenus liée à une diminution de son activité. 

Ainsi, rien n'interdit aux juges d'accorder une indemnité couvrant non seulement le préjudice moral des parents mais également leur préjudice économique engendré par un arrêt de travail d'un ou des deux parents.

Références :

■ Ass. plén. 17 nov. 2000, n° 99-13.701 : D. 2000, p. 332, note D. Mazeaud, p. 336, note P. Jourdain, LPA 2000, n° 245, p. 4, note M. Gobert, RTD civ. 2001, p. 103, note J. Hauser, p. 149, note P. Jourdain, p. 226, note R. Libchaber et N. Molfessis, JCP 2000. II. 10438, rapp. P. Sargos, concl. J. Sainte-Rose, note F. Chabas

■ CE 14 févr.1997, n° 133238, Quarez Centre hospitalier régional de Nice, Lebon avec les conclusions ; AJDA 1997. 480 ; ibid. 430, chron. D. Chauvaux et T.-X. Girardot ; D. 1997. 322, obs. J. Penneau ; ibid. 1998. 294, obs. S. Henneron ; ibid. 1999. 60, obs. P. Bon et D. de Béchillon ; RFDA 1997. 374, concl. V. Pécresse ; ibid. 382, note B. Mathieu ; RDSS 1997. 255, obs. J.-S. Cayla ; ibid. 1998. 94, note F. Mallol

■ Cons. const., 11 juin 2010, n° 2010-2-QPC : JA 2010, n° 422, p. 11, obs. S.Z.-D.

■ Civ. 2e, 14 nov. 2002, n° 01-12.122 

■ Civ. 2e, 13 juin 2013 n° 12-14.685 

■ Civ. 2e, 14 avr. 2016, n° 15-16.697 D. 2016. 895 ; ibid. 2187, obs. M. Bacache, A. Guégan-Lécuyer et S. Porchy-Simon ; RTD civ. 2016. 637, obs. P. Jourdain

 

Auteur :Merryl Hervieu


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