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[ 1 février 2019 ] Imprimer

Droit de la concurrence

Etre belle à tarif réduit : une proposition alléchante, mais malhonnête…

L’offre promotionnelle d’achat groupé de prestations esthétiques sur internet constitue un acte de concurrence déloyale portant atteinte à l’ensemble de la profession médicale, dont le conseil de l’ordre qui en défend les intérêts est recevable et bien-fondé à agir.

Trois sociétés et un médecin avaient fait appel à une société spécialisée dans la promotion, sur internet, d'événements et d'offres de prestations de services à des tarifs promotionnels. Or celle-ci avait développé un concept de vente en ligne de bons à faire valoir pour des prestations fournies par ses différents partenaires, au moyen d’achats groupés, à un tarif préférentiel. C’était à ce service spécifique que les clients médicaux du prestataire avaient eu recours pour mettre en ligne plusieurs offres de prestations esthétiques à prix réduit. Le Conseil national de l'ordre des médecins (CNOM) les avait alors assignés aux fins d’obtenir le paiement d’un euro à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par ces actes de publicité constitutifs de concurrence déloyale, la cessation sous astreinte de ces publications et la publication de la décision à intervenir.

En appel, la cour jugea leur action à la fois recevable et bien-fondée.

Recevable, d’une part, au regard des missions confiées au CNOM par les articles L. 4121-2 et L. 4122-1 du Code de la santé publique, ce dernier ayant intérêt à agir devant les juridictions civiles dès lors que son action vise à défendre l'intérêt collectif de la profession. Or, en l'espèce, celle introduite par le CNOM avait bien pour objet de faire sanctionner des actes considérés comme attentatoires à la collectivité médicale, sans même préjuger de leur caractère anticoncurrentiel, celui-ci n’influençant que l’appréciation du bien-fondé de l’action. 

Bien-fondé d’autre part retenu par la cour, jugeant illicites les agissements reprochés, constitutifs d’une publicité prohibée par les règles de déontologie applicables à la profession et diffusée au seul bénéfice des médecins et établissements souscripteurs des annonces dont l’identité pouvait, même indirectement, être connue ; ces derniers avaient ainsi cherché, par cette voie publicitaire, à élargir leur clientèle au mépris des règles de loyauté concurrentielle et des usages de la profession médicale, et sciemment causé une rupture d’égalité dans les conditions d'exercice de celle-ci.

La société publicitaire forma un pourvoi en cassation, contestant la recevabilité ainsi que le bien-fondé de l’action. Elle soutenait d’abord que l'action en concurrence déloyale ne constituait pas une action répressive visant à défendre l'intérêt collectif des médecins, mais une action civile visant à défendre les intérêts particuliers des médecins prétendument affectés par la publicité litigieuse. Elle reprochait ensuite aux juges du fond d’avoir qualifié celle-ci d’acte de concurrence déloyale alors que l’un des annonceurs était localisé à l’étranger, que l’une des sociétés mises en cause avait une nature commerciale, ce qu’un premier jugement avait d’ailleurs reconnu, et que le seul fait que les coordonnées des praticiens figuraient en fin d'annonce, soit par la présentation d'un lien destiné à conduire l'internaute vers son site officiel, soit par un lien hypertexte faisant apparaître les coordonnées de l'annonceur telles qu’elles étaient répertoriées dans un annuaire, ne pouvait suffire à considérer que les publications dénoncées permettaient l’identification des médecins. Pour toutes ces raisons, ces annonces ne pouvaient selon elle être jugées comme des publicités illicites au sens de la déontologie médicale ni, partant, comme une atteinte à la loyauté de la concurrence susceptible de nuire à des médecins français.

Confirmant la recevabilité de l’action, la Cour de cassation la juge également bien-fondée, conformément à l’analyse des juges du fond qui ont retenu, par motifs propres et adoptés, qu'il ressortait que la société demanderesse avait effectué des publications relatives à des actes esthétiques dont le caractère médical n’était pas contesté, en vue d'achats groupés en ligne de ces prestations, et que ces publications étaient accompagnées de commentaires particulièrement attrayants destinés à les valoriser. Le procédé utilisé visait donc incontestablement à attirer le consommateur et à l'inciter à contracter dans les meilleurs délais. Destinées à promouvoir les prestations esthétiques offertes à la vente, ces annonces relevaient donc bien de la publicité, réalisée au profit des professionnels annonceurs dont les coordonnées étaient aisément accessibles. Par le contrat conclu avec ces annonceurs, la société publicitaire a donc violé sciemment et directement les usages de la profession médicale et commis une faute de nature civile à l'égard de la collectivité des médecins. « Dès lors que les publications portaient sur des prestations médicales, la cour d’appel a pu en déduire que les publications relatives aux offres de prestations incluant l'exécution d'actes médicaux étaient constitutives d'une concurrence déloyale à l'égard de la collectivité des médecins et portaient atteinte à l'image de la profession en assimilant l'activité médicale à une activité commerciale ».

Concernant une profession spécifique et réglementée, cette décision rappelle néanmoins la définition générale, commune à l’ensemble des activités concurrentielles, de la concurrence déloyale, entendue comme l'ensemble des procédés concurrentiels contraires à la loi ou aux usages, constitutifs d'une faute, même non intentionnelle, de nature à causer un préjudice aux concurrents. Alors que l’acte de concurrence déloyale emprunte, au regard du droit de la concurrence, trois formes spécifiques possibles - le dénigrement, la confusion ou la désorganisation de l’entreprise, la décision rapportée s’abstrait de ces déclinaisons pour traduire une conception finalement plus civiliste que concurrentielle de l’atteinte portée à la loyauté de la concurrence : l’acte de concurrence déloyale en l’espèce sanctionné se présente en effet comme un acte à la fois illicite et immoral, l’achat puis l’utilisation d’espace publicitaire constituant une violation d’une norme légale elle-même empreinte d’une forme, professionnelle, de morale, pour cette raison qualifiée de règle déontologique ; en effet, la médecine ne doit pas être pratiquée à des fins commerciales et tous les procédés publicitaires, directs ou indirects, sont interdits (CSP , art. R. 4127-19), les médecins devant se garder « de toute attitude publicitaire » (CSP, art. R. 4127-13). 

Il est vrai que le dénigrement, c’est-à-dire le fait de jeter le discrédit sur un concurrent, se présentait en l’espèce davantage comme une conséquence que comme la source de l’acte anticoncurrentiel réalisé. C’est sans doute la raison pour laquelle cette qualification spéciale n’a pas été retenue, au profit d’une acception plus générale et commune de la déloyauté, que traduit la violation délibérée d’un usage professionnel à dessein lucratif, l’affranchissement immoral des « règles de fonctionnement de la profession ». C’est finalement la violation d’une norme de comportement, d’une règle de bonne conduite, le mépris d’une morale professionnelle, qui constituait l’atteinte à une libre et donc saine concurrence. Le droit et la morale ne sont donc jamais si éloignées, même en droit de la concurrence lorsque ce dernier trouve à s’appliquer à une profession libérale réglementée.

Le préjudice réparé revêt une même couleur civiliste. Alors que celui qui résulte d’un acte de concurrence déloyale est traditionnellement constitué par la baisse du chiffre d'affaires du concurrent victime de la captation de clientèle, consécutive à l’efficacité de la déloyauté de l’acte effectué, la Haute cour souligne ici l’atteinte à l'image de la profession, bassement réduite à une activité commerciale, le « préjudice moral » porté à l’ensemble de la profession, quoique la rupture d’égalité dénoncée dans les conditions d’exercice de la profession renvoie également au préjudice financier classique, lié au détournement de clientèle qui ne pouvait que naître de la publicité effectuée. La déconsidération de la profession médicale se trouve néanmoins au cœur de la motivation des juges pour condamner ceux qui l’avaient provoquée.

Moralité, si d’aucuns considèrent que l’esthétique est une éthique en matière médicale, l’éthique passe avant l’esthétique.  

Civ. 1re, 12 décembre 2018, n° 17-27.415

 

Auteur :Merryl Hervieu


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