Actualité > À la une

À la une

[ 25 février 2020 ] Imprimer

Droit de la responsabilité civile

Etre de bon conseil : une lourde tâche pour le notaire

Lors de la rédaction d’un acte authentique constatant un prêt, le notaire doit informer son client emprunteur des risques de non-souscription d’une assurance décès facultative proposée par le prêteur.

Une société civile immobilière familiale avait souscrit un emprunt bancaire par acte notarié. À la suite du décès de son gérant, la banque avait assigné les héritiers en remboursement du crédit ainsi qu’en paiement d’indemnités supplémentaires de remboursement en raison du défaut d’adhésion du défunt à son contrat d'assurance décès-invalidité, mentionné dans l'acte de prêt. Ses héritiers avaient alors assigné le notaire instrumentaire de l’acte de prêt en responsabilité et indemnisation, lui imputant divers manquements à son devoir de conseil, dont celui que semblait justifier cette absence d’adhésion à l’assurance de groupe proposée par la banque. 

La cour d’appel rejeta leur demande au motif qu’ils ne rapportaient pas la preuve du manquement prétendument commis par le notaire, ce dernier n’ayant pas attiré l'attention de son client sur les conséquences de la non-souscription de l’assurance litigieuse, laquelle était, d’une part, seulement facultative et d’autre part, mentionnée dans l'acte instrumenté qui, certes, ne contenait pas d’autres précisions, notamment celle liée à l’opportunité d’y adhérer mais selon les juges du fond, en exiger davantage aurait conduit à faire peser sur le notaire, non plus une simple obligation de conseil pour un acte donné, inhérente à sa qualité de rédacteur d’acte, mais une obligation de mise en garde sur l'opportunité économique du prêt souscrit à laquelle il n’est pas tenu (V. Civ. 1re , 4 nov. 2011, n° 10-19.942).

Au soutien de leur pourvoi, les héritiers rappelaient, sur le fondement de l’ancien article 1382 du Code civil, devenu l’article 1240, l’obligation de mise en garde qui incombe au notaire, consistant  à attirer l’attention de son client sur les risques liés aux engagements souscrits en sorte qu’en l’espèce, quand bien même l’assurance litigieuse n’était pas obligatoire et ne constituait pas une condition d’obtention du prêt, et à supposer même que le notaire n'ait pas eu connaissance de l'état de santé du défunt, il ne pouvait se contenter de mentionner dans l'acte de prêt l’existence de la garantie bancaire consistant en une assurance décès : il devait plus activement inviter l’emprunteur à souscrire à cette assurance et l’avertir des risques encourus s’il ne suivait pas son conseil en refusant de s’assurer ; aussi rappelaient-ils, sous l’angle probatoire, que le notaire avait la charge d’établir la bonne exécution de son devoir de conseil.

Au visa de l’ancien article 1382 applicable à la cause, la Haute juridiction casse l’arrêt d’appel. Selon elle, « le devoir d’information et de conseil du notaire rédacteur d’un acte authentique de prêt lui impose d’informer l’emprunteur sur les conséquences de la non-souscription d’une assurance décès facultative proposée par le prêteur, la preuve de l’exécution de cette obligation lui incombant ».

Le devoir de conseil du notaire résulte de sa mission d'authentification des actes qui doit leur conférer efficacité et sécurité juridiques. Le notaire est ainsi tenu d'éclairer les parties à l'acte sur sa portée, ses effets et donc les risques inhérents à l'acte instrumenté (Civ. 1re, 3 mai 2018, n° 16-20.419) et il n'est pas déchargé par les compétences personnelles de son client (Civ. 1re, 22 févr. 2017, n° 16-13.096). Il ne peut donner une authenticité à un acte sans avoir, dans le même temps, porté à la connaissance de ses signataires tout ce qui pourrait venir par la suite en perturber sa juste exécution. L'acte efficace est celui qui remplit les objectifs que se sont fixées les parties. C’est la raison pour laquelle la mission du notaire, en sa qualité de rédacteur d’acte, ne peut se borner à donner à l’acte instrumenté une forme écrite (Civ. 1re, 18 mai 2004, n° 01-11.956) : elle s’étend à l’exécution d’un devoir d’efficacité justifiant qu’un devoir de conseil renforcé lui soit imposé, celui-ci ayant pour but de saisir l’occasion de son intervention pour que l’acte soit enrichi de tous les éléments lui permettant de traduire le plus efficacement possible la volonté des parties. Les diverses déclinaisons du devoir de conseil répondent d’ailleurs toujours à ce même objectif d’efficacité : informer, conseiller ou mettre en garde, chacune de ces obligations est censée garantir, dans toute situation, l’expression fidèle, dans l’acte, du but poursuivi par les parties

Le notaire est alors tenu de s’en enquérir pour conseiller ensuite les parties en conséquence et appeler leur attention de manière complète et circonstanciée sur toutes les conséquences, a fortiori les plus risquées, attachées aux actes devant être passés, notamment au regard de leur situation personnelle (Civ. 2e, 2 avr. 2009, n° 07-16.670), en l’espèce l’état de santé de l’emprunteur et le caractère familial de la société qu’il géraitLe notaire aurait-il dû aviser son client de l'adéquation des risques couverts par la banque prêteuse à sa situation personnelle et l’avertir des conséquences, pour les autres membres de la SCI, d’un refus de garantie. Ainsi la simple information donnée à son client par la mention portée à l’acte de prêt de l'existence de cette garantie n’était-elle pas suffisante, et ce d’autant plus que si le banquier, en sa qualité de dispensateur de crédit, est tenu à la même obligation de conseil (Cass., ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267), la bonne exécution de son obligation n’exonère pas le notaire d’y avoir manqué, son obligation de conseil restant par principe, malgré l’avis ou l’information donnée par un tiers, inchangée (Civ. 1re, 26 oct. 2004, n° 03-16.358). Dans cette affaire, la cour d’appel avait considéré, non sans une certaine logique, que le défaut de souscription n’avait pas enlevé son efficacité à l'acte instrumenté dans la mesure où l’octroi du prêt n’en dépendait pas. De surcroît, s’il est vrai que l’obligation de conseil de tout rédacteur d’acte est particulièrement étendue dans son objet, elle est néanmoins limitée à l’acte en cause (Civ. 1re, 11 mars 2010, n° 09-13.047), en l’occurrence le seul contrat de prêt passé sous la forme authentique. Cependant, les incidences de l’acte, qui par définition le dépassent, font partie intégrante de l’obligation de conseil, dont l’étendue et la portée sont remarquables. D’autant plus que la Cour de cassation applique depuis longtemps une règle probatoire propre à l’obligation de conseil, qui s’applique naturellement au rédacteur d’acte, et notamment au notaire : l’attribution de la charge de la preuve de son exécution au débiteur de cette obligation. Après s’être longtemps fondée sur l’adage actor incumbit probatio, et avoir jugé en conséquence que celui qui reproche un manque d’information et de conseil au professionnel doit en rapporter la preuve, la Cour de cassation a opéré un revirement remarquable : le 25 février 1997, elle a posé le principe depuis constant selon lequel « celui qui est légalement ou contractuellement tenu d’une obligation particulière d’information doit rapporter la preuve de l’exécution de cette obligation » (Civ. 1re, 25 févr. 1997, n° 94-19.685). Fondée sur l’ancien article 1315 du Code civil, cette décision, rendue à propos d’un médecin, s’applique à tous les débiteurs d’une obligation particulière d’information ou de conseil, notamment les notaires, chargés de rapporter la preuve des conseils qu’il a donnés.

Civ. 1re, 8 janv. 2020, n° 18-23. 948

Références

■ Civ. 1re, 4 nov. 2011, n° 10-19.942 P : D. 2011. 2793 ; AJDI 2012. 52

■ Civ. 1re, 3 mai 2018, n° 16-20.419 P : D. 2018. 1010 ; AJDI 2019. 228, obs. J.-P. Borel ; AJ fam. 2018. 401, obs. S. Ferré-André ; RTD civ. 2018. 691, obs. P.-Y. Gautier

■ Civ. 1re, 22 févr. 2017, n° 16-13.096 P

■ Civ. 2e, 2 avr. 2009, n° 07-16.670

■ Civ. 1re, 18 mai 2004, n° 01-11.956 

■ Cass., ass. plén., 2 mars 2007, n° 06-15.267 P : D. 2007. 985, note S. Piédelièvre ; ibid. 863, obs. V. Avena-Robardet ; ibid. 2008. 120, obs. H. Groutel ; ibid. 871, obs. D. R. Martin et H. Synvet ; RDI 2007. 319, obs. L. Grynbaum ; RTD com. 2007. 433, obs. D. Legeais

■ Civ. 1re, 26 oct. 2004, n° 03-16.358

■ Civ. 1re, 11 mars 2010, n° 09-13.047 : AJDI 2010. 408

■ Civ. 1re, 25 févr. 1997, n° 94-19.685 P : D. 1997. 319, obs. J. Penneau ; RDSS 1997. 288, obs. L. Dubouis ; RTD civ. 1997. 434, obs. P. Jourdain ; ibid. 924, obs. J. Mestre

 

 

 

 

Auteur :Merryl Hervieu


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr