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[ 28 mars 2022 ] Imprimer

Droit des successions et des libéralités

Évaluation de la prestation compensatoire : l’exclusion de la vocation successorale ne pose pas question

Confirmant son interprétation constante de l’article 271 du code civil excluant la vocation successorale des époux pour évaluer le montant de la prestation compensatoire, la première chambre civile de la Cour de cassation refuse de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité qui lui était soumise, au nom du principe d’égalité des époux devant la loi, considérant que son interprétation du texte n’y porte aucune atteinte.

Civ. 1re, 16 févr. 2022, n° 21-20.362

À l’effet de compenser les écarts de niveau entre époux consécutifs à leur divorce, une prestation compensatoire peut être allouée par le juge au conjoint le moins argenté (C. civ., art. 270, al. 2). Elle est, selon l’article 271 du code civil, « fixée selon les besoins de l’époux à qui elle est versée et les ressources de l’autre en tenant compte de la situation au moment du divorce et de l’évolution de celle-ci dans un avenir prévisible ». La formule est large : les droits dont le juge doit tenir compte pour l’évaluation du montant de la prestation compensatoire visent non seulement les droits existants, mais également les droits prévisibles à la date du prononcé du divorce. Le texte dresse ensuite une liste non exhaustive de critères d’évaluation. Bien qu’elle n’intègre pas les droits successoraux des époux, la Cour de cassation les inclut depuis longtemps, en opérant toutefois la distinction suivante : seuls les droits successoraux de l’époux dont les parents sont décédés sont pris en compte, en ce qu’ils sont déjà existants et donc susceptibles d’être estimés (Civ. 1re, 28 févr. 2006, n° 04-17.695 ; Civ. 1re,  6 oct. 2010, n° 09-65.301), alors que doit être exclue la simple « vocation successorale » de l’époux dont les parents sont encore vivants : constitutif d’un droit éventuel, un héritage à venir ne relève pas des droits prévisibles visés par l’article 271 du code civil (Civ. 1re, 21 sept. 2005, n° 04-13.977 ; Civ. 1re, 6 oct. 2010, n° 09-10.989 ; Civ. 1re, 23 oct. 2013, n° 12-24.391). Ce refus catégorique (v. antérieurement, pour une application circonstanciée du texte relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond, Civ. 2e, 11 févr. 1981, n° 79-14.612) de qualifier la vocation successorale de droit prévisible mérite d’être discuté lorsque l’époux a la qualité d’héritier réservataire, le mécanisme de la réserve héréditaire tel qu’il est prévu en droit français autorisant à voir dans cette perspective successorale une probabilité vraisemblable, et non pas une simple espérance, hypothétique ou chimérique. Avant le choix opéré en 2005 par la première chambre civile (Civ. 1re, 21 sept. 2005, préc.), l’exclusion de principe de la vocation successorale des droits prévisibles visés par l’article 271 du code civil n’allait donc pas de soi. C’est précisément ce choix, resté depuis lors inchangé, que le demandeur entendait ici remettre en cause, sur le fondement du principe d’égalité des époux devant la loi. Après avoir été condamné à verser à son ex-épouse une prestation compensatoire fixée en application de la jurisprudence précitée, il a formulé la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) suivante : « L’article 271 du code civil, tel qu’interprété par la jurisprudence constante de la Cour de cassation, est-il contraire à la Constitution en ce que, prévoyant tout à la fois dans les éléments d’appréciation de la prestation compensatoire l’exclusion des droits successoraux réservataires d’un époux dont les parents sont encore en vie, et l’inclusion de l’actif reçu par l’autre par succession de ses parents déjà décédés, il entraîne une rupture d’égalité des époux devant la loi ? »

La Cour de cassation, après avoir relevé que la disposition contestée est applicable au litige, mais pas nouvelle, rejette la demande au motif que la question posée ne présente pas un caractère sérieux. La Haute juridiction souligne en effet que « les époux dont les parents de l’un sont encore en vie et ceux de l’autre sont décédés sont placés dans des situations objectivement différentes » et que « la différence de traitement qui en résulte est en rapport direct avec l’objet de la prestation compensatoire qui est de compenser la disparité créée dans les conditions de vie respectives des époux par la rupture du mariage ». Elle en déduit naturellement qu’« il n’existe pas d’atteinte au principe d’égalité entre les époux devant de la loi ». La Cour confirme ainsi l’exclusion de la vocation successorale des droits prévisibles susceptibles d’être pris en compte pour évaluer le montant de la prestation compensatoire. La raison d’être de cette exclusion, explicitement énoncée, tient à l’objet de la prestation considérée, qui vise à compenser une disparité dont l’existence doit pouvoir être constatée et l’évaluation effectuée sur la base de droits dont la probabilité de réalisation et l’étendue doivent pouvoir être raisonnablement prévues. Or une simple perspective successorale dont la réalisation dépend du pouvoir de gestion patrimoniale des parents du conjoint créancier rend celle-ci, jusqu’à la date de leur décès, imprévisible et insusceptible d’évaluation imprécise, même lorsqu’elle vise des droits réservataires.

Malgré l’injustice apparente de cette situation, dans laquelle l’époux déjà privé de ses parents voit seul ses droits successoraux être pris en compte pour l’évaluation de la prestation compensatoire au profit de son ex-conjoint, le principe d’égalité des époux devant la loi se trouve en vérité préservé, ces derniers étant placés dans des situations successorales objectivement différentes. En effet, alors que les droits successoraux existants ont intégré le patrimoine de l’époux débiteur de la prestation et peuvent donc être évalués, la simple vocation successorale du conjoint créancier reste, par définition, extérieure à son patrimoine. Il peut donc être admis de traiter de façon différente des droits sans équivalence. Il reste ainsi interdit aux époux de spéculer sur la mort de leurs beaux-parents, même lorsqu’elle est prochaine et que ces derniers sont assez fortunés…

Références :

■ Civ. 1re, 28 févr. 2006, n° 04-17.695

■ Civ. 1re, 6 oct. 2010, n° 09-65.301

■ Civ. 1re, 21 sept. 2005, n° 04-13.977 D. 2006. 47, note C. Lefranc-Hamoniaux ; ibid. 336, obs. G. Serra et L. Williatte-Pellitteri ; AJ fam. 2005. 449, obs. S. David ; RTD civ. 2005. 766, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 6 oct. 2010, n° 09-10.989 : DAE, 19 oct. 2010D. 2010. 2431 ; AJ fam. 2010. 493 ; RTD civ. 2011. 112, obs. J. Hauser

■ Civ. 1re, 23 oct. 2013, n° 12-24.391

■ Civ. 2e, 11 févr. 1981, n° 79-14.612

 

Auteur :Merryl Hervieu


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