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[ 21 février 2014 ] Imprimer

Droit des obligations

Évaluation difficile du préjudice subi par une perte de chance de faire un meilleur investissement

Mots-clefs : Obligation d'information et de conseil, Mise en garde, Manquement, Bourse, Investissement, Préjudice matériel et moral, Perte de chance, Art. 1147 C. civ., Profane

Le manquement aux obligations d’information, de mise en garde et de conseil d’une société de bourse prive seulement l’opérateur profane d’une chance de mieux investir ses capitaux. Le préjudice moral ne se déduit pas de ses difficultés financières.

Les marchés financiers sont par nature risqués comme l’illustre l’arrêt de la Cour de cassation ici rapporté qui offre un nouvel exemple d’application de la notion de « perte de chance » pour évaluer le préjudice subi en cas de pertes dues à un mauvais placement.

En l’espèce, une femme avait conclu une convention pour l’ouverture d’un compte titre avec une banque privée. Lors du renouvellement de celui-ci, un contrat de conseil fut également souscrit faisant peser sur la société de bourse, contre rémunération, une obligation de conseil dans les choix d’investissements de la cliente. Ayant enregistré des pertes d’environ 2 millions d’euros à la suite d’un mauvais placement, cette dernière rechercha la responsabilité de l’établissement bancaire pour manquement à ses obligations de conseil, d’information et de mise en garde.

La requérante sollicita d’une part, le remboursement de la totalité des montants perdus en tant que préjudice matériel et, d’autre part, la réparation du dommage moral du fait de l’importance des pertes subies ayant entraîné des conditions de vie financières difficiles.

Comment déterminer le préjudice résultant du manquement d’un professionnel aux obligations de conseil, d’information et de mise en garde auxquelles il est tenu à l’égard de son client, opérateur profane ? 

Dans cette espèce, un premier arrêt de la Cour de cassation avait été rendu le 22 mars 2011. La cliente n’avait pas spécifiquement sollicité les préjudices matériaux et moraux. La Cour de cassation avait cassé en totalité l’arrêt en rappelant que « c'est à celui qui est contractuellement tenu d'une obligation particulière de conseil de rapporter la preuve de l'exécution de cette obligation », puis avait renvoyé l’affaire. Fin 2012, la cour d’appel de renvoi avait alors condamné la société de bourse au paiement de dommages-intérêts.

Il est nécessaire d’examiner si les obligations prévues au contrat de conseil ont été remplies.

Tout d’abord, il faut évaluer la connaissance des marchés financiers de l’investisseur, qui ne peut prétendre à ce manquement uniquement s’il est un opérateur non-averti. L’arrêt retient qu’au moment de la conclusion du contrat, aucun élément d’évaluation précis et concret de cette connaissance ne permet d’en prendre acte. La société de bourse soulève que les années précédentes, les conseils ont été bénéfiques pour la cliente et qu’elle avait une certaine connaissance du marché due à ses précédentes expériences. La société rappelle qu’une convention vaut loi entre les parties, et que le contrat en question comporte une clause indiquant que la cliente était avisée des risques inhérents à certaines opérations.

La Cour de cassation écarte ces arguments et confirme l’arrêt de la cour d’appel sur ce point. Elle estime que ce savoir-faire spécifique ne peut s’évaluer à partir d’une clause de la convention, même si le contrat dispose en termes clairs et précis que la femme était avertie des risques (l’obligation de mise en garde des prestataires de services d’investissements face à des clients non avertis est de jurisprudence constante v. Com. 31 janv. 2006).

Ensuite, la Cour poursuit et affirme, au visa de l’article 1147 du Code civil, que ce manquement ne peut donner lieu qu’à une privation de chance d’investir mieux qu’elle l’ait fait : « le manquement de la société de bourse aux obligations d'information, de mise en garde et de conseil auxquelles elle peut être tenue à l'égard de son client prive seulement celui-ci d'une chance de mieux investir ses capitaux ».

On rappellera que la perte de chance se définit comme un « préjudice résultant de la disparition, due au fait d’un tiers, de la probabilité d’un événement favorable et donnant lieu à une réparation mesurée sur la valeur de la chance perdue déterminée par un calcul de probabilités et qui ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée » (Lexique des termes juridiques 2014).

La cour d’appel avait intégré le risque de pertes lié au placement sur le marché financier, mais il n’était affecté d’aucun aléa. Cette absence s’explique pour la cour de renvoi par l’inexpérience de l’investisseur, dans un domaine exigeant un savoir-faire spécifique. La différence principale entre ces décisions est la prise en compte de cet aléa. La Cour de cassation casse partiellement l’arrêt sur ce point et reprend la distinction ancienne qui différencie la perte de chance de faire un meilleur investissement et ses conséquences (Com. 10 déc. 1996).

Enfin, la Cour rejette la notion de préjudice moral invoqué par l’investisseur, au motif qu’il ne peut se déduire de ses seules difficultés financières. La femme n’apporte pas la preuve d’un tel préjudice, qui se définit comme l’atteinte aux droits de la personnalité.

Com. 4 févr. 2014, n°13-10.63

Références

■ Com. 22 mars 2011, n°10-13.727, D. 2011. 1600, note H. CausseD. 2011. 1600, obs. X. DelpechRTD com. 2011. 382, note M. Storck.

■ Com. 31 janv. 2006, n° 04-18.920, Bull. civ. IV, n°19.

 Com. 10 déc. 1996, n° 94-16.082.

■ Article 1147 du Code civil

« Le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »

 

Auteur :M. B.

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