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Droit des obligations
Éviction partielle : précisions sur les conditions de l’indemnisation de l’acheteur
Même après avoir demandé l’annulation de la vente, l’acheteur peut demander l’indemnisation de son préjudice d’éviction, la valeur de son indemnité devant être appréciée non pas au regard des caractéristiques du bien vendu, mais de sa désignation lors de la vente.
Civ. 3e, 18 janv. 2023, n° 21-16.666 B
Six mois après avoir acquis un bien immobilier au prix de 293 000 euros, un couple d’acquéreurs a été sommé par la direction départementale des territoires et de la mer de libérer une bande de terrain de 28 m² appartenant au domaine public maritime, dont l’arrêté d’autorisation d’occupation avait expiré trois ans avant l’achat. Or des constructions annexes à la maison avaient été édifiées par le vendeur pour partie sur cette bande de terrain appartenant au domaine public maritime, sur laquelle empiétait également le mur de clôture. Les acquéreurs ont assigné les vendeurs sur le fondement des articles 1625, 1626 et 1630 du Code civil, relatifs à la garantie d’éviction, afin d’obtenir l’annulation de la vente, le remboursement des frais engagés sur l’immeuble depuis son acquisition et l’octroi de dommages et intérêts. Ils fondaient leur demande sur la garantie d’éviction du fait du tiers, en l’espèce de l’autorité publique, à l’origine de leur dommage dont les vendeurs restaient tenus du fait de l’antériorité à la vente de la cause de cette éviction totale (Civ. 1re, 28 avr. 1976, 74-11.924 : si l’éviction causée à l’acquéreur d’un bien par le fait de l’autorité publique ne peut, en général, donner lieu contre le vendeur à une action en garantie, il en est autrement lorsque cet acte est la conséquence de circonstances antérieures à la vente et que par aucun moyen, l’acquéreur n’en peut empêcher les effets).
Par un arrêt du 14 mars 2019, la cour d’appel de Montpellier a ordonné la réouverture des débats, invitant l’acquéreur à conclure au regard des dispositions des articles 1636 et 1637 du Code civil, relatifs à l’éviction partielle de la chose, ainsi que sur les conséquences découlant de l’option choisie quant à ses demandes chiffrées. Dans ses conclusions récapitulatives d’appel, l’acheteuse, agissant à titre personnel et en qualité d’héritière de l’acquéreur, depuis décédé (sur la recevabilité des ayants cause – héritiers et sous-acquéreurs de l’acheteur – à agir en garantie d’éviction du vendeur, v. Civ. 3e, 28 mars 1990, n° 88-14.953), a renoncé à la demande d’annulation de la vente et sollicité une indemnisation du préjudice résultant de l’éviction partielle du bien acquis.
Devant le juge du droit, les vendeurs ont d’abord soulevé une fin de non-recevoir tirée de la prétendue nouveauté des demandes formées en appel, et fait grief à l’arrêt de déclarer l’acheteuse recevable en sa demande de règlement de la valeur de la partie évincée, alors « qu’en considérant que la demande nouvelle en cause d’appel, tendant à obtenir une indemnisation sur le fondement de la garantie d’éviction due par le vendeur n’était pas irrecevable, quand [l’acquéreur] demandai[t] l’annulation de la vente en première instance, peu importe qu’[il ait], au soutien de cette demande d’annulation, invoqué les dispositions des articles 1625 et suivants du code civil, la cour d’appel a violé l’article 564 du code de procédure civile ».
La Cour de cassation devait ainsi répondre à la question de savoir si un acquéreur (ou, comme au cas d’espèce, son héritier) peut prétendre à une indemnisation du préjudice résultant de l’éviction partielle d’un bien acquis, après avoir demandé en première instance l’annulation de la vente, motif pris de son éviction totale. Elle y répond par l’affirmative, en rejetant le pourvoi en ces termes : « La cour d’appel a relevé que la demande présentée en première instance sur le fondement des articles 1625, 1626 et 1630 du code civil tendait à l’indemnisation, par le vendeur, de l’éviction. Ayant constaté qu’en exécution de l’arrêt avant dire droit, l’acquéreur sollicitait des dommages et intérêts au titre du préjudice subi du fait de l’éviction, comme les articles 1636 et 1637 du code civil lui en offraient la possibilité en cas d’éviction partielle, la cour d’appel en a exactement déduit, dès lors que cette demande tendait à l’exercice, conformément aux dispositions applicables, du même droit qu’en première instance, à savoir la mise en jeu de la garantie légale du vendeur, que la demande n’était pas nouvelle en appel ».
La loi oblige le vendeur à garantir la possession paisible de la chose vendue à l’acquéreur (C. civ., art. 1625). C’est à ce titre qu’il est tenu de droit à garantir l’acquéreur de l’éviction qu’il souffre, dans la totalité ou partie de l’objet vendu (C. civ., art. 1626). La loi distinguant selon que l’éviction est totale (C. civ., art. 1630 s.) ou partielle (C. civ., art. 1636), un régime spécifique à l’éviction partielle est prévu : l’acquéreur peut demander soit la résiliation de la vente, s’il s’avère qu’il « n’eût point acheté sans la partie dont il a été évincé » (C. civ., art. 1636) ; soit, à défaut d’une éviction suffisante ou, tel qu’en l’espèce, de volonté de sa part de résilier la vente, la restitution partielle du prix, au lieu de sa restitution intégrale comme en cas d’éviction totale. En revanche, l’acheteur est, quelle que soit l’étendue de son éviction, en droit de solliciter l’indemnisation du préjudice qui en résulte nécessairement. C’est ce qu’il fit en l’espèce, d’abord en première instance au titre d’une éviction totale (art. 1625, 1626 et 1630), puis en appel, en réparation du dommage né de son éviction partielle (art. 1636 et 1637). Invoquée dès la première instance, l’indemnisation de son préjudice d’éviction ne constituait donc pas une demande nouvelle formée en cause d’appel, peu important, dès lors, les différents fondements textuels invoqués par l’acheteur pour obtenir cette indemnisation. Dès lors que celle-ci avait été sollicitée dès la première instance, la circonstance que l’acheteur ait renoncé en appel à sa demande initiale et principale en annulation du contrat pour cause d’éviction totale devait être jugée indifférente. Ainsi que l’affirme la troisième chambre civile, une demande d’indemnisation du préjudice résultant d’une éviction partielle, fondée sur les articles 1636 et 1637 du Code civil, n’est pas nouvelle en appel, dès lors que l’acquéreur avait formé, en première instance, des demandes fondées sur les articles 1625, 1626 et 1630, tendant à l’exercice du même droit.
Outre ce moyen tendant à l’irrecevabilité de la demande, les vendeurs contestaient également la méthode d’évaluation de l’indemnisation de l’acheteur partiellement évincé adoptée par la juridiction du second degré. Condamnés à verser à l’acheteuse la somme de 80 000 euros au titre de la valeur de la part du bien dont elle se trouvait évincée, ils reprochaient aux juges du fond d’avoir estimé cette valeur, contra legem, en fonction du prix total de la vente. En effet, la loi dispose qu’en cas d’éviction partielle, si la vente n’est pas résiliée, la fraction du prix à rembourser à l’acquéreur est déterminée, au jour de l’éviction, au regard de la valeur de la partie du bien dont l’acheteur a été évincé, et non proportionnellement au prix total de la vente (C. civ., art. 1637). Concernant le cas de l’espèce où l’acheteur partiellement évincé entend maintenir la vente, l’arrêt rapporté vient préciser que l’indemnité doit être appréciée au regard non des caractéristiques du bien qui justifient l’éviction, mais de sa désignation lors de la vente. Partant, la troisième chambre civile juge que la cour d’appel, qui n’a pas procédé à une évaluation proportionnelle au prix total de la vente, a souverainement fixé la valeur de la partie du fonds dont l’acquéreur a été évincé. L’interdiction ici rappelée de calculer la valeur de la partie du bien dont l’acheteur a été évincé au prorata du prix total de la vente peut être défavorable à ce dernier si cette portion du bien, dont l’acheteur demeure propriétaire, représentait une valeur économique importante (Civ. 3e, 21 mars 2001, n° 99-16.706). Cependant, rien ne s’oppose à ce que la réparation des autres préjudices dont aurait souffert l’acheteur à raison de l’éviction partielle soit décidée (C. civ., art. 1639), en sus de sa demande en restitution partielle du prix.
Références :
■ Civ. 1re, 28 avr. 1976, 74-11.924 P
■ Civ. 3e, 28 mars 1990, n° 88-14.953 P : AJDI 1990. 696 et les obs. ; RTD civ. 1990. 287, obs. P. Jourdain.
■ Civ. 3e, 21 mars 2001, n° 99-16.706 P : D. 2001. 1220, et les obs. ; AJDI 2001. 1024 ; RTD civ. 2001. 614, obs. P.-Y. Gautier.
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