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Droit des obligations
Exception de jeu : une vitalité conservée !
Si en principe, le client d’un casino, dont l’activité est autorisée par la loi, ne peut se prévaloir de l'article 1965 du Code civil consacrant l’exception de jeu, il en va différemment s’il est établi que la dette se rapporte à un prêt consenti par le casino pour alimenter le jeu.
Civ. 1re, 8 avr. 2021, n° 19-20.644
Non, l’exception de jeu n’est pas morte !
Antique pratique, les jeux de hasard, ainsi que les paris, ont longtemps été mal considérés. Dès l’Antiquité gréco-romaine, ils ont subi les foudres des moralistes comme des législateurs, rétifs à cette pratique ludique qu’ils ont cherché sinon à prohiber, du moins à fermement encadrer.
Des lois furent en ce sens édictées par les législateurs de l’Antiquité, ensuite reprises par les canonistes et les juristes de l’Ancien droit, ainsi que par les rédacteurs du Code civil, dont le texte qui se trouve au cœur de la décision rapportée, l’article 1965, exprime avec netteté la sévérité avec laquelle ils ont souhaité traiter les débiteurs de dettes nées d’un jeu ou d’un pari et, avec la même évidence, l’influence parfois observée de la morale sur certaines règles de droit. En effet, selon ce texte, qui consacre ce qu’on appelle l’exception de jeu, la loi n'accorde par principe aucune action en paiement ou en recouvrement pour une dette de jeu ou un pari. Dans le cas où une action en paiement serait engagée, le débiteur (ie, le perdant au jeu) aurait donc, dans tous les cas, la possibilité d’opposer l'exception de jeu, lui permettant d’échapper au paiement de sa dette de jeu. Cela étant, la jurisprudence déduit de l’autorisation légale d’un certain nombre de jeux de hasard la possibilité, pour les établissements créanciers concernés, d’agir, par exception à la règle précitée, en recouvrement des dettes que des joueurs ont contractées envers eux sans pouvoir se voir opposer l'article 1965 du Code civil. Au surplus, depuis l’ouverture à la concurrence du secteur des jeux d’argent et de hasard, qui s’est en même temps accompagnée d’une reconnaissance légale des paris en ligne (L. n° 2010-476 du 12 mai 2010; v. Lasserre-Kiesow et Le More, « Jeux en ligne. Nouvelle régulation sectorielle », D. 2010. 1495), se raréfient encore davantage les arrêts rendus sur le fondement de l’article 1965 du Code civil pour admettre l’opposabilité de l’exception. Venant à rebours de cette évolution alimenter cette maigre jurisprudence et juger recevable l’exception de jeu opposée par le joueur, l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 8 avril dernier méritait de toute évidence d’être rapporté.
Le client régulier d’un casino avait émis des chèques dont certains avaient été retournés par la banque pour insuffisance de provision. En conséquence, le client et le casino avaient conclu un protocole transactionnel en vue du règlement amiable des chèques impayés. Faute d’exécution par le client du protocole signé, le casino avait assigné ce dernier en paiement. Le client lui avait alors opposé l’exception de jeu fondée sur l’article 1965, ce que la cour d’appel saisie admit. Ainsi débouté de sa demande en paiement, le casino se pourvut en cassation. Son pourvoi se fondait sur l’inapplicabilité à l’espèce de l’exception de jeu, dans la mesure où il n’avait fait que poursuivre l’exécution de la transaction conclue avec son client, par laquelle ce dernier se reconnaissait expressément débiteur d’une somme d’argent conséquente. Autrement dit, le demandeur au pourvoi faisait valoir qu’il avait engagé son action non pas sur le terrain de l’exception de jeu, mais sur celui, plus traditionnel, de l’exécution forcée du contrat conclu.
Son pourvoi est rejeté par la Cour de cassation. Après avoir rappelé les termes de l’article 1965, la première chambre civile confirme que « le client d’un casino, dont l’activité est autorisée par la loi et réglementée par les pouvoirs publics, ne peut cependant se prévaloir de ces dispositions, sauf s’il est établi que la dette se rapporte à des prêts consentis par le casino pour alimenter le jeu », affirmation au soutien de laquelle sont évoqués, comme l’implique sa nouvelle méthode de rédaction, de précédents arrêts rendus par cette même chambre (Civ. 1re, 30 juin 1998, n° 96-17.789, P ; Civ. 1re, 20 juill. 1988, n° 86-18.995, P).
Le double critère traditionnel d’application et d’éviction de l’exception de jeu érigé par la jurisprudence se voit ainsi réaffirmé : alors que cette exception ne peut être opposée lorsqu’est en cause une dette de jeu incombant au client d’un casino dont l’activité est légalement autorisée (comp., en cas d’infraction à la réglementation, Civ. 1re, 13 mars 2019, n° 18-13.856), celui-ci retrouve la faculté de l’opposer lorsque la dette naît d’un prêt ayant alimenté le jeu (v. aussi, pour une décision plus récente, Civ. 1re, 26 nov. 2014, n° 13-16.378).
Aussi faut-il dans ce type de litiges prendre en considération les circonstances que les juges du fond, souverains dans leur appréciation, doivent caractériser comme suffisantes à établir l’existence d’un prêt. En effet, la qualification de ce contrat est indispensable à rendre opposable, malgré l’autorisation légale du jeu, tel celui de l’espèce, l’exception de jeu dont le client entend se prévaloir.
Ainsi en l’espèce, la juridiction d’appel a-t-elle relevé que les numéros des quatorze chèques litigieux émis par le client ne correspondaient pas à ceux mentionnés sur le listing détaillé retraçant les achats et vente de jetons du client sur la période considérée. Les juges du fond ont alors pu déduire de cette circonstance que ces chèques n’avaient pas été émis en paiement des jetons mais qu’il s’agissait de « chèques de couverture d’avances consenties par le casino pour alimenter le jeu », en sorte que l’exception de jeu retrouvait à s’appliquer.
Références :
■ Civ. 1re, 30 juin 1998, n° 96-17.789 P: D. 1999. 112, obs. R. Libchaber
■ Civ. 1re, 20 juill. 1988, n° 86-18.995 P
■ Civ. 1re, 13 mars 2019, n° 18-13.856 P: DAE 18 avr. 2019, note Merryl Hervieu; D. 2019. 583 ; RTD civ. 2019. 397, obs. N. Cayrol
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