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[ 20 novembre 2018 ] Imprimer

Procédure civile

Exception de nullité et personne décédée

L’acte délivré au nom d’une personne décédée et comme telle dénuée de la capacité d’ester en justice est affecté d’une irrégularité de fond. 

Une femme qui avait loué des locaux commerciaux à une société, ultérieurement placée en redressement judiciaire, avait saisi le président d'un tribunal de grande instance d'une demande tendant à la fixation du loyer du bail renouvelé. La bailleresse étant décédée au cours d'opérations d'expertise ordonnées avant dire droit, le président du tribunal a statué au profit des deux ayants droit de la défunte par un jugement en date du 18 juin 2015. Après avoir reçu la signification de ce jugement par un acte du 15 juillet 2015, mentionnant être accompli à la demande de la défunte, la société  locataire en avait interjeté appel le 29 mars 2016, soutenant que l'acte de signification du jugement fait au nom d'une personne décédée est entaché d'une nullité de fond que ne peut couvrir la reprise d'instance au nom des héritiers. Les ayants droit de la bailleresse défunte avaient déféré à la cour d'appel l'ordonnance du conseiller de la mise en état rejetant leur demande tendant à ce que l'appel fût déclaré irrecevable comme tardif. Dans cette perspective, elles faisaient valoir que si le jugement avait été signifié au nom de la défunte, cette maladresse de rédaction était seulement constitutive d’une irrégularité de forme, en conséquence soustraite au régime des nullités de fond prévu à l'article 117 du Code de procédure civile, outre le fait que la société locataire ne démontrait l'existence d'aucun grief résultant de cette erreur dès lors qu'elle avait été informée du décès de la bailleresse en cours d'instance.

La cour d’appel donna raison à ces dernières. Après avoir relevé que les ayants droit de la défunte avaient délivré deux mémoires avec indication de leur domicile, et elles-mêmes reçu deux mémoires en retour, en sorte que leur adresse était parfaitement connue d'elle et que la société n’avait donc pu se méprendre sur l'identité des personnes venant aux droits de son ancienne bailleresse, que ces actes constituaient deux actes de procédure valant reprise de l’instance après le décès l’ayant interrompu, que les mêmes ayants droit avaient en outre délivré à la société, avant le jugement, un commandement de payer en leurs noms et comportant leur état civil, leur adresse et l’indication qu’elles venaient aux droits de la défunte, que la société n'avait donc pu se méprendre sur l'identité erronée de la requérante dans l'acte de signification qui mentionnait expressément le délai d'appel, en l’occurrence dépassé, et que cet acte n’étant pas nul, l’appel interjeté contre lui, plus d'un mois après sa signification, devait être jugé irrecevable.

Au visa des articles 117 et 119 du Code de procédure civile, relatifs aux vices de fond des actes de procédure, la Cour de cassation censure cette décision. Rappelant que le défaut de capacité d'ester en justice constitue une irrégularité de fond affectant la validité de l'acte, elle juge que l'acte délivré au nom d'une personne décédée et comme telle dénuée de la capacité d'ester en justice est affecté d'une telle irrégularité peu important que le destinataire ait eu connaissance de ce décès.

Exceptions de procédure, les exceptions de nullité des actes de procédure reposent classiquement sur deux types de vices : les vices de forme, et les vices de fond. Les premiers visent les irrégularités objectives de l’acte que constitue le non-respect de certaines formes imposées ad validitatem, comme l’omission ou la rédaction maladroite ou lacunaire d’une ou plusieurs mentions obligatoires. Les seconds sanctionnent les irrégularités subjectives de l’acte, c’est-à-dire celles relatives aux parties au procès ou à leurs représentants. Ainsi, selon l’article 117 du Code de procédure civile, constituent des irrégularités de fond affectant la validité de l’acte, le défaut de capacité d’ester en justice, le défaut du pouvoir d’une partie ou d’une personne figurant au procès, comme représentant soit d’une personne morale, soit d’une personne atteinte d’une incapacité d’exercice, enfin, le défaut de capacité ou de pouvoir d’une personne assurant la représentation d’une partie en justice ». La Cour de cassation juge contra legem (V. C. pr. civ., art. 119 in fine) cette liste limitative (Ch. mixte, 7 juill. 2006, n° 03-20.026).

Comme le rappelle la décision rapportée, le défaut de capacité d’ester en justice est la première cause entachant les actes de procédure d’une nullité de fond que le juge a, en outre, en application de l’alinéa 2 de l’article 120 du Code de procédure civile, la faculté de relever d’office. Encore convient-il de préciser que le texte de l’article 117 vise la seule capacité d’ester en justice et non la capacité de jouissance du droit d’agir, laquelle renvoie à la titularité du droit d’action dont l’absence est alors sanctionnée par une fin de non-recevoir.

Parce que la capacité d'ester en justice est directement liée à la personnalité juridique, et suppose donc de considérer la personne du justiciable comme un sujet de droit, il est de jurisprudence constante que les actes de procédure qui pourraient être délivrés au nom de personnes physiques décédées, donc définitivement privées de capacité juridique, sont nuls pour vice de fond (Civ. 2e, 13 janv. 1993, n° 91-17.175; Civ. 2e, 27 juin 2002, n° 00-22.694). Parce qu’elle ne consiste pas seulement en une erreur sur l’identité d’une personne, mais sur l’existence même de sa personnalité au sens juridique du terme, l’erreur rédactionnelle commise ne peut être, dans ce cas, jugée simplement formelle. Sa qualification de vice de fond emporte des conséquences. Ainsi que le confirme la présente décision (Civ. 3e, 18 nov. 2014, n°13-12.448), l'irrégularité d'une acte délivré au nom d'une personne décédée n'est pas susceptible d'être couverte. De surcroît, la nullité pour vice de fond n’est pas subordonnée à l’existence d’un grief (C. pr. civ., art. 119), tandis que le vice de forme doit avoir causé un grief à la partie adverse, même s’il s’agit d’une formalité substantielle ou d’ordre public (C. pr. civ. art. 114 ; Civ. 2e, 9 avr. 2015, n° 14-13.233), ce qui explique que la Cour d’appel ait dans cette affaire refusé, faute de grief, d’annuler l’acte de signification litigieux, et ce qui explique aussi que, par principe et de manière générale, seule la victime puisse invoquer un vice de forme alors qu’un vice de fond peut être plus largement soulevé par toutes les parties à l’instance. Enfin, le vice de fond peut être invoqué en tout état de cause (C. pr. civ. art. 118), c’est-à-dire à tout moment de la procédure, alors que le vice de forme doit être invoqué simultanément avec les autres exceptions de procédure et avant toute fin de non-recevoir et de toute défense au fond, autrement dit au début du procès (C. pr. civ art. 112).

Lorsque la nullité, de forme ou de fond, est prononcée, elle emporte, identiquement cette fois, l’anéantissement de l’acte de procédure entaché de nullité. De surcroît, si l’acte annulé avait servi de support à d’autres actes de la procédure en cause, ces derniers disparaîtront également, par ricochet, le risque principal étant que toute l’instance s’évanouisse en raison de l’annulation d’une assignation irrégulière sur laquelle elle reposait ab initio

Civ. 2e, 18 oct. 2018, n° 17-19.249

Références

■ Fiches d’orientation Dalloz : Nullité (procédure civile)

■ Ch. mixte, 7 juill. 2006, n° 03-20.026 P: D. 2006. 1984, obs. E. Pahlawan-Sentilhes ; RTD civ. 2006. 820, obs. R. Perrot

■ Civ. 2e, 13 janv. 1993, n° 91-17.175 P: D. 1993. 181, obs. P. Julien

■ Civ. 2e, 27 juin 2002, n° 00-22.694 P: D. 2003. 1402, obs. P. Julien 

■ Civ. 3e, 18 nov. 2014, n° 13-12.448AJDI 2015. 133

■ Civ. 2e, 9 avr. 2015, n° 14-13.233AJDI 2015. 459

 

Auteur :Merryl Hervieu

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