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[ 16 octobre 2025 ] Imprimer

Droit des obligations

Exception de nullité : l’inscription d’une hypothèque provisoire sur un bien de la caution constitue un commencement d’exécution

Dans un arrêt rendu le 17 septembre 2025 au croisement du droit des contrats et du droit des sûretés, la chambre commerciale précise que constitue un commencement d’exécution d’un cautionnement l’inscription d’une hypothèque sur un bien de la caution, privant celle-ci du droit d’invoquer à perpétuité l’exception de nullité du contrat qui la lie au créancier.

Com. 17 sept. 2025, n° 24-11.619

Le cautionnement est un contrat unilatéral. Dès lors, la question de son exécution par le créancier pose difficulté. En effet, si l’on met de côté son minimal devoir légal d’information (information sur le premier incident de paiement et sur l'évolution de la dette, rappel annuel de la faculté de résilier un cautionnement à durée indéterminée), le créancier est dépourvu d’obligations contractuelles. Or comment exécuter un contrat (de cautionnement) quand on n’a pas d’obligation ? La question présente un intérêt crucial en matière de prescription. On se souvient que l'exception de nullité, qui permet de contester, en défense, la validité d'un acte juridique qu'on ne peut plus attaquer par voie d'action, est en principe perpétuelle. Cependant, pour jouir de cette perpétuité, encore faut-il que le contrat n’ait point encore été exécuté par l’une ou l’autre des parties (C. civ. 1185 : "L'exception de nullité ne se prescrit pas si elle se rapporte à un contrat qui n'a reçu aucune exécution"), même partiellement (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, n° 569). Dit autrement, l'exception de nullité n’est perpétuelle que si le contrat n'a jamais reçu d'exécution. Appliquée au cautionnement, la règle conduit à considérer que tant que le débiteur n'a pas défailli, la caution n'est pas appelée en paiement : elle n'exécute rien. Quant au créancier, il n'exécute pas davantage le cautionnement par l’accomplissement de son seul devoir légal d'information annuelle. Dans cette hypothèse, au cœur de l’arrêt rapporté, doit-on alors retenir que le cautionnement ne peut recevoir aucune exécution, de sorte que la caution pourrait perpétuellement opposer au créancier une exception de nullité ? Dans un sens moins favorable à la caution, la chambre commerciale limite sa faculté d’user de l’exception de nullité lorsqu’au moment d’agir en défense, son cocontractant a déjà commencé l’exécution du contrat par l’inscription d’une hypothèque, même provisoire, sur ses biens.

Au cas d'espèce, un cautionnement est conclu en 2015 en garantie d’un prêt souscrit en vue d’acquérir un fonds de commerce. La société débitrice principale ne parvenant plus à honorer sa dette, elle est soumise à une procédure collective. Pour pallier la défaillance de sa débitrice, la banque prend en 2021 une inscription hypothécaire provisoire sur plusieurs immeubles appartenant à la caution. Peu de temps après, elle assigne cette dernière en paiement. La caution lui oppose alors la nullité du contrat de cautionnement à raison du défaut de mention manuscrite : son action manifestement prescrite, ne lui restait plus, en effet, que la voie de l'exception de nullité. Or pour que cette exception fût perpétuelle, le cautionnement devait n’avoir reçu aucune exécution. Ce que les juges du fond ont retenu pour annuler le contrat, aucune preuve d’un commencement d’exécution du cautionnement n’ayant été rapportée par le créancier de façon à empêcher la nullité de produire effet. Devant la Cour de cassation, l’établissement bancaire argua que son inscription hypothécaire constituait un acte d'exécution du cautionnement, privant en conséquence la caution du droit d’opposer à perpétuité l'exception de nullité. La chambre commerciale donne raison à la banque : « Constitue un commencement d'exécution d'un acte de cautionnement l'inscription d'une hypothèque sur un bien de la caution, indépendamment de la personne qui l'effectue ». En obtenant du juge le droit d’inscrire une hypothèque, même provisoire, sur un bien de la caution, le créancier a bien commencé à exécuter le contrat : plus précisément, il a initié l’exécution de sa sûreté personnelle en lui greffant une sûreté réelle. Partant, en faisant inscrire une hypothèque provisoire, la banque a en l’espèce privé son garant personnel du droit d’invoquer la nullité à titre d’exception du contrat fondée sur l’absence de mention manuscrite. Pour obtenir l’annulation, la seule solution pour la caution aurait donc été d’agir en nullité dans le délai quinquennal d’action.

Si l’assimilation d’une inscription hypothécaire provisoire à une véritable exécution du contrat de cautionnement peut être débattue (v. approbatif, S. Piedelièvre, JCP N 2017. 1173, n° 2 : l’inscription n’est pas liée à « la formation de la sûreté mais seulement à sa mise en jeu » ; adde, H.Barbier, RTD civ.2017. 649 ; contra, P. Simler et P. Delebecque, JCP N 2017. 1175, n° 19 : « l’inscription renvoie à la perfection de l’acte davantage qu’à son exécution »), la solution a pour mérite pratique de protéger les intérêts du créancier titulaire d’un cautionnement personnel au même titre que celui bénéficiaire d’un cautionnement réel (v. à propos d’un cautionnement hypothécaire, Civ. 3e, 9 mars 2017, n° 16-11.728), ce qui doit aussi être approuvé si l’on tient compte du fait qu’en l’espèce, le créancier pouvait difficilement faire valoir autrement l’exécution du contrat pour échapper à la nullité de l’engagement sollicitée par son garant.

Référence :

■ Civ. 3e, 9 mars 2017, n° 16-11.728 : D. 2017. 644 ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki ; AJ contrat 2017. 224, obs. D. Houtcieff ; RTD civ. 2017. 649, obs. H. Barbier

 

Auteur :Merryl Hervieu


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