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[ 17 mars 2020 ] Imprimer

Droit des obligations

Exclusion de garantie : encore faut-il s’assurer du caractère dolosif de la faute commise !

En l’absence de manœuvre démontrée, la carence fautive de l’assuré ne peut caractériser avec certitude une faute dolosive permettant à l’assureur d’échapper à sa garantie.

Une agence immobilière dont le gérant, associé majoritaire d’une société copropriétaire des lieux, exerce les fonctions de syndic de la copropriété puis, à la demande de la société copropriétaire, d’administrateur provisoire de celle-ci. À la suite du placement de l’agence en liquidation judiciaire, la responsabilité du syndic est retenue à l’égard de la copropriété, qui fait état d’une créance de plus de 60 000 €. Ces sommes n’ayant pu être recouvrées, le syndicat des copropriétaires assigne l’assureur de l’ancien syndic afin d’en obtenir le paiement ainsi que l’octroi de dommages-intérêts pour « résistance abusive ».

La cour d’appel ayant fait droit à cette demande, l’assureur forme un pourvoi. Il soutient que l’assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d’une faute intentionnelle ou dolosive de l’assuré. Or, en l’espèce, le gérant occupant la fonction de syndic de la copropriété litigieuse étant également l’associé principal d’une société copropriétaire, des manœuvres avaient pu être facilement réalisées : par un usage astucieux de ces différentes qualités, le demandeur prétendait que le syndic avait fait sciemment en sorte de ne pas convoquer dans les délais l’assemblée générale pour permettre de nommer son gérant en qualité d’administrateur provisoire, manœuvre qui lui avait permis d’obtenir le versement d’honoraires sans commune mesure avec ceux qu’il aurait reçus en sa seule qualité de syndic, et de se placer ainsi volontairement dans une situation dont il ne pouvait ignorer qu’elle conduirait inéluctablement au dommage occasionné, en sorte que le demandeur au pourvoi, en sa qualité d’assureur, devait pouvoir échapper à sa garantie. La deuxième chambre civile rejette son pourvoi. Elle juge « qu’ayant retenu par une appréciation souveraine de la valeur et de la portée des éléments de preuve soumis à son examen que la démonstration n’était pas certaine de ce que la faute ayant entraîné la responsabilité du syndic ait eu un caractère volontaire et dolosif, sa carence pouvant aussi bien résulter de sa négligence, de son imprévoyance, de son incompétence personnelle ou organisationnelle au sein de son cabinet, ce qui constituait une faute simple, seule démontrée avec certitude, puis relevé que la preuve n’était pas rapportée d’un scénario prémédité englobant l’abstention volontaire de convoquer l’assemblée générale, dans le dessein préconçu de se faire nommer administrateur provisoire, la cour d’appel a pu en déduire qu’il n’était pas justifié d’une faute dolosive au sens de l’article L. 113-1 du code des assurances ».

En vertu de l’article L. 113-1, alinéa 2, du Code des assurances, le caractère intentionnel ou dolosif de la faute de l’assuré a pour conséquence d’exclure la garantie de son assureur.

La justification de cette exclusion réside dans l’aspect délictuel commun à ces deux types de fautes, intentionnelle ou dolosive.

La première se caractérise, de manière générale, par l’intention de nuire, et en droit spécial des assurances, par la volonté de l’assuré, mû par la recherche consciente de mettre à la charge de l'assureur les conséquences du dommage qu’il entend provoquer, de causer la réalisation de celui-ci tel qu'il est advenu, dans sa nature comme dans son ampleur. 

La seconde, quoique dépourvue d’une telle intentionnalité, comporte un même aspect délictuel par l’action délibérée de déloyauté, de malhonnêteté et de duperie visant, de manière générale, à tromper l’autre partie et, dans le domaine particulier de l’assurance, à prendre un risque volontaire de voir, sans le rechercher, le dommage se réaliser (Civ. 2e, 12 sept. 2013, n° 12-24.650 ; Civ. 2e, 25 oct. 2018, n° 16-23.103).

Ces deux fautes ont pour trait caractéristique commun (Sur la distinction entre les fautes intentionnelle et dolosive au regard de l'art. L. 113-1 C. assur., v. Civ. 2e, 14 juin 2012, n° 11-17.367 ; Civ. 2e, 30 juin 2011, n° 10-23.004) d’affecter l'aléa attaché à la couverture du risque, à la différence que la première, intentionnelle, le fait purement et simplement disparaître, quand la seconde, dolosive, ne fait que le fausser. 

En raison de son effet élusif de garantie, la faute dolosive doit pouvoir être établie sans doute possible par l’assureur prétendant en avoir été victime (v. égal., pour une faute intentionnelle, Civ. 2e, 22 oct. 2015, n° 14-25.494). Comme le rappelle expressément la Cour de cassation, la démonstration doit être certaine, sans quoi la faute alléguée sera qualifiée, comme en l’espèce, de faute simple, laquelle est sans incidence sur l’assurance souscrite par son auteur.

Civ. 2e, 6 févr. 2020, n° 18-17.868

Références

■ Civ. 2e, 12 sept. 2013, n° 12-24.650 P: D. 2014. 571, chron. L. Lazerges-Cousquer, N. Touati, H. Adida-Canac, E. de Leiris, T. Vasseur et R. Salomon

■ Civ. 2e, 25 oct. 2018, n° 16-23.103: D. 2018. 2135 ; ibid. 2019. 848, chron. N. Touati, C. Bohnert, E. de Leiris et N. Palle ; AJ contrat 2018. 530, obs. B. Néraudeau et Pierre Guillot

■ Civ. 2e, 14 juin 2012, n° 11-17.367 P: D. 2012. 1674 ; Rev. sociétés 2012. 637, note L. Grynbaum ; RTD com. 2012. 813, obs. N. Rontchevsky 

■ Civ. 2e, 30 juin 2011, n° 10-23.004 P

■ Civ. 2e, 22 oct. 2015, n° 14-25.494 P: D. 2015. 2181 ; ibid. 2016. 736, chron. H. Adida-Canac, T. Vasseur, E. de Leiris, G. Hénon, N. Palle, L. Lazerges-Cousquer et N. Touati

 

Auteur :Merryl Hervieu

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