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Droit pénal général
Exécution provisoire de la peine d’inéligibilité : (nouveau) contrôle de proportionnalité du juge pénal
À l’occasion de l’affaire Falco, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu le 28 mai 2025 un arrêt de cassation relatif au prononcé de la peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire. Plus précisément, la Cour de cassation se fondant sur la décision du Conseil constitutionnel n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025 précise qu’il incombe au juge pénal, dans sa décision prononçant une telle peine d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte qu’elle est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur. Encourt dès lors la cassation l’arrêt de la cour d’appel qui prononce une telle peine sans qu’apparaisse dans la motivation cette appréciation.
Crim. 28 mai 2025, n° 24-83.556
Si l’arrêt rendu le 28 mai 2025 par la Cour de cassation constitue l’épilogue de l’affaire dite « du frigo de Hubert Falco » concernant la peine d’inéligibilité prononcée, elle revêt une portée non négligeable au regard du contexte politique et du procès en appel de Marine Le Pen prévu en 2026.
En 2023, un élu local a été déclaré coupable de recel de détournement de fonds publics par le tribunal correctionnel qui l’a condamné à trois ans d’emprisonnement avec sursis et à une peine d’inéligibilité de cinq ans avec exécution provisoire. Un an plus tard, l’intéressé est à nouveau condamné par la Cour d’appel qui, tout en réduisant l’emprisonnement avec sursis à dix-huit mois, confirme les cinq ans d’inéligibilité avec exécution provisoire. Pour justifier cette dernière mesure, les magistrats de la cour d’appel se sont référés « à la gravité des manquements qui portent profondément atteinte à l'image des fonctions électives, aux circonstances de l'infraction qui mettent en cause la capacité de l'intéressé à exercer un mandat public électif à court ou moyen terme et à la nécessité de prévenir le risque de renouvellement de l'infraction par une réponse rapide et efficiente » (Crim. 28 mai 2025, n° 24-83.556, § 9). Le maire a alors formé un pourvoi en cassation contre cette condamnation au motif que l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité a été prononcée en violation des articles 131-10, 131-26-2 du Code pénal, 471 et 593 du Code de procédure pénale, 6 de la Déclaration des droits de 1789. Selon l’intéressé, l’arrêt attaqué ne comporte sur ce point « aucun motif ni sur l'atteinte portée aux mandats en cours du prévenu, maire d'une commune de plus de 150 000 habitants et président d'une métropole, ni sur la préservation de la liberté de l'électeur » (Crim. 28 mai 2025, n° 24-83.556, § 5).
L’argument a convaincu la Cour de cassation qui a censuré l’arrêt rendu par la Cour d’appel au visa des articles 131-10, 131-26, 2°, du Code pénal, 471, alinéa 4, et 593 du Code de procédure pénale mais également de la décision du Conseil constitutionnel n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025. En s’appuyant sur cette décision importante, la Cour de cassation affirme que « lorsque le juge prononce une telle mesure, il lui revient, dans sa décision, d'apprécier le caractère proportionné de l'atteinte qu'elle est susceptible de porter à l'exercice d'un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l'électeur » (Crim., 28 mai 2025, n° 24-83.556, § 7). Or la motivation retenue par la cour d’appel pour assortir l’inéligibilité de l’exécution provisoire n’est pas suffisante pour la Chambre criminelle qui estime qu’elle aurait dû rechercher si cette mesure portait une atteinte proportionnée à l'exercice d'un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l'électeur. L’absence de motivation concrète permettant d’apprécier la condition de proportionnalité conduit à annuler l’arrêt attaqué en ses seules dispositions ayant assorti de l'exécution provisoire la peine d'inéligibilité de cinq ans prononcée à l'encontre de l’élu local.
Cette décision du 28 mai 2025 mérite une attention particulière sur trois points qu’il convient d’évoquer successivement.
Le premier point concerne les effets de cet arrêt qui s’effectue sans cassation ni renvoi mais par retranchement des seules dispositions ayant assorti de l'exécution provisoire la peine d'inéligibilité de cinq ans prononcée à l'encontre du prévenu. Pour l’absence de cassation, cela tient au fait que la condamnation a été prononcée antérieurement à la décision du Conseil constitutionnel qui a formulé une réserve qui ne peut s’imposer rétroactivement au juge pénal. Quant à l’absence de renvoi qui peut étonner, la Cour de cassation fait preuve de pédagogie en expliquant que « compte tenu de ce que la présente décision rend définitive la condamnation à la peine d’inéligibilité, l’annulation pourra avoir lieu sans renvoi par retranchement de cette seule disposition » (Crim. 28 mai 2025, n° 24-83.556, § 13). En rendant la condamnation irrévocable, la Cour de cassation supprime par la même occasion la question de la proportionnalité de l’atteinte portée par l’exécution provisoire qu’auraient dû examiner les juges du fond avec toutes les difficultés que cela comporte.
Ce qui nous amène au deuxième aspect de l’arrêt, à savoir le sens de la décision rendue. Au visa de l’arrêt de cassation, on retrouve plusieurs dispositions qui permettent de suivre le cheminement opéré par la Chambre criminelle. À partir des articles 131-10 et 131-26, 2° du Code pénal et 471, alinéa 4 du Code de procédure pénale, la Cour de cassation affirme que la peine d’inéligibilité peut être assortie de l’exécution provisoire (Crim. 28 mai 2025, n° 24-83.556, § 6). En effet, il s’agit d’une peine complémentaire encourue pour certains crimes ou délits (C. pén., art. 131-10) qui consiste en une privation du droit d’être élu à titre temporaire (C. pén., 131-26, 2°) et qui fait partie des sanctions pénales prononcées en application des articles 132-25 à 132-70 du Code pénal « qui peuvent être déclarées exécutoires par provision » (C. proc. pén., art. 471, al. 4). Cette exécution provisoire constitue une dérogation en matière pénale qui est gouvernée par le principe selon lequel les recours sont suspensifs d’exécution. L’exécution provisoire permet, d’une certaine manière, de contourner la règle selon laquelle « l’exécution de la ou des peines prononcées à la requête du ministère public a lieu lorsque la décision est devenue définitive » (C. proc. pén., art. 708).
Toutefois, cette faculté pour le juge pénal n’est pas arbitraire puisqu’elle doit satisfaire à plusieurs exigences prétoriennes (Crim. 18 déc. 2024, n° 24-83.556). D’abord, elle doit répondre répond à l’objectif d’intérêt général visant à favoriser, en cas de recours, l’exécution de la peine et à prévenir la récidive (Crim. 4 avr. 2018, n° 17-84.577). Ensuite, la condamnation doit pouvoir faire l’objet, selon le cas, d’un recours devant la cour d’appel ou la Cour de cassation. Enfin, l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité ne peut être ordonnée par le juge pénal qu’à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la personne prévenue peut présenter ses moyens de défense et faire valoir sa situation. Ces différences exigences jurisprudentielles ont d’ailleurs été rappelées par le Conseil constitutionnel dans la décision du 28 mars 2025 (n° 2025-1129 QPC) qui a validé le principe même de l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité au travers de l’examen des dispositions des articles L. 230 et L. 236 du Code électoral (relatifs aux élus locaux). Selon le Conseil, ces dispositions contribuent non seulement à renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants mais également mettent en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public (Cons. const., 28 mars 2025, n°2025-1129 QPC, § 14 ; Cons. const., 8 sept. 2017, n° 2017-752 DC).
C’est à cette décision que se réfère ensuite la Chambre criminelle au visa de l’arrêt rendu et plus précisément à la réserve formulée par les Sages afin de ne pas méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789. En effet, le législateur ne saurait priver les citoyens de ce droit que dans la mesure nécessaire au respect du principe d’égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l’électeur (Cons. const., 28 mars 2025, n°2025-1129 QPC, § 7). De manière inédite, le Conseil constitutionnel a considéré qu’il revient au juge pénal d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur (§ 17). C’est cette réserve d’interprétation que reprend la Chambre criminelle qui entend contrôler l’atteinte susceptible d’être portée par cette mesure qu’est l’exécution provisoire. Il en résulte une obligation pour le juge pénal de motiver sa décision (C. proc. pén., art. 593) car c’est bien sur ce magistrat que repose la résolution du problème.
Cependant, la motivation opérée par la cour d’appel ne correspond pas aux exigences constitutionnelles rappelées par la Chambre criminelle. Une motivation spéciale s’impose désormais au juge pénal pour prononcer la peine d’inéligibilité avec exécution provisoire… En affirmant que l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité « est justifiée eu égard à la gravité des manquements qui portent profondément atteinte à l'image des fonctions électives, aux circonstances de l'infraction qui mettent en cause la capacité de l'intéressé à exercer un mandat public électif à court ou moyen terme et à la nécessité de prévenir le risque de renouvellement de l'infraction par une réponse rapide et efficiente » (§9), le juge pénal n’a satisfait qu’à l’obligation de motivation des peines telle qu’elle résulte des articles 132-1 du Code pénal et 485-1 du Code de procédure pénale. En revanche, aucune mention d’un quelconque examen de proportionnalité de l’atteinte pouvant être portée par l’exécution provisoire sur l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur. Or, ces deux paramètres, en apparence objectifs, peuvent être sources de difficultés d’interprétation pour le juge pénal. Si le mandat en cours signifie que le prévenu doit exercer un tel office au jour de la condamnation, il faut encore déterminer son importance (mandat local, national, européen), sa durée et son déroulé. L’appréciation du juge pénal risque en effet de varier selon que le mandat en est à son début ou presque à son terme. Quant à la préservation de la liberté de l’électeur (moyen ?, nombre ?), elle n’ a pas la même importance selon qu’un mandat est en cours ou pas …
Le dernier point est relatif à la portée de la décision rendue par la Chambre criminelle de la Cour de cassation. Au-delà de l’affaire Falco, les regards des juristes sont déjà tournés vers le procès de Marine Le Pen en appel pour détournements de fonds publics dans l’affaire des assistants des parlementaires européens du RN. Elle a déjà été condamnée elle-aussi à une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire en considération du « trouble irréparable à l'ordre public démocratique qu'engendrerait le fait que [Mme M. L. P.] soit candidate, voire élue par exemple et notamment à l'élection présidentielle, alors qu'elle est condamnée pour détournement de fonds publics notamment à une peine d'inéligibilité en première instance et pourrait l'être par la suite définitivement ». Il n’est pas certain qu’une telle motivation satisfasse à l’examen de proportionnalité imposée au juge pénal par l’effet de la réserve formulée par le Conseil constitutionnel. En l’absence de mandat en cours, il faudra donc une motivation in concreto exclusivement centrée sur la préservation de la liberté de l’électeur. Il s’agit là d’un exercice périlleux pour le juge pénal qui va devoir entrer dans des considérations d’ordre politique qui sont pourtant étrangères à son office…
Il convient de préciser in fine que la condamnation prononcée en première instance à l’inéligibilité avec exécution provisoire a conduit Mme Le Pen à être démissionnée d’office par le préfet de son mandat local sur le fondement des articles L. 230 et L. 236 du Code électoral (comme M. Falco d’ailleurs). En revanche, pour les mandats nationaux (député, sénateur), la déchéance prévue par les dispositions de l’article L.O. 136 du Code électoral doit être constatée par le Conseil constitutionnel au nom de la séparation des pouvoirs. Cette différence de traitements entre élus locaux et nationaux s’explique, selon le Conseil constitutionnel, par le fait qu’ « au regard de leur situation particulière et des prérogatives qu’ils tiennent de la Constitution, les membres du Parlement se trouvent dans une situation différente de celle des conseillers municipaux » (Cons. const., 28 mars 2025, n°2025-1129 QPC, § 28). En effet, comme l’ont rappelé les Sages, « En vertu de l’article 3 de la Constitution, les membres du Parlement participent à l’exercice de la souveraineté nationale et, aux termes du premier alinéa de son article 24, ils votent la loi et contrôlent l’action du Gouvernement » (Cons. const., 28 mars 2025, n°2025-1129 QPC, § 27). Au-delà de cette distinction, l’obligation du juge pénal de s’assurer du caractère proportionné de l’atteinte portée par l’exécution provisoire de la peine d’inéligibilité s’applique à tous les mandats, sans exception : locaux comme nationaux.
Références :
■ Cons. const., 8 mars 2025, n° 2025-1129 QPC : AJDA 2025. 629 ; ibid. 870, note R. Rambaud ; D. 2025. 1037, note G. Beaussonie et A. Botton ; AJCT 2025. 343, obs. P. Bluteau
■ Crim. 4 avr. 2018, n° 17-84.577
■ Cons. const., 8 sept. 2017, n° 2017-752 DC : AJDA 2017. 1692 ; AJCT 2017. 416, obs. S. Dyens ; Constitutions 2017. 399, chron. P. Bachschmidt
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