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[ 12 octobre 2022 ] Imprimer

Droit des obligations

Exercice de l’action oblique et recevabilité d’un moyen

Nonobstant son défaut de qualité à agir pour critiquer une prétention, le créancier peut formuler, par la voie oblique, un moyen en cassation s’il démontre que l’absence de pourvoi de son débiteur compromet ses droits de créancier.

Com. 21 sept. 2022, n° 20-17.089

Les décisions rendues à propos de l’action oblique sont rarement publiées. Pourtant, si la jurisprudence antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016 avait remarquablement contribué à « forger un régime original » de ce procédé (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 1712, n° 1559), c’est désormais le nouvel article 1341-1 du code civil qui fonde cette notion, permettant au créancier d’exercer les droits et actions à caractère patrimonial de son débiteur, dont l’inaction compromet ses droits. Or le régime applicable à l’action oblique permet à ce mécanisme, issu du régime général de l’obligation, de jouer un rôle procédural décisif. C’est tout l’intérêt de la décision rapportée, justifiant sa publication au bulletin, d’illustrer cette influence, à l’aune du droit nouveau. 

Au cas d’espèce, une personne encaisse un chèque sur son compte bancaire, ouvert le 7 janvier 2014. Le chèque est toutefois rejeté le 28 février suivant pour défaut de qualité du signataire et non-conformité de la signature. La banque du bénéficiaire décide en conséquence de le contre-passer. À la suite de cette dernière opération, le bénéficiaire du chèque litigieux présente un solde débiteur. Sa banque l’assigne donc en règlement de ce solde. Le bénéficiaire appelle alors en garantie la banque tirée. En première instance, celle-ci est condamnée à relever et à garantir le bénéficiaire des condamnations prononcées à son encontre. En appel, le jugement est infirmé sur ce dernier chef, privant ainsi le bénéficiaire de la garantie de la banque tirée. Non sans surprise, c’est la propre banque du bénéficiaire qui se pourvoit en cassation, reprochant aux juges du fond d’avoir violé l’article 1240 du code civil. Inhabituelle, la formation de ce pourvoi se justifie en l’espèce par le simple fait que la banque savait que sa seule chance d’obtenir le règlement du solde litigieux résidait dans le succès de la prétention de son client. Sur le fond, le moyen du pourvoi ne mérite pas d’être développé dans la mesure où la chambre commerciale relève d’office un autre moyen fondé sur l’irrecevabilité de la demande formulée, faute pour la banque du bénéficiaire de démontrer l’existence d’une action oblique. Partant, en l’absence de qualité à agir du demandeur, la Cour relève qu’il « ne soutient ni n’établit que l’éventuelle carence de M. S. dans l’exercice de son droit à se pourvoir en cassation compromet ses droits de créancier ».

■ Position du problème : le défaut de qualité à formuler un moyen

Didactique, la Cour relève le défaut de qualité à agir du demandeur, dans le contexte procédural de l’espèce, d’ailleurs fréquent en pratique, lié à la juxtaposition de liens d’obligations entre les différents plaideurs. En effet, né d’un chèque impayé, le litige engageait d’abord un premier rapport d’obligation, celui liant la banque et son client, qui présentait un solde débiteur, puis il en convoqua un second, liant la banque du tiré au bénéficiaire du chèque, sur le fondement de la responsabilité extracontractuelle. Or cette imbrication des liens d’obligation exerce une influence directe sur les liens, cette fois processuels, des parties à l’instance. Pour rappel, la banque du bénéficiaire agissant dans un premier temps contre son client, celui-ci appela en garantie, dans un second temps, la banque du tireur du chèque. L’insuccès de cet appel en garantie ayant privé le bénéficiaire de son seul moyen d’obtenir le remboursement du solde, sa banque avait alors tout intérêt à critiquer devant la Cour cette décision, qui anéantissait du même coup ses propres chances d’obtenir le paiement du solde litigieux. On comprend ainsi que le pourvoi ait été formé non par le bénéficiaire, mais par sa propre banque. Cependant, en termes de qualité à formuler un moyen, le problème apparaissait immédiatement : dès lors que le bénéficiaire ne formait pas de pourvoi, quelle qualité à agir pouvait avoir sa banque pour critiquer le rejet, par les juges du fond, de son appel en garantie ? C’est au rappel de ce principe fondamental de procédure civile que procède d’abord la chambre commerciale (v. déjà Civ. 11 juill. 1951), soulignant le défaut de qualité à agir du demandeur dans ce contexte spécifique (§6). 

■ Résolution du problème : la voie oblique de formuler un moyen

La chambre commerciale ne s’en tient cependant pas à ce constat. Au lieu de rejeter le pourvoi sans motivation particulière, ce que laissait augurer ce qui paraissait être un pur obiter dictum, la Cour vient au secours du demandeur. Alors que son absence de qualité à formuler un moyen, justifiant son irrecevabilité, devrait par principe le priver de toute possibilité d’agir, la Cour affirme qu’il peut toutefois y remédier par la voie oblique de l’article 1341-1 du code civil (§8). Autrement dit, le régime général de l’obligation permet de pallier un défaut de qualité pour soutenir un moyen, et ce quel que soit le niveau du procès. Outre cet apport processuel, l’arrêt nous renseigne, sur le plan substantiel, quant au régime de l’action oblique : après avoir rappelé les termes de l’article 1341-1 du code civil, la chambre commerciale en précise les contours pour considérer que la banque du bénéficiaire n’a pas, en l’espèce, réuni les conditions de l’action oblique. Plus exactement, la banque « ne soutient ni n’établit » (§ n° 9) les conditions nécessaires à sa mise en œuvre. En d’autres termes, après le moyen relevé d’office et la possibilité pour les plaideurs d’en débattre, le demandeur a également échoué à agir par la voie oblique en l’absence de preuve, par ailleurs rarement rapportée, de la compromission de ses droits de créancier. En l’espèce, il lui aurait fallu démontrer que l’absence de pourvoi en cassation du débiteur mettait en péril le recouvrement de sa créance, ce qui signifie que s’il y était parvenu, il aurait pu voir son moyen être jugé recevable. Dans un contexte procédural rendu complexe par la superposition des différents rapports d’obligation unissant les plaideurs, l’action oblique se présente donc comme un mécanisme utile d’exercice de l’action en justice. En effet, elle se révèle en l’espèce comme un instrument mis au service de la qualité à formuler un moyen dont le créancier était originellement privé. Cette décision illustre toutefois, dans ce cas particulier, ce que l’on désigne de manière générale comme le risque de la preuve : si tel qu’en l’espèce, le créancier qui entend exercer une action de son débiteur, comme celle de se pourvoir en cassation, échoue à rapporter les conditions de l’action oblique, il ne pourra en tout état de cause échapper à l’irrecevabilité de son moyen ni éviter, face à l’impossibilité définitive d’un examen au fond, le rejet de son pourvoi.

Référence : 

■ Civ. 11 juill. 1951 : D.1951.586

 

Auteur :Merryl Hervieu


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