Actualité > À la une

À la une

[ 19 mai 2010 ] Imprimer

Droit pénal européen et international

Exercice illégal de l'activité d'intermédiaire à l'adoption : prévisibilité de la loi française

Mots-clefs : Adoption (activité d'intermédiaire, défaut d'autorisation), Trafic d'enfants, Principe de légalité criminelle, Loi pénale (clarté, précision, prévisibilité)

La loi française (art. L. 225-11 et L. 225-17 du Code de l’action sociale et des familles) qui incrimine l'exercice sans autorisation de l'activité d'intermédiaire à l'adoption est suffisamment claire et précise et ne méconnaît par l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Par une décision du 6 mai 2010, la Cour européenne a jugé irrecevable la requête formée par une avocate roumaine, condamnée en France pour exercice illégal de l'activité d'intermédiaire à l'adoption et trafic d'enfants. La requérante soutenait que la notion d'« intermédiaire », qui a servi de base aux poursuites pénales, n'était pas définie par la loi et ne remplissait donc pas les conditions de clarté et de précision exigées par l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme (principe de légalité des délits et des peines).

Dans sa décision, la Cour rappelle que l'article 7 exige que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les sanctionnent, cette condition étant remplie si le justiciable peut savoir, en se référant aux textes pertinents et, au besoin, à l'aide de l'interprétation qui en est donnée par les tribunaux, quels actes ou omissions engagent sa responsabilité pénale (v. CEDH 15 nov. 1996, Cantoni c. France). Elle recherche alors en l'espèce si, au moment où la requérante a commis les actes poursuivis, il existait une disposition légale rendant ce comportement punissable et si la peine prononcée n'a pas excédé les limites légales.

La Cour relève que les dispositions législatives réprimant l'exercice sans autorisation de l'activité d'intermédiaire en vue de l'adoption d'enfants (art. L. 225-11 et L. 225-17 du Code de l’action sociale et des famille) ne définissent pas la notion d'intermédiaire, mais que « nombre de lois ne présentent pas une précision absolue et que beaucoup d'entre elles, en raison de la nécessité d'éviter une rigidité excessive et de s'adapter aux changements de situation, se servent par la force des choses de formules plus ou moins floues » (v. CEDH 25 mai 1993, Kokkinakis c. Grèce ; 17 sept. 2009, Scoppola c. Italie). Estimant que « la notion d'intermédiaire est suffisamment claire et précise pour que le justiciable sache, à la lecture des dispositions du Code de l'action sociale et des familles et des conventions internationales qui réglementent l'adoption internationale, quels actes et omissions peuvent engager sa responsabilité pénale » et déduisant la prévisibilité de la loi de la profession de la requérante (avocat spécialisé en droit de la famille), elle considère que celle-ci « ne saurait prétendre avoir ignoré qu'en exerçant les activités litigieuses […], elle risquait d'être poursuivie pénalement pour s'être entremise entre des candidats à l'adoption d'enfants étrangers et les personnes ou organismes habilités à y consentir ». Aucune apparence de violation de l'article 7 n'étant décelée, la requête est rejetée, à l'unanimité.

On rappellera que l'article 7 vise le droit écrit aussi bien que la jurisprudence, la Cour de Strasbourg ayant toujours entendu le terme de « loi » dans son acception matérielle et non formelle, en y incluant les textes de rang infra-législatif, les textes réglementaires et le droit non écrit (v. par ex. CEDH 3 mai 2007, Custers, Deveaux et Turk c. Danemark). La loi est donc, au sens de la Convention, le texte en vigueur tel qu'interprété par les juridictions compétentes, ce que confirme la présente décision qui, en outre, rappelle que l'activité ou les compétences particulières du justiciable doivent entrer en ligne de compte pour apprécier sa prévisibilité.

CEDH 6 mai 2010, Stoica c. France, n° 46535/08

 

Références

■ Code de l’action sociale et des familles

Article L. 225-11

« Tout organisme, personne morale de droit privé, qui sert d'intermédiaire pour l'adoption ou le placement en vue d'adoption de mineurs de quinze ans, doit avoir obtenu une autorisation préalable d'exercer cette activité auprès du président du conseil général de chaque département dans lequel elle envisage de placer les mineurs concernés.

Toutefois, l'organisme autorisé dans un département au minimum peut servir d'intermédiaire pour l'adoption ou le placement en vue de l'adoption de mineurs de quinze ans dans d'autres départements, sous réserve d'adresser préalablement une déclaration de fonctionnement au président de chaque conseil général concerné. Le président du conseil général peut à tout moment interdire dans son département l'activité de l'organisme si celui-ci ne présente pas de garanties suffisantes pour assurer la protection des enfants, de leurs parents ou des futurs adoptants. »

Article L. 225-17

« Les personnes qui accueillent, en vue de son adoption, un enfant étranger doivent avoir obtenu l'agrément prévu aux articles L. 225-2 à L. 225-7. »

■ Article 7 — Pas de peine sans loi

« 1 Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d'après le droit national ou international. De même il n'est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l'infraction a été commise.

2 Le présent article ne portera pas atteinte au jugement et à la punition d'une personne coupable d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle a été commise, était criminelle d'après les principes généraux de droit reconnus par les nations civilisées. »

■ CEDH 15 nov. 1996Cantoni c. FranceCEDH 1996-V, § 29.

■ CEDH 25 mai 1993Kokkinakis c. GrèceSérie A, n° 260-A, § 40.

■ CEDH 17 sept. 2009Scoppola c. Italie (n° 2), n° 10249/03, § 100 et 101.

■ CEDH 3 mai 2007Custers, Deveaux et Turk c. Danemark, § 77.

■ J. Pradel, Geert Corstens et Gert VermeulenDroit européen des droits de l'homme, 3e éd., Dalloz, 2009, coll. « Précis », nos 329 s.

 

Auteur :S. L.


  • Rédaction

    Directeur de la publication-Président : Ketty de Falco

    Directrice des éditions : 
    Caroline Sordet
    N° CPPAP : 0122 W 91226

    Rédacteur en chef :
    Maëlle Harscouët de Keravel

    Rédacteur en chef adjoint :
    Elisabeth Autier

    Chefs de rubriques :

    Le Billet : 
    Elisabeth Autier

    Droit privé : 
    Sabrina Lavric, Maëlle Harscouët de Keravel, Merryl Hervieu, Caroline Lacroix, Chantal Mathieu

    Droit public :
    Christelle de Gaudemont

    Focus sur ... : 
    Marina Brillié-Champaux

    Le Saviez-vous  :
    Sylvia Fernandes

    Illustrations : utilisation de la banque d'images Getty images.

    Nous écrire :
    actu-etudiant@dalloz.fr