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[ 3 février 2017 ] Imprimer

Droit européen et de l'Union européenne

Existe-t-il un droit de devenir parent à tout prix ?

Mots-clefs : GPA, Mère porteuse, Droit européen, Convention européenne des droits de l’homme, Respect de la vie privée et familiale, Parent, Acte de naissance, Refus de transcription

La Convention européenne des droits de l’homme ne consacre aucun droit de devenir parent.

La Grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme vient de se prononcer sur une affaire concernant une GPA. En l’espèce, un couple d’italiens avait conclu une convention de mère porteuse avec une société russe pour 50 000 euros, pays dans lequel cette pratique est légale. Après une fécondation in vitro réussie en mai 2010, fécondation supposée réalisée avec le sperme de l’homme italien, le bébé naquit en février 2011. La mère porteuse ayant accepté par écrit que le bébé soit enregistré comme le fils du couple italien, celui-ci put, conformément au droit russe être enregistré comme parents. Le certificat de naissance russe ne mentionnait pas la GPA. Mais de retour en Italie, les parents demandèrent l’enregistrement du certificat de naissance et furent mis en examen à cette occasion. La GPA, étant interdite en Italie, les autorités italiennes déclarèrent l’enfant en état d’abandon. Il fut également démontré par test ADN qu’il n’existait aucun lien génétique avec l’homme italien. L’enfant fut éloigné du couple à l’âge de 3 mois et 20 jours et aucun contact ne fut autorisé. 

Le couple, n’ayant pas obtenu le retour de l’enfant devant les juridictions italiennes, saisit la CEDH en estimant qu’il existait une violation de l’article 8 de la Convention (respect de la vie privée et familiale).

Dans une première décision en date du 27 janvier 2015 (n° 253358/12), la CEDH a décidé que l’éloignement de l’enfant avait effectivement constitué une violation de l’article 8 de la Convention. Elle a considéré que l’État devait prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant indépendamment de la nature des liens parentaux.

Toutefois, à la suite de la demande du Gouvernement italien, la Grande chambre de la CEDH fut saisie. Celle-ci a rendu sa décision le 24 janvier 2017 en déclarant, cette fois-ci, qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 8 de la Convention. 

En effet, les juges européens estiment que les conditions permettant de conclure à l’existence d’une vie familiale de facto (CEDH, gr. ch., 22 avr. 1997, X., Y. et Z. c/ Royaume-Uni, n° 21830/93) ne sont pas remplies (parenté et effectivité du lien). En l’espèce, il n’existe pas de lien biologique entre le couple italien et l’enfant, la relation entre eux a été de courte durée (3 mois et 20 jours) et les liens juridiques sont précaires. Les juges relèvent toutefois qu’il existait un projet parental et des liens affectifs.

Par ailleurs, il est important de rappeler que les États membres disposent d’une grande marge d’appréciation concernant la GPA. Celle-ci étant illégale en Italie, les juridictions italiennes ont examiné cette affaire au regard de l’illégalité de la conduite du couple, et également de la précarité de la relation avec l’enfant et du résultat du test ADN démontrant l’absence de lien biologique.

Dans cette affaire la Cour précise qu’elle « ne sous-estime pas l’impact que la séparation immédiate et irréversible d’avec l’enfant doit avoir eu sur la vie privée des requérants. Si la Convention ne consacre aucun droit de devenir parent, la Cour ne saurait ignorer la douleur morale ressentie par ceux dont le désir de parentalité n’a pas été ou ne peut être satisfait. Toutefois, l’intérêt général en jeu pèse lourdement dans la balance, alors que, comparativement, il convient d’accorder une moindre importance à l’intérêt des requérants à assurer leur développement personnel par la poursuite de leurs relations avec l’enfant. Accepter de laisser l’enfant avec les requérants, peut-être dans l’optique que ceux-ci deviennent ses parents adoptifs, serait revenu à légaliser la situation créée par eux en violation de règles importantes du droit italien. La Cour admet donc que les juridictions italiennes, ayant conclu que l’enfant ne subirait pas un préjudice grave ou irréparable en conséquence de la séparation, ont ménagé un juste équilibre entre les différents intérêts en jeu en demeurant dans les limites de l’ample marge d’appréciation dont elles disposaient en l’espèce. ».

Enfin, il convient de préciser que l’enfant a été placé dans une famille depuis janvier 2013 et qu’il est maintenant adopté par cette famille ; avant cela, il avait été placé dans un foyer pendant environ 15 mois.

Pour rappel, la Cour européenne des droits de l’homme s’est également prononcée dans une affaire de GPA concernant la France le 19 janvier 2017. Celle-ci a été condamnée pour refus de transcription d’actes de naissance de jumeaux nés d’une GPA en Ukraine (Laborie c/ France, n° 44024/13). La situation des requérants est la même que celle des requérants français dans les affaires Mennesson (n° 65192/11), Labassee (n° 65941/11), Foulon (n° 9063/14) et Bouvet (n° 10410/14). Les juges européens concluent à la violation de l’article 8 de la Convention s’agissant du respect de la vie privée des jumeaux nés de la GPA. Toutefois, les différences entre les affaires italienne et française sont importantes et le droit interne n’est pas le même : le bébé italien a vécu un peu plus de 3 mois avec le couple ayant recouru à la GPA, les jumeaux français sont nés en 2010 et vivent avec leur parents depuis leur naissance. Il existe en France une circulaire du 25 janvier 2013, dite circulaire Taubira, adressée notamment aux greffiers en chef des tribunaux d’instance, leur recommandant de faire droit aux demandes de délivrance de certificats de nationalité française (CNF) aux enfants nés à l’étranger de Français ayant eu recours à une convention de mère porteuse. Enfin, pour mémoire, concernant les affaires Mennesson, Labassee, Foulon et Bouvet, l’État français n’a pas encore inscrit les enfants sur les registres de l’état civil français.

CEDH, gr. ch., 24 janvier 2017, Paradiso et Campanelli c/ Italie, n° 25358/12

Références

■ Convention européenne des droits de l’homme

Article 8

« Droit au respect de la vie privée et familiale. 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

■ CEDH 27 janv. 2015, Paradiso et Campanelli c/ Italie, n° 25358/12 , Dalloz Actu Étudiant, 9 févr. 2015 D. 2015. 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; AJ fam. 2015. 165, obs. E. Viganotti ; ibid. 77, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2015. 1, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; RTD civ. 2015. 325, obs. J.-P. Marguénaud.

■ CEDH, gr. ch., 22 avr. 1997, X., Y. et Z. c/ Royaume-Unin° 21830/93 § 36 et 37, D. 1997. 583, note S. Grataloup ; ibid. 362, obs. N. Fricero ; RTD civ. 1997. 1011, obs. J.-P. Marguénaud ; ibid. 1998. 92, obs. J. Hauser.

■ CEDH 26 juin 2014, Mennesson c/ France, n° 65192/11D. 2014. 1797, note F. Chénedé ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 1806, note L. d'Avout ; ibid. 2015. 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1007, obs. REGINE ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2014. 499, obs. B. Haftel ; ibid. 396, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RDSS 2014. 887, note C. Bergoignan-Esper ; Rev. crit. DIP 2015. 1, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; ibid. 144, note S. Bollée ; RTD civ. 2014. 616, obs. J. Hauser ; ibid. 835, obs. J.-P. Marguénaud.

 CEDH 26 juin 2014, Labassée c/ France, n° 65941/11, D. 2014. 1797, note F. Chénedé ; ibid. 1787, obs. P. Bonfils et A. Gouttenoire ; ibid. 1806, note L. d'Avout ; ibid. 2015. 702, obs. F. Granet-Lambrechts ; ibid. 755, obs. J.-C. Galloux et H. Gaumont-Prat ; ibid. 1007, obs. REGINE ; ibid. 1056, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke ; AJ fam. 2014. 499 ; ibid. 396, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; Rev. crit. DIP 2015. 1, note H. Fulchiron et C. Bidaud-Garon ; RTD civ. 2014. 616, obs. J. Hauser ; ibid. 835, obs. J.-P. Marguénaud.

■ CEDH 21 juill. 2016, Foulon, n° 9063/14, D. 2016. 2152, note A.-B. Caire ; AJ fam. 2016. 407, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2016. 819, obs. J. Hauser.

■ CEDH 21 juill. 2016, Bouvet, n° 10410/14, AJ fam. 2016. 407, obs. A. Dionisi-Peyrusse ; RTD civ. 2016. 819, obs. J. Hauser.

 

Auteur :G. G.

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